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Vous ne direz plus « viande végétale » : une nouvelle bataille (commerciale) des mots

Comment désigner désormais ces compositions à base de soja ? Shutterstock
Anne Parizot, Université de Franche-Comté – UBFC

Une publicité des années 1970 vendait une boisson qui ressemblait à de l’alcool, avait le goût de l’alcool mais n’était pas de l’alcool. La question se pose aujourd’hui pour la viande. Peut-on encore utiliser le mot lorsqu’il s’agit de « steaks végétaux », « boulettes et escalopes végétales », « lardons végétaux », « saucisses végans », « rillettes végétales » ou même « boucherie végétale » ?

La loi a voulu apporter une réponse. Un décret paru au Journal officiel à la fin du mois de février interdit désormais ces appellations qui font directement référence à des pièces de viande, ainsi que les termes, « faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale » lorsqu’il s’agit de commercialiser un produit contenant des protéines végétales. Le texte emporte la satisfaction des acteurs de la filière animale (éleveurs, bouchers), à l’origine de la demande. Certains consommateurs y adhèrent aussi, voyant peu de sens à parler de « saucisse végétale ».

La décision ne fait cependant pas l’unanimité. Le gouvernement avait déjà voulu, en juin 2022, réserver l’usage des termes « steak » ou « saucisse » aux protéines animales, mais le décret avait été remis en question par Protéines France, un consortium français d’entreprises ayant pour ambition de fédérer et de catalyser le développement du secteur végétal.

La viande a par ailleurs de moins en moins la faveur des citoyens : trop chère, néfaste pour la santé quand elle est surconsommée et notamment la viande rouge, néfaste pour la planète avec la déforestation ou la consommation d’eau qu’elle implique souvent. L’alimentation alternative tente de limiter ces effets négatifs. C’est l’objet de la « viande végétale » (sous condition que les additifs en soient limités) et les consommateurs y sont sensibles.

Nourrir la planète tout en la protégeant, manger bon et sain en tenant compte du bien-être des animaux font partie désormais des discours politiques, scientifiques, sociaux et sociétaux. Les industriels, conscients de ces nouvelles injonctions, créent de nouveaux produits sous couvert d’une terminologie qui soulève l’interrogation. Il ne s’agit de fait pas tant de produire que de communiquer en vue de la commercialisation en cherchant le meilleur degré d’acceptabilité des dénominations, un phénomène qui a fait l’objet de nos travaux.

Appeler « viande » une salade de concombres ?

Qu’en est-il pour l’étiquette « viande » ? Le mot a beaucoup évolué. Jusqu’au XVIIe siècle, il désignait tout ce qui peut entretenir la vie (vivenda), c’est-à-dire la nourriture en général. Madame de Sévigné appelait ainsi « viandes » une salade de concombres et de cerneaux… La viande chair animale était plutôt désignée par le terme « carne ».

Ce n’est qu’ensuite que le mot se spécialise pour désigner la chair des mammifères et des oiseaux jusqu’à, de nos jours, prendre un sens plus générique : une source de protéines et d’acides gras essentiels. Cela inclut pour certains le poisson ; pour d’autres, en raison de la classification zoologique, ou par convictions personnelles ou opinions religieuses, il n’en serait pas.

Et le steak ? Là encore le sens évolue. Au départ il désigne une tranche de chair à griller alors qu’actuellement il renvoie plus spécifiquement à une tranche de viande rouge conformément au beef steak anglais (même si l’on parle parfois de « steak de thon »). Ainsi c’est sans doute la façon de découper le morceau en tranche qui motive l’utilisation du terme et permet de le distinguer du steak haché.

Exit donc aujourd’hui steaks végétaux, escalopes de soja et autres produits (21 au total), utilisant des termes qui renvoient à la viande, pouvant introduire la confusion dans l’esprit du consommateur. Il est vrai que ces termes sont communément utilisés pour désigner de la viande, c’est-à-dire des protéines animales.

Néanmoins, la société évolue et sa langue avec. Celle-ci a souvent eu recours à des glissements sémantiques qui fonctionnent par analogie de forme ou d’aspect, d’utilisation, de goût : bref, par imitation. L’escalope par exemple est définie par analogie comme « un mets préparé et présenté comme une escalope de viande ou de poisson ». Que dire de la Poire de bœuf (pièce de viande définie par sa forme) et de la fraise de veau (membrane intérieure de l’intestin, du latin fresa qui signifie « peau, enveloppe ») ? Les arboriculteurs et maraîchers vont-ils monter au créneau ?

Pas d’harmonisation

Et si le décret ne faisait que renforcer la confusion qu’elle prétend lever ? Les « produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers » restent autorisés. En 2020, la France interdisait déjà le « steak végétal » à la différence de la réglementation européenne. L’harmonisation n’est pas encore au rendez-vous. Certains pays ont toutefois pris des mesures similaires concernant l’étiquetage des produits végétaux, la Belgique au sein de l’UE, plus loin la Turquie ou l’Australie.

L’identification et la reconnaissance de ces produits végétaux en magasin reposent en outre sur deux éléments : d’une part la mention « végétal » ou « végan » et également leur place dans les rayons des supermarchés. Ces produits sont habituellement présentés dans des rayons spécifiques. Mais certaines chaînes de la grande distribution, notamment aux États-Unis, les placent à côté des produits d’origine animale.

Pour être cohérent il faudrait aussi revoir les appellations et la séparation des produits comme le lait de soja, boisson d’origine végétale. Ce qui a été le cas puisqu’en 2017, la Cour de Justice Européenne (CJUE) a publié un arrêt interdisant ces dénominations. Mais en fonction des pays, des exceptions existent comme pour la France : on peut dire « lait d’amande, lait de coco, crème de riz, beurre de cacao ». La CJUE précise que l’ajout de mentions indiquant l’origine végétale n’y change rien et ne remet pas en cause cette interdiction. Aussi en France, les dénominations qui ne font pas l’objet d’exception renvoient à un terme générique : « boisson de » « au » ou « boisson végétale ».

Comment les nommer alors ?

Si pour l’ex-« lait de soja » la substitution a été facile, les dénominations concernant la « future ex » viande végétale semble plus ardue car elle touche de nombreux produits (steak, escalope, lardons, jambon… ). L’utilisation d’un terme générique ne semble donc pas envisageable. « Steak ou burger végétal » trouve un équivalent dans « galette végétale ou végétarienne », qui conserve une similitude avec la forme. Pour l’escalope, qui désigne une fine tranche, le sujet est plus délicat : pourrait-on envisager une « fine tranche végétale » ? Mais alors, comment dénommer le « jambon végétal » en tranche ?

Les laits de soja, devenus « boisson de/au soja ».

« Lardons végétaux » pourrait-il être remplacé par « petits bâtonnets végétaux » ? Celui-ci est déjà utilisé par des marques s qui présentent un produit « saveur océane » ou « de la mer » ressemblant à des bâtonnets de poisson pané. Que dire encore des suprêmes, ces blancs et chair de volaille ou de gibier à plumes dont le terme par extension signifie une préparation très élaborée et qui deviennent des « suprêmes végétaux » ?

Le problème de la terminologie alimentaire employée a également été soulevé par le Premier ministre en février 2024 à propos de la « viande de synthèse », des protéines animales cultivées en laboratoire, autre forme alternative qui cherche elle aussi encore sa dénomination.

Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication, Université de Franche-Comté – UBFC

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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