Michel Winock a choisi de retracer l’histoire d’une aspiration à travers le parcours de femmes et d’hommes qui en ont incarné le dessein, de Condorcet à Arlette Laguiller.
Livre du jour. Camper en trente portraits, confiés à vingt-six historiens de générations contrastées (« vieille garde et nouvelle vague », comme le résume malicieusement le maître d’œuvre), un panthéon de gauche, des Lumières à aujourd’hui, peut sembler périlleux. Moins pour arrêter la liste de ces figures de proue, quoiqu’on pourra forcément regretter une absence ou contester une annexion douteuse, que par le côté mausolée funéraire qui risque de s’imposer au lecteur s’interrogeant sur les contours intellectuels et idéologiques de la gauche comme sur son assise électorale actuelle.
Michel Winock, tout en renvoyant à la synthèse de Jacques Julliard, Les Gauches françaises 1762-2012 : histoire, politique et imaginaire (Flammarion, 2012), a choisi de retracer l’histoire d’une aspiration à travers le parcours de femmes et d’hommes qui en ont incarné le dessein. Prudent, il annonce d’entrée les limites de l’exercice tant la gauche est « multiple, plurielle, contradictoire, au point qu’il est difficile de parler de gauche au singulier ». Tout comme il laisse à chaque contributeur la responsabilité de sa perception du débat où la quête d’une égalité du possible et de la justice sociale, la sensibilité à la pauvreté et aux minorités comme la référence au legs de la Révolution sont les rares invariants.
Ainsi de Condorcet à Arlette Laguiller, plus de deux siècles d’engagements et de combats permettent de mesurer les axes éthiques comme les déchirements fratricides qui ont animé une espérance née dès les premières assemblées représentatives (de là le concept de « gauche » sur les bancs de la Constituante dès 1789). Espérance jamais éteinte malgré les aléas de la vie politique depuis.
Place aux femmes engagées, féministes
Si Robespierre, Gambetta, Jaurès, Blum, Mendès France, Mitterrand et Rocard sont là, accompagnés de Clemenceau ou d’Herriot, moins inattendus que Jules Ferry, plus apte à incarner la République que la gauche, ou Benjamin Constant – Laurent Theis rend un judicieux hommage à celui qui fut le plus éloquent des champions contre l’arbitraire sous l’Empire et la Restauration –, on se réjouit de la présence d’écrivains et d’essayistes dont le magistère intellectuel a été fondamental (Michelet, Hugo, Sand, Zola, Sartre, Camus, Beauvoir aussi). On saluera également l’évocation de celles dont la trajectoire, si elle mérite de forcer les portes du Panthéon, n’a pour l’heure pas réussi à leur obtenir cette reconnaissance patriotique prioritairement réservée « aux grands hommes » : la conclusion de Quentin Deluermoz, évoquant « Louise Michel ou la lutte sans fin » est exemplaire. Place donc à ces femmes engagées, féministes – Olympe de Gouges, avant Sand et Beauvoir – ou non telle Arlette Laguiller dont Ludivine Bantigny brosse un portrait subtil et empathique qui ne confond jamais les ressorts du militantisme et l’impact de son défi renouvelé à briguer, « bien que femme », la magistrature suprême…
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