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Selon les transhumanistes, la quête de l’immortalité passe par le développement de technologies qui prolongent la durée de vie humaine. Teo Tarras / Shutterstock

Transhumanisme : la recherche de l’immortalité a-t-elle un sens ?

Selon les transhumanistes, la quête de l’immortalité passe par le développement de technologies qui prolongent la durée de vie humaine. Teo Tarras / Shutterstock
Caroline Cuny, Grenoble École de Management (GEM) et Yannick Chatelain, Grenoble École de Management (GEM)

L’immortalité numérique est désormais à portée. Avec les prodigieuses avancées de l’Intelligence artificielle (IA), nous sommes maintenant en mesure de nous fabriquer un avatar virtuel pour après notre mort. C’est indéniablement « un petit pas pour un homme » vers une immortalité plus « aboutie ». Est-ce pour autant « un bond de géant » pour notre humanité ?

Savoir si la recherche de l’immortalité a un sens est un débat on ne peut plus d’actualité et particulièrement complexe, qui engage tant la philosophie que l’éthique. Or c’est une question qui va s’avérer de plus en plus souvent posée au regard des progrès médicaux et technologiques inédits des dernières décennies visant à prolonger et améliorer la vie de l’homme. Au regard d’arguments en sa faveur qui ne peuvent être ignorés, d’arguments « contre » qui ne peuvent non plus être passés sous silence, au cœur de ce questionnement : la condition humaine.

Ceci étant dit, comme le note le biologiste franco-croate Miroslav Radman si l’on parle d’immortalité, les choses sont très relatives : « le seul candidat est la vie même qui dure déjà entre 3,5 et 4 milliards d’années. Mais, la vie n’est pas une entité, c’est un processus robuste qui génère ses produits fragiles – les organismes vivants. » L’homme est ainsi un produit « fragile » mais qui apparaîtra immortel par rapport à un ver qui ne vit que deux semaines.

L’ambition de ne plus mourir

Pour autant, la quête de l’immortalité, au sens strict de ne jamais mourir est au cœur des préoccupations de certains hommes. En juin 2023, Neuralink, start-up de neurotechnologie dirigée par Elon Musk annonçait avoir reçu l’autorisation des autorités sanitaires américaines pour commencer les essais cliniques de ses puces cérébrales (des implants visant à améliorer les capacités cérébrales humaines et soigner certaines maladies comme celle de Parkinson) sur des humains.

Elon Musk, milliardaire patron de Neuralink et transhumaniste revendiqué. Wikicommons

Ces avancées ne peuvent que réjouir la communauté transhumaniste qui revêt – selon les groupes – divers ambitions et objectifs, dont l’amélioration des capacités humaines, mais pas seulement.

Selon les transhumanistes, la quête de l’immortalité passe par le développement de technologies qui prolongent la durée de vie humaine de manière significative, ce grâce à des avancées médicales – les travaux de NeuroLink vont dans ce sens – la régénération des tissus et éventuellement le transfert de conscience vers des substrats artificiels.

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Des être humains sans corps ?

La doctrine philosophique transhumaniste vise à « libérer l’humanité de ses limites biologiques en surmontant l’évolution naturelle. Changer l’humain serait positif, car cela pourrait signifier la libération des contraintes de la nature, comme la maladie ou la mort. »

Comme le souligne le sociologue français David Le Breton certains transhumanistes ont même pour ambition de se passer définitivement de toute enveloppe corporelle et organique. Ils voient désormais l’incarnation comme un obstacle majeur à l’épanouissement de soi et, au-delà, au déploiement de la technoscience. Le corps est à leurs yeux une limite tragique qui alimente la vulnérabilité inhérente à la condition humaine. Sans le corps, pensent-ils, ils seraient immortels, imperméables à toute maladie, sans limites, étrangers au vieillissement, uniquement sous l’égide de leurs propres pensées.

Cette position peut être discutée. De quoi dépend l’épanouissement personnel ? Est-il vraiment indépendant du corps et des sens ? Si l’on se réfère aux théories de l’énaction, qui s’intéressent à la manière dont les organismes et esprits humains s’organisent eux-mêmes en interaction avec l’environnement, les processus cognitifs sont fondamentalement enracinés dans les états corporels et dans les systèmes sensori-moteurs activés dans le cerveau.

L’entreprise Re ;memory utilise la technologie de l’intelligence artificielle pour proposer aux familles endeuillées de rencontrer un avatar de leur proche décédé et lui parler.

Est-ce qu’entrer en relation avec les autres et l’extérieur, sans corps, ne changerait pas totalement notre conscience de nous-mêmes ? Les arguments en faveur de cette quête d’immortalité sont multiples et argumentés mais ils mettent de côté une partie non négligeable de notre humanité, le corps sensible.

Quel sens pour la vie pour les immortels ?

Pour autant des opposants à cette quête comme, Miroslav Radman, qui se définit comme un biocrate, soit un défenseur de la biologie humaine, avance que le « rêve transhumaniste » ne relève pas du domaine du naturel, et que, si l’on suit cet « idéal », « le corps humain risque de devenir un simple « châssis » biologique pour les prothèses artificielles ».

D’autres problématiques verraient par ailleurs le jour : d’un point de vue plus pragmatique se pose le problème des ressources naturelles et de la surpopulation. Une surpopulation qui pourrait être gérée par la variable financière, discriminant les mortels des immortels. La question serait alors : qui peut s’offrir l’immortalité ?

Dans certaines traditions par exemple slaves et chinoises : un corps enjambé par un animal, particulièrement un chat ou un chien, peut devenir un mort-vivant. De même, un corps blessé et non traité au moyen d’eau bouillante peut devenir un vampire. Dans la littérature également, l’immortalité est souvent associée à une déshumanisation à travers l’image du vampire, transmutation d’un individu ordinaire en un cadavre vivant, marginal dénué de tout sens moral, capable de transformer d’autres en monstres comme lui.

L’immortalité impliquerait-elle la perte de son humanité, à l’instar des morts-vivants, c’est-à-dire une déshumanisation au sens propre, biologique comme figuré, une abolition de l’éthique et de la liberté ? Si tel était le cas, vu les mœurs peu amènes des vampires tels qu’ils sont décrits dans de nombreuses œuvres, cela signerait une abolition de l’espoir, tant la vie est faite de sensorialité, de joie, de peine, de remords, de regrets… Si un jour la formule de l’immortalité est trouvée, il faudra veiller à la manier avec sagesse, car les « hommes » qui souhaiteraient en faire usage pourraient prendre le risque de devenir des monstres sans âme.

Caroline Cuny, Professeure en psychologie, Grenoble École de Management (GEM) et Yannick Chatelain, Professeur Associé. Digital I IT. GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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