CARACTÉRISTIQUES
Le jeu de rôles japonais — ou J-RPG — est l'un des genres les plus codifiés du jeu vidéo. S'il s'est depuis quelques années plié à une certaine modernité, il n'en reste pas moins, bien souvent, un style qui colle résolument avec l'esprit des années 80 et 90. Et qui de mieux que Square Enix pour nous proposer un nouveau titre surfant sur cette vague, que l'on qualifiera ici de "néo-rétro", soit faire du vieux avec du neuf. Octopath Traveler est de cette trempe et il suffit de quelques secondes pour saisir ses inspirations : look des personnages inspiré des premiers épisodes de Final Fantasy (jusqu'au VI sur Super Nintendo), décors et environnements qui fleurent bon la fantasy colorée façon Dragon Quest, et système de combats aléatoires au tour par tour "à l'ancienne". Soyez prévenu : si vous ne supportez pas d'être interrompu dans votre exploration par des affrontements apparaissant à intervalles réguliers, Octopath Traveler risque d'être un jeu compliqué à apprécier.
Et pourtant, Octopath Traveler est bien un jeu de 2018 sur de nombreux points. Le premier qui saute évidemment aux yeux, c'est son style graphique étonnant, qui parvient admirablement à mêler le pixel-art à des effets de lumière et d'ambiance très modernes. Il faut ainsi préciser que le titre utilise le moteur Unreal Engine 4, et l'on retrouve donc de beaux environnements travaillés, et surtout de très jolis effets de flou qui donnent beaucoup de relief aux décors. On pense indéniablement à une espèce de "Bokeh" appliqué au jeu vidéo. Si les premières minutes dans le jeu peuvent être déstabilisantes face à ce parti pris de réalisation, force est d'admettre qu'il apporte un énorme cachet au titre. Notons également un très bon boulot sur l'interface qui, mine de rien, est d'une importance primordiale dans un J-RPG (on y passe beaucoup de temps) : la carte est belle et très lisible, les portraits des héros sont travaillés et les menus d'inventaire, d'équipement ou de pouvoirs impeccablement efficaces. Seul le journal des quêtes aurait mérité d'être un peu complet et mieux organisé, surtout vu la quantité d'informations que l'on emmagasine au bout d'une poignée d'heures de jeu.
En avant les histoires
Et justement, la grande particularité d'Octopath Traveler, c'est de proposer non pas une ni deux ni trois, mais huit quêtes principales, chacune rattachée à un personnage spécifique ! Ainsi, au lancement d'une partie, devons nous choisir un héros parmi huit, mais sommes amenés à aller à la rencontre des autres protagonistes de l'histoire, répartis à différents endroits de la carte. Huit personnages aux motivations très différentes et qui sont globalement très bien écrits : ici un voleur qui doit s'acquitter d'une dette en s'emparant de différentes pierres aux vertus magiques, là une danseuse "esclave" dans un quartier des plaisirs qui décide de s'émanciper et fuir sa condition ou encore un chevalier devenu mercenaire qui part à la recherche de son ancien frère d'armes. Le travail d'écriture s'avère particulièrement soigné, chaque personnage se révélant attachant.
Mais cette volonté de proposer huit intrigues en parallèle trouve malheureusement assez vite ses limites, car l'on bifurque constamment d'une histoire à l'autre et il devient dès lors difficile de s'impliquer réellement dans les enjeux. De plus, on regrette le peu d'interactions entre les héros (il est possible de créer un groupe de quatre, modifiable à volonté à la taverne de chaque village) et les échanges entre eux se limitent à quelques dialogues qui n'ont pas vraiment d'incidence sur l'histoire. Enfin, et c'est peut-être là le plus gênant, la structure narrative rend la progression assez répétitive, car on suit toujours le même schéma : arrivée dans un village, séquence de dialogues, départ vers un donjon proche, exploration, combats contre un boss, puis retour au village. Et ainsi de suite.
Pour rompre la monotonie, Octopath Traveler propose néanmoins de nombreuses quêtes secondaires, fait assez rare dans un J-RPG, qui mettent davantage à profit le sens de l'observation et des compétences spécifiques à chacun des protagonistes. L'un a par exemple la capacité d'interroger efficacement les habitants d'un village, ce qui s'avère utile pour résoudre certaines enquêtes. Un autre, au contraire, peut provoquer en combat à peu près n'importe qui ; une bonne façon de venir en aide à un pauvre bougre maltraité par des bandits. La capacité de vol à la tire du voleur, quant à elle, est régulièrement utilisée dans des missions où la discrétion doit être de mise. Sur ce point, Octopath Traveler se veut donc très moderne et parvient à intégrer harmonieusement un système de "minis histoires."
Habillage extrêmement réussi, écriture soignée, mais narration trop décousue et progression assez répétitive... Pour le moment Octopath Traveler souffle le chaud et le froid. Il reste cependant un point essentiel à aborder : son système de combats et de progression. Nous l'évoquions en début de test, ici, c'est le tour par tour qui prime, tel qu'on le connait dans un Dragon Quest ou, plus récemment, dans le très bon Bravely Default sur 3DS. Les personnages agissent à tour de rôle, puis c'est le tour des ennemis, et ainsi de suite jusqu'à la victoire ou la défaite. Bref, difficile de faire plus classique, et les premières rencontres s'avèrent particulièrement simples, nous faisant craindre le pire.
Heureusement, la richesse du système se dévoile progressivement et rend les combats, bien qu'assez longs, tactiquement très intéressants : possibilité d'emmagasiner la puissance pour multiplier les attaques en un seul tour, gestion des faiblesses des ennemis très poussée (tel adversaire est plus sensible au feu, l'autre aux coups de hache, etc.), présence de classe secondaire pour ses héros, afin d'affiner ses atouts... Le tout s'avère extrêmement complet, mais pas inutilement complexe. Là encore, le travail d'interface est excellent et l'on a toujours l'impression de maîtriser totalement la situation. On regrette cependant que certains combats de boss s'éternisent inutilement, et deviennent alors une véritable épreuve d'endurance pour le joueur.
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