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Sommes-nous prêts à confier nos décisions d’achat à une IA ?

Patricia Rossi, SKEMA Business School et Mariyani Ahmad Husairi, Neoma Business School

Beaucoup de ce que nous faisons semble porter la marque de l’intelligence artificielle (IA) et des algorithmes. Ils sont censés nous faciliter la vie en prenant en charge certaines tâches. Jusqu’à bientôt nous aider à choisir au moment d’effectuer des achats ?

Le processus de décision peut s’avérer complexe : prendre conscience d’un besoin ou du désir de quelque chose, recueillir des informations sur les différentes possibilités qui s’offrent à nous, les comparer, puis enfin choisir. Ce processus peut aller plus ou moins vite : plus nous sommes impliqués dans le produit, plus nous réfléchissons à chaque étape de ce processus.

L’IA peut y intervenir au moins à deux titres. D’abord, lorsqu’elle recommande quelque chose, elle réduit les choix à notre place. Elle prend en charge une partie de la collecte d’informations sur les produits concurrents et la comparaison des alternatives possibles et réduit ici notre « autonomie de choix ». Elle peut également intervenir activement dans la décision d’achat finale et agir sans notre intervention. On parle ici d’« autonomie de décision ». Les réfrigérateurs intelligents, par exemple, fournissent déjà des données à un algorithme qui détermine quand se réapprovisionner et ce qu’il faut acheter. De même, le service en ligne Boxed.com expédie des produits en fonction de prédictions sur le moment où ses clients seraient à court d’articles.

Ce genre d’« initiatives » de l’IA peut présenter des avantages : gains de temps, mois d’effort de réflexion, économie d’argent aussi potentiellement. Pourtant, nous voulons toujours être aux commandes, être nos propres maîtres. L’autonomie de choix et de décision nous procure des avantages psychologiques, nous permet d’afficher nos valeurs et de construire, entre autres, notre identité. L’autonomie contribue à notre bien-être.

Notre récente étude a tenté d’approfondir cette ambivalence. Nous avons mis en place plusieurs études expérimentales pour comprendre quand l’autonomie de choix et de décision peut avoir un impact sur l’adoption d’outils reposant sur l’IA dans un contexte de consommation. Nous avons isolé deux variables, l’autonomie de choix de l’autonomie de décision, afin de déterminer si elles modifient individuellement notre probabilité d’adopter pareils outils.

La liberté, même quand le choix est compliqué

Que montrent systématiquement nos études ? De façon peu surprenante, plus l’autonomie de choix perçue et l’autonomie de décision perçue sont faibles, plus la probabilité d’acceptation de l’IA est faible. En d’autres termes, lorsque les consommateurs ont l’impression de disposer d’une autonomie de choix et de décision, ils sont plus susceptibles d’adopter une technologie reposant sur l’IA que lorsqu’ils ressentent un manque d’autonomie.

Que se passe-t-il lorsque l’IA est destinée à faciliter une décision d’achat complexe, par exemple, si un consommateur doit faire un choix sur la base de 20 attributs importants ? Serait-il alors plus enclin à renoncer à son autonomie ? C’était ce que nous imaginions à l’origine. Nous supposions que, lorsque des facteurs de complexité entraient en jeu, les consommateurs se fieraient davantage aux recommandations générées par les algorithmes. À notre grande surprise, même face à de telles complexités, les consommateurs souhaitent conserver leur liberté de choix et leur autonomie de décision.

Dans l’ensemble, les résultats de notre étude montrent que le désir des clients de préserver leur autonomie dépasse le besoin de réduire le temps et les efforts résultant de décisions complexes. Nous ne voulons pas que l’IA prenne complètement en charge nos tâches d’achat, car notre autonomie compte encore.

Quand l’identité est en jeu

Cela signifie-t-il que nous préférons toujours conserver notre autonomie plutôt que de céder nos choix et nos décisions d’achat à l’IA ? C’est le cas dans la plupart des situations. Sauf… lorsque nous pensons que l’IA peut nous aider à acheter les choses dont nous avons besoin pour mener à bien des activités que l’on considère importantes pour notre identité. La pêche, la pâtisserie et la course à pied sont, par exemple, des activités liées à l’identité. Des études antérieures ont pourtant montré que lorsque la technologie prenait en charge des fonctions pertinentes pour l’identité d’une personne, il en résultait une aversion pour la technologie car nous voulons effectuer ces activités nous-mêmes : nous ne pouvons pas nous considérer comme des boulangers si une machine fait la plupart du travail à notre place !

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Mais nos travaux montrent que, lorsqu’une activité est importante pour nous, nous sommes heureux de renoncer à notre autonomie d’achat au profit de l’IA, si celle-ci finit par nous aider. Un coureur passionné est par exemple plus susceptible de laisser l’IA acheter ses chaussures de course qu’un coureur occasionnel.

Ces effets se produisent parce que les outils d’achat reposant sur l’IA complètent les objectifs identitaires des consommateurs tout en leur permettant de s’attribuer le résultat. Si l’IA se charge, par exemple, de l’achat des chaussures d’un passionné, cela permet à ce dernier d’économiser du temps et de l’énergie pour courir. Il pourra alors dire sans gêne : « J’ai laissé l’IA acheter mes chaussures de course afin de pouvoir consacrer plus de temps à ce qui compte vraiment : la course à pied ! »

Patricia Rossi, Associate Professor of Marketing, SKEMA Business School et Mariyani Ahmad Husairi, Assistant Professor of Marketing, Neoma Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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