Ils ressortent avec leur sac à dos sur l’épaule, leurs manteaux et leurs têtes de monsieur et madame Tout-le-monde. Sur les Champs-Elysées encore grouillants à 4h du matin, les participants à la soirée Démonia se fondent dans la foule. Quelques heures plus tôt, ils étaient cagoulés, enchaînés, travestis, moitié nus. Ils dansaient sur de la grosse techno allemande, ils se caressaient discrètement, ils observaient des gens se faire ligoter par des pros du shibari. Ils étaient une autre personne, habillée de cuir et de latex, libre de ses fantasmes et de ses gestes. Ce moment hors du temps et de l’espace, ils l’attendent avec impatience tous les ans : la soirée Demonia, organisée par la boutique du même nom, temple du BDSM installé dans le 11e arrondissement de Paris, est LE rendez-vous des fétichistes et « joueurs » de tout poil.
La soirée commence dans la cabine d’essayage
Pour qui ne fréquente pas assidûment ces milieux, il faut un peu de préparation pour entrer dans le jeu. Même avec une accréditation presse, impossible d’échapper au dress code : tenue vinyle, latex, « wetlook » ou cuir « strictement obligatoire pour tous », me rappellent les organisateurs. J’ai beau retourner ma penderie, pas l’ombre d’une jupe en cuir. « Viens à la boutique, on va te trouver quelque chose », me propose Miguel, l’homme-orchestre qui gère le magasin. L’aventure commence là, dans la cabine d’essayage : enfiler une robe plus sexy que tous tes strings additionnés, c’est commencer à envisager son corps autrement et créer le personnage que l’on incarnera dans ce costume.
Les organisateurs ont prévu un vestiaire pour que les fêtards puissent se changer en arrivant. Pour moi, ça évite de traverser Paris en très-mini-jupe. Pour d’autres, c’est indispensable : les tenues sont bien plus extravagantes que je ne l’imaginais. Pendant que je me change rapidement, un petit monsieur à côté de moi prend son temps : cagoulé et enchaîné des pieds à la tête, avec pour seul « vrai » vêtement un slip en cuir, il semble un peu empêtré dans ses accessoires. En cinq minutes d’attente pour accéder au vestiaire, j’ai vu des fesses d’homme dépasser d’une micro jupe, des quinquas bedonnants en cuir les poils du ventre à l’air, des infirmières en short, beaucoup de peau, des jeunes, des vieux, des moches, des beaux. Tout le monde, quoi. Je suis saisie d’une angoisse : et si je croisais quelqu’un que je connais ? Genre le mec de la compta ou un membre de ma famille ? « Ça m’est déjà arrivé, et alors ? On est tous dans la même situation », me confiera plus tard Valentin*, trentenaire fringuant bossant dans la finance....
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