Les professionnels de santé appellent à un meilleur suivi de la santé des dirigeants, soulignant que de nombreux risques sont inhérents à leur fonction.
« Les dirigeants ? Mais par définition, ils sont en bonne santé ! » Le propos d’Erwan Deveze est résolument ironique. Manière, pour ce consultant en management, de souligner que la question de la santé des chefs d’entreprise n’est bien souvent pas considérée comme un « vrai sujet ». « Elle pâtit d’un réel manque de considération », regrette une médecin du travail.
Comme eux, des observateurs du monde de l’entreprise, dont de nombreux membres du corps médical, se sont penchés, mardi 19 novembre, sur la problématique de la santé des responsables d’entreprise, lors d’une conférence tenue à Paris. Organisée par la fédération régionale des services interprofessionnels de santé au travail (SIST) d’Ile-de-France, elle a été l’occasion pour les participants de déplorer le faible intérêt pour la question, véritable « zone d’ombre » de la santé au travail et, dans le même temps de tenter d’en dessiner les contours.
Un sujet rarement abordé, faisant l’objet de peu d’études… Et qui n’est pas suffisamment pris en compte par la réglementation, rappellent les professionnels de santé. « Les chefs d’entreprise, les autoentrepreneurs ne peuvent accéder pour leur propre santé, à la même offre de service que les salariés », précisait le rapport Lecocq sur la santé au travail, présenté en août 2018. « Les services de santé au travail n’effectuent pas de suivi de la santé des dirigeants s’ils ne sont pas salariés », déplore Céline Roux, déléguée générale de la fédération francilienne des SIST.
Difficulté pour les dirigeants à accepter de se pencher sur leur propre santé
Autre problématique : les chefs d’entreprise eux-mêmes accordent parfois une importance relative à leur propre santé. « Beaucoup de dirigeants salariés ne viennent pas aux visites médicales », poursuit Mme Roux. C’est souvent le manque de temps qui est invoqué. Mais derrière cette attitude peut transparaître toute la difficulté pour certains dirigeants à accepter de se pencher sur leur propre santé. « Ils ne s’autorisent pas forcément à prendre ce temps. Evoquer ses difficultés peut être perçu comme un signe de faiblesse », indique Mme Roux. « Il y a l’idée qu’il faut donner le change, ne pas perdre la face, même par rapport à soi-même, confirme Béatrice Gérard-Duprey, psychologue du travail en Ile-de-France. S’arrêter serait reconnaître sa fragilité et renverrait à de la vulnérabilité. »
Certains, toutefois, poussent la porte des cabinets. Et, parfois, craquent. « Des responsables n’ont plus de mot, seulement leurs larmes pour dire combien ils n’en peuvent plus », indique Mme Gérard-Duprey. Les origines de cette souffrance sont souvent les mêmes : « Ce sont essentiellement les conséquences d’un manque de dialogue, de paroles pour instruire les conflits liés au travail », poursuit la psychologue. Elle évoque également l’isolement, la solitude que peuvent connaître certains d’entre eux. D’autres facteurs peuvent s’additionner : surcharge mentale, stress, surcharge de travail, déficit de sommeil… « Dans les TPE, les dirigeants sont parfois des opérationnels le jour et des patrons s’occupant des obligations légales la nuit », résume Mme Roux.
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