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En prétendant fonder scientifiquement les « lois du marché », les économistes ont perdu de vue la relativité politique et philosophique de leur savoir, constate dans une tribune au « Monde » le professeur Michel Dévoluy.

Tribune. Les causes des crises actuelles semblent actées. Mondialisation débridée, finance dérégulée, avidité des grandes entreprises et inertie des responsables politiques seraient à l’origine des inégalités et du réchauffement climatique. Mais la mise en avant de ces explications occulte leur toile de fond commune : une science économique dominante dont l’autorité a favorisé et légitimé la victoire idéologique de l’économie de marché, y compris dans sa version hyper libérale contemporaine.

La théorie économique standard a investi nos esprits et modelé nos imaginaires jusqu’à guider nos comportements individuels et collectifs. Le résultat est là. Nous avons tous tendance, parfois à notre insu, à nous comporter comme les agents rationnels et calculateurs que postule la théorie. A force de mettre le marché au milieu du jeu, il a raflé toutes les cartes. Comment modifier la donne ?

L’économie est un domaine singulier. Née d’une branche de la philosophie morale, elle n’a cessé de se rapprocher des sciences exactes. En suivant cette voie, l’économie de marché dans laquelle nous sommes immergés apparaît comme « naturelle », car fondée sur des lois scientifiquement éprouvées, et donc de portée universelle.

L’économie de marché ne concerne qu’un moment de l’histoire

Mais ce n’est pas tout. En visant à la neutralité scientifique, la pensée économique moderne restreint sa capacité à nourrir en profondeur les débats politiques, sociaux et écologiques. Or il y a urgence en la matière. Pour avancer, il serait sage d’admettre qu’une théorieéconomique procède toujours d’une doctrine sous-jacente, c’est-à-dire d’une vision du monde. Le système économique actuel n’échappe pas à cette réalité. Affirmer qu’il n’y aurait pas d’autres alternatives revient à nier la dynamique de l’histoire et à se figer sur une seule façon de penser l’activité économique.

Bien sûr, le champ de l’analyse économique s’est approfondi et diversifié. L’attribution à partir de 1969 du prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel est là pour témoigner de la créativité des chercheurs. Le couronnement, en 2019, des travaux sur « l’évaluation par échantillonnage aléatoire » des politiques publiques est à cet égard exemplaire. Mais la haute technicité de ces recherches entretient, en creux, l’image de la totale impartialité de l’analyse économique.

Or, l’économie de marché ne concerne qu’un moment de l’histoire. Si nous croyons aujourd’hui ce système indépassable, c’est parce que les économistes ont dé-historisé et dé-politisé leur science. Cette démarche, sans doute éclairante à l’origine, est devenue un obstacle à une compréhension globale du monde en mouvement.


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