Déterminer l'âge d'un individu implique de prendre en compte les différents âges de sa vie. Sameer Daboul/Pexels, CC BY-NC-ND
Quel âge avez-vous vraiment ?
Isabelle Seguy, Institut National d'Études Démographiques (INED); Daniel Courgeau, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Henri Caussinus, Université Fédérale Toulouse Midi-PyrénéesDonnée quantitative, l’âge civil, c’est-à-dire calculé à partir de la date de naissance enregistrée à l’état civil, est à la base de la démographie depuis que les premiers démographes ont établi, il y a plus de trois siècles, le lien entre mortalité et âge.
L’utilisation privilégiée de cette variable dans l’exploitation et la mise en lumière de tous les phénomènes démographiques peut laisser entendre que l’âge civil est le déterminant de tous ces comportements. Cependant, si cette notion de temps écoulé entre la naissance et le phénomène étudié est aujourd’hui banale, elle ne doit pas masquer les différentes réalités qu’elle recouvre selon les locuteurs, les lieux et les époques.
L’âge social est le reflet de la place qu’occupe, à un moment donné, un individu au sein de la société à laquelle il appartient.
Cet âge, qui lui assigne des droits et des devoirs, est une donnée relative selon la perception que les acteurs ont des continuités ou des discontinuités de leur propre vie, et celle que le groupe social a des étapes qui rythment le cycle de vie, comme l’ont montré les travaux de Tamara Haraven.
Par exemple, un âge social-clé est celui de la majorité, variable d’une société à l’autre. Ainsi, selon le droit romain, les filles accédaient à la majorité civile (âge légal à partir duquel une personne est reconnue comme pleinement capable et responsable) et matrimoniale (âge à partir duquel le consentement des parents au mariage n’est plus exigé) à 12 ans et les garçons à 14 ans, proche de l’âge de la puberté. Mais au XVI? siècle, avec l’édit d’Henri III, la majorité matrimoniale s’en éloigne, passant respectivement à 25 et à 30 ans, et la majorité civile à 25 ans (jusqu’en 1789).
Actuellement, l’âge de la majorité varie de 15 à 21 ans dans le monde. Dès lors, les adolescents peuvent être considérés comme des non-adultes ou comme des adultes, selon que le droit en vigueur les engage ou non dans les activités de leurs aînés et les exposent précocement à certains risques (exercices militaires, activités professionnelles, maternités précoces, etc.).
L’âge biologique
Enfin, l’âge biologique est une autre mesure du temps qui sépare la naissance du moment étudié. Celle-ci est toutefois très variable d’un individu à l’autre car elle repose sur des indicateurs biologiques de croissance pour les sujets immatures (les enfants et les adolescents), ou de vieillissement pour les adultes.
Il s’agit d’une caractéristique moins liée au type de société que l’âge social, mais elle peut grandement varier en fonction des conditions de vie des individus. Ainsi, sur le temps court de quelques générations, on a pu constater un abaissement de l’âge moyen de la puberté et une accélération des processus de croissance en relation avec l’amélioration récente de l’alimentation, de l’hygiène et des soins médicaux.
Bien que chacun grandisse et vieillisse à des rythmes différents, ces processus restent circonscrits dans un schéma évolutif bien défini qui autorise une liaison statistique – faible – entre un stade biologique et un âge civil. Par exemple, la perte des premières dents de lait intervient généralement entre 5 et 7 ans, mais certains enfants les perdent plus tôt ; d’autres, plus tard. Il faut tenir compte des cas atypiques, et on ne peut donc pas dire avec certitude qu’un sourire édenté correspond à un enfant de 5-7 ans.
Alors que la relation entre âge social et âge civil dépend fortement de la société et de sa législation, la relation entre les indicateurs d’âge biologiques et l’âge civil des individus ne peut se définir que par leur corrélation statistique. Celle-ci est calculée au moyen de « données de référence », c’est-à-dire issues d’un échantillon d’individus pour lesquels on connaît simultanément les deux âges.
Comment estimer l’âge en l’absence d’état civil ?
L’âge est une notion fondamentale pour de nombreuses spécialités relevant des sciences humaines, sociales ou médicales. Toutefois, il arrive qu’il ne puisse pas être directement mesuré, soit parce qu’il n’y a pas d’état civil, soit parce que celui-ci est très déficient. L’estimation indirecte de l’âge, quels que soient les objectifs disciplinaires poursuivis, repose sur un même principe méthodologique, qui consiste à comparer des indicateurs biologiques, de croissance pour les enfants et de vieillissement pour les adultes, observés sur des individus vivants ou décédés, à des tables de référence reliant le stade biologique observé à un ou plusieurs âges calendaires.
Ces tables sont construites à partir de petits échantillons de population, de sexes et d’âges connus, sur lesquelles des caractères de croissance ou de sénescence ont été observés et classés en fonction de l’âge atteint par chacun des individus considérés.
Travailler à partir de sources anciennes
Dès lors, deux écueils sont à éviter. L’un est de nature biologique et nécessite d’accepter le postulat que les processus de croissance et de sénescence sont invariables dans le temps et dans l’espace. L’autre, de nature statistique, résulte de la faible corrélation entre l’âge biologique et l’âge civil.
Bien que l’un et l’autre soient une expression du temps écoulé entre la naissance et l’observation, l’âge biologique suit des rythmes individuels et son estimation s’inscrit dans une fourchette chronologique assez large. Parfois beaucoup trop large pour que la réponse – correcte statistiquement – garde sa pertinence par rapport à la demande sociale ; mais taire la marge d’incertitude expose à un risque d’erreur qui peut être lourd de conséquences individuelles, sociales, voire pénales.
Un certain nombre de travaux ont d’ores et déjà été réalisés pour pallier au mieux ces inconvénients ; une nouvelle méthode statistique a récemment été proposée, améliorée, et appliquée en anthropologie biologique comme nous l’avons fait par exemple sur des sites antiques et médiévaux bas-normands.
En effet, pour les époques anciennes, les sources écrites permettant de connaître l’âge au décès des populations sont très peu nombreuses, ce qui a incité les paléodémographes à utiliser les informations livrées par les squelettes humains mis au jour par les archéologues.
Son principe trouve(rait) d’autres applications concrètes, car de nombreuses disciplines sont confrontées à l’arbitraire du calendrier et de l’état civil et doivent tenter de rapprocher des temps biologiques d’une division normée du temps.
Des enjeux très contemporains
Or, la corrélation imparfaite entre âge biologique et âge civil n’a pas toujours été perçue à sa juste mesure, même quand les enjeux le nécessitaient. C’est par exemple le cas avec l’épineuse question de la détermination de l’âge des mineurs isolés à partir de critères osseux et dentaires. Ce n’est que très récemment que le manque de fiabilité des résultats obtenus et la nécessité de prendre correctement en compte leur marge d’erreur ont été admis.
Toutes les méthodes disponibles sont imparfaites. Comme indiqué plus haut, outre qu’elles doivent éviter plusieurs sortes de biais, la réponse la plus adéquate ne saurait être fournie qu’avec une évaluation correcte de l’incertitude, évaluation nécessairement de nature probabiliste. La méthode statistique, introduite pour la paléodémographie, adaptée aux aspects très spécifiques de la problématique médico-légale (flux des sujets examinés à la demande de la justice par un service donné, questions éthiques, etc.), peut être préconisée. Elle pourra conclure par exemple que, dans telles circonstances, la personne examinée a sept chances sur dix d’avoir plus de 18 ans.
On notera qu’à travers la détermination d’un âge civil, c’est bien souvent une question d’âge social qui est en jeu, qu’il s’agisse d’évaluer la fiabilité des âges déclarés ou d’étudier la démographie de populations ne disposant pas d’un bon état civil. Le reconnaître nécessite un changement de paradigme.
Isabelle Seguy, Chercheur, Institut National d'Études Démographiques (INED); Daniel Courgeau, Directeur de recherche émérite, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Henri Caussinus, Professeur émérite, statistique mathématique, Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.