Pourquoi pratiquer le seins nus n’a rien d’anodin

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Pourquoi pratiquer le seins nus n’a rien d’anodin

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Pourquoi pratiquer le seins nus n’a rien d’anodin 

Thelma Bacon, Université d'Angers

La nudité ou la semi-nudité telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui en France relève davantage des espaces privés que des espaces publics et la dénudation totale ou partielle ne peut s’effectuer sans heurts que dans des endroits spécifiques tels que les vestiaires d’un établissement sportif.

Ainsi, exposer en public sa poitrine n’est pas un geste anodin. Cette exposition peut être un acte militant comme lors de la récente irruption de militantes FEMEN à un rassemblement de Jordan Bardella, mais exposer ses seins nus peut également être une simple pratique balnéaire avec pour objectif principal le confort induit par l’absence de haut de maillot de bain et l’évitement des marques de bronzage.

Seins nus tolérés à la plage

Ainsi, la plage constitue l’un des seuls endroits où il n’est pas déplacé de s’allonger partiellement dévêtu à côté d’inconnus. Il s’agit donc un espace-temps parfaitement délimité : le sable marque une frontière stricte et infranchissable au-delà de laquelle certaines pratiques, comme la dénudation du corps en maillot de bain ou encore plus lorsqu’il est question des seins nus, ne seraient pas acceptées.

Sur la plage, il est donc possible de se dénuder sans pour autant que cela ne vienne perturber les bonnes mœurs. Comment des femmes peuvent-elles alors se montrer seins nus sur la plage sans pour autant être érotisées par tous les hommes en présence ? Simplement parce que, selon le sociologue Jean-Claude Kaufmann, « l’exposition de la nudité rend le nu moins apparent ». Il est alors possible de parler de « construction de l’invisible », de banalisation. Un des arguments fréquemment employés par les femmes est le suivant : « On est toutes faites pareil ». Ainsi, toujours selon Kaufmann, « la banalisation procéderait de l’impersonnalité du sein en général. L’archaïque attirance visuelle ne serait alors due qu’à la rareté du bien qui, se transformant aujourd’hui en abondance, supprimerait tout attrait ».

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Or, cette libération apparente n’est en réalité que le déplacement de normes des cadres extérieurs vers des mécanismes intimes. Le fait de se dénuder à la plage représente alors un processus de civilisation et de contrôle de soi puisque des individus peuvent se voir quasi nus sans pour autant manifester d’émotions sexuelles. C’est une preuve de contrôle, d’intériorisation et même de refoulement des pulsions immédiates.

Ainsi, l’exposition des seins nus sur la plage n’est pas une pratique anodine et a nécessité un apprentissage de techniques particulières. Par exemple, concernant la manière de se placer, la position allongée représente celle qui offre le plus d’intimité. Pour les femmes adeptes de la pratique, le fait de se mettre debout relève d’une connotation différente : elles sont davantage observées et beaucoup se rhabillent lorsqu’elles se lèvent.

Il existe toutefois certaines « dérogations » lorsque par exemple l’action est justifiée (on ne se promène pas sans but) et particulièrement si le mouvement n’est pas prémédité (comme se relever pour récupérer un parasol envolé). Cela peut également être admis lorsque la distance parcourue n’est pas trop grande (certaines femmes s’installent alors en bordure de rivage pour raccourcir le trajet jusqu’à la baignade). De plus, l’attitude adoptée est primordiale : pour se lever et rester seins nus, il ne faut pas adopter une démarche traînante, avoir un but visé. En bref : il ne faut pas avoir l’air de vouloir « se montrer ».

Une pratique en déclin

Malgré cet apprentissage des techniques spécifiques, la pratique des seins nus, apparue à St Tropez dans les années 1960 a fortement décliné dans les années 2000. Selon une étude IFOP, si 43 % des femmes déclaraient pratiquer régulièrement les seins nus à la plage en 1984, elles ne sont plus que 19 % en 2019. Le phénomène est donc actuellement passé de mode. Mais pour quelles raisons ?

Dans un premier temps, il semblerait que le discours médical incitant à se protéger du soleil ait eu un fort impact puisque 56 % des Françaises interrogées évoquent les risques encourus par le soleil sur la peau comme frein à la pratique. Pourtant, si cet argument est effectivement le premier évoqué, il semblerait que le regard des autres, et plus particulièrement des hommes, soit en réalité le frein le plus important. Ainsi, 35 % d’entre elles évoquent le « regard concupiscent des hommes », 28 % évoquent « la crainte de critiques négatives » sur leur physique, 27 % évoquent « la crainte de faire l’objet d’une agression verbale, physique ou sexuelle », et 23 % évoquent « la crainte d’être perçue comme une femme impudique ou indécente ». Le regard des autres est d’autant plus prégnant lorsque la question est posée au moins de 25 ans puisque les risques médicaux n’arrivent qu’en quatrième position derrière le regard des hommes (59 %), la crainte d’une agression (51 %) et la crainte des critiques négatives sur le physique (41 %). Sur la plage, on peut donc identifier des limites qui séparent ce qui peut être fait et ce qui est déconseillé. Ces limites sont d’ordre géographique (le sable) et morphologiques (les femmes peuvent être jugées trop vieilles ou leurs seins jugés trop volumineux pour qu’il soit acceptable de les montrer).

Ainsi, tout en donnant l’impression de ne rien regarder d’autre que le paysage global, chacun observe en réalité ce qu’il se passe tout autour et le moindre écart de comportement ou de morphologie accroche le regard quel que puisse être le désir de la personne de ne pas regarder. Chacun observe chacun et chacun observe la manière dont il est observé. En réalité, la communication passe très peu par la parole, presque tout se joue dans le regard. Ainsi, les seins, habituellement cachés, une fois nus, attirent le regard. Ils impliquent donc un effort de contrôle du regard et des émotions qui ne doit néanmoins pas se donner à voir comme tel. La plage, c’est « l’art du voir sans voir ». Il n’existe donc pas d’action qui soit banale par nature et se dénuder sur la plage, « enlever son haut de maillot n’est pas un geste simple, naturel, sans problèmes ; il s’inscrit dans un processus historique et dans un ensemble de règles de comportements extraordinairement sophistiquées, définissant qui a le droit de faire quoi et comment », pour citer Jean-Claude Kaufmann.

Bien que les seins nus à la plage puissent inciter à une désexualisation de la nudité, cette désexualisation n’est pas systématique et nécessite un apprentissage de la part des pratiquantes, mais également des observatrices et observateurs.

Thelma Bacon, Doctorante en sociologie , Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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