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Pour promouvoir « Stranger Things », Netflix étend le récit au-delà des écrans

L'affiche de la saison 3 de Stranger Things. Netflix
Frédéric Aubrun, OMNES Education et Thomas Bihay, Université de Lille

Netflix ne manque pas d’originalité et d’imagination lorsqu’il s’agit de promouvoir ses séries à partir de stratégies dites de « transmédia storytelling ».

La promotion de la quatrième saison de Stranger Things (diffusée à partir du 27 mai 2022) ne déroge pas à la règle, la plate-forme de streaming ayant notamment misé sur un dispositif d’immersion dans « The Upside Down » (« le monde à l’envers »), qui constitue le cœur narratif de la série. L’occasion pour nous de revenir sur la manière dont les éléments narratifs centraux des séries de Netflix sont réinvestis dans des stratégies promotionnelles qui reposent sur leur déploiement au-delà de leur univers fictionnel.

Immerger dans l’univers fantastique de la série

Depuis le lancement de Stranger Things, Netflix étend son récit au-delà des écrans à des fins promotionnelles, en faisant notamment de « The Upside Down » un pilier d’

. Il s’agit de susciter l’engouement du public pour la saison à venir ou en cours à partir d’expériences immersives lors desquelles il s’imprègne de l’ambiance de la série tout en découvrant des éléments clés de son intrigue.

Le portail

développé par la plate-forme l’illustre très bien. Accessible via l’application Snapchat, il permet au spectateur de visiter une pièce centrale de l’histoire de la série, le salon-chambre de la maison de protagonistes dans lequel des créatures surgissent d’un univers parallèle dès la première saison. Il s’agit d’une expérience de réalité augmentée qui donne accès au fameux « monde à l’envers ».

Portal World Lens Snapchat.

Selon Lubomir Dolezel, les mondes fictionnels sont artificiels et présentent une incomplétude qui peut être alimentée par une infinité de récits connexes à leur trame centrale. Selon lui, il existe trois types de textures : la texture explicite qui désigne ce qui est déjà déterminé dans la fiction (donc, les événements, sujets ou encore objets qui apparaissent explicitement à l’écran), celle implicite qui construit le domaine indéterminé (c’est-à-dire l’ensemble des événements, personnages ou encore objets qui pourraient se produire ou exister dans les interstices ou en parallèle de ce qui apparaît déjà à l’écran) et, enfin, la texture zéro qui construit le domaine du vague.

Il s’agit pour Netflix, avec ce portail, de puiser dans ce que l’on appelle la texture explicite de l’univers fictionnel de la série.

À partir d’une « narration augmentée », Netflix donne accès à des éléments narratifs complémentaires qui se nourrissent de la texture explicite de l’univers fictionnel de Stranger Things, puisque les spectateurs reconnaissent ce lieu clef de l’intrigue.

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Plusieurs « Easter eggs » (des fonctions cachées) sont disposés dans les pièces visitées. Les joueurs/spectateurs peuvent les activer en interagissant avec chacune d’elles ou via l’application Shazam, puisque la musique du générique de la série déclenche l’ensemble d’entre elles. Elles renvoient à des scènes précises de la première saison, ce qui contribue à immerger les spectateurs dans l’univers fictionnel, tout en leur rappelant des scènes et événements centraux de la série. Par exemple, si les spectateurs cliquent sur le mur du salon à un endroit précis, le bras d’une créature en surgit, comme dans l’un des premiers épisodes.

Des stratégies sophistiquées

Pour d’autres séries, comme 13 Reasons Why, Netflix va plus loin et joue sur les textures explicite et implicite. Lors de la diffusion de la première saison, Netflix a lancé une opération digitale connectée à l’univers narratif de la série pour créer une expérience immersive dans l’univers de l’héroïne via la mise en place d’un site mobile, 13reasons.fr.

Au cours de cette saison, le spectateur assistait au suicide d’Hanna Baker, un événement faisant partie intégrante de la texture explicite et qui sera repris dans de nombreuses autres extensions narratives promotionnelles. Le site mobile a alors puisé son originalité dans la texture implicite liée à ce suicide, puisque le public a pu y découvrir tout un pan inexploré des raisons qui ont mené le personnage principal à cette décision tragique. En s’y connectant avec leur mobile, les spectateurs découvraient le contenu du téléphone de l’héroïne, qui est évoqué mais non montré dans la série.

Disséminer l’univers fictionnel dans la réalité

Pour valoriser ses séries, Netflix investit également des lieux réels. Pour promouvoir la quatrième saison de Stranger Things, la plate-forme s’est une fois encore appuyée sur la texture explicite de la série, en plaçant l’univers fictionnel au cœur de sa stratégie de transmédia storytelling, à partir notamment de l’installation de différentes failles surnaturelles au sein de grandes villes.

Ces failles représentent des portails vers le monde à l’envers, qui semble dès lors désormais accessible depuis la réalité. Ceci prolonge alors l’expérience de marque au-delà des écrans. Dans la même perspective, la fiction pénètre aussi dans la réalité à travers d’autres opérations de street marketing qui interpellent le public, comme l’installation d’un portail tentaculaire de 20 mètres de long sur la plage australienne de Bondi.

Exemple de portail installé sur la plage australienne de Bondi. Netflix
Exemple de portail installé sur la plage australienne de Bondi. Netflix

La semaine précédant le lancement de cette dernière saison, Netflix a proposé aux fans un jeu de piste dans le cadre d’une campagne de promotion, dans les rues de Londres. On pouvait y voir des affiches publicitaires vantant des produits, services ou villes emblématiques de l’univers de la série. Ces affiches contenaient des indices menant vers un lieu londonien où serait caché le portail vers le monde à l’envers. Par exemple, dans une annonce vantant Lenora Hills, California, une ville de la série, l’énigme contenait des mots en lettres majuscules irrégulières : « Realm » et « Peached » – un anagramme de « Dereham Place », le site de Shoreditch, à l’est de Londres – où les fans pouvaient trouver une faille vers « The Upside Down ».

Un jeu de lecture-décodage à partir des connaissances des fans s’est instauré, dans stratégie de ludicisation de plus en plus présente dans les productions culturelles, médiatiques ou dans les productions publicitaires – on parle d’« advergaming ». Au moment du lancement de la quatrième saison, les fans qui avaient trouvé les réponses ont pu accéder au portail, à travers une grande porte qui semblait avoir été percée par un Demogorgon (une référence à un monstre du jeu « Donjons et Dragons »). Après avoir traversé un tunnel sombre avec une lampe de poche, ils découvraient une étrange pizzeria, qui est un lieu central dans la série.

Toute la stratégie de transmédia storytelling repose ici sur la réappropriation de l’esthétique de la série dans l’espace urbain ou des espaces naturels à partir de la dissémination de décors, personnages (enquêteurs paranormaux, créatures, protagonistes…) ou encore d’autres référents comme la chaîne « Surfer Boy Pizza », qui est omniprésente dans la saison 4.

Cette stratégie n’est pas exclusive à cette dernière saison, puisque lors de la New York Comic-Con, une convention consacrée à la bande dessinée, aux jeux vidéo et à d’autres productions culturelles et médiatiques, des taxis vélos – de la marque de vélo mise en avant dans la série – avaient convoyé le public avec des conducteurs déguisés en Dustin, personnage phare de la série. De même, des affiches de Stranger Things, des téléviseurs cathodiques, des vélos ou encore des bornes d’arcade similaires à ceux de la série avaient envahi certaines stations du métro parisien.

Recycler l’imaginaire des années 1980

La culture médiatique contemporaine réinvestit sans cesse des éléments issus d’autres genres et médias : c’est ce que Philippe Marion nomme le « recyclage médiatique ».

Dans le cas de Stranger Things, cette logique repose sur de multiples références explicites et implicites aux années 1980 et, plus particulièrement, à la culture geek et aux jeux, productions culturelles, comportements ou encore tenues vestimentaires des adolescents de cette décennie.

Le jeu « Stranger Things : The Game », publié sous application Android pour promouvoir la deuxième saison, est symptomatique de ce recyclage médiatique, tout comme de l’advergaming. Il reprend l’esthétique des jeux d’arcade de l’époque et invite les joueurs à revivre les épreuves traversées par les personnages dans six lieux de l’intrigue comme la ville d’Hawkins, un laboratoire de recherche ou encore une forêt du monde à l’envers. Ils y découvrent quelques pans de la saison en avant-première, dont de nouveaux personnages, ce qui n’a pas entravé leur plaisir de la visionner.

Stranger Things : The Game.

À travers ce développement d’univers narratifs sur différents supports médiatiques et dans l’espace urbain, le caractère promotionnel du discours de Netflix tend à s’effacer au profit de la création d’un écrin médiatique. Cette stratégie de « dépublicitarisation » du discours promotionnel accompagne souvent le lancement des séries originales Netflix et des saisons suivantes, démontrant par-là même son emprise tentaculaire sur les imaginaires, à travers tous les moyens possibles.

Frédéric Aubrun, Enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC - École de Commerce Européenne, OMNES Education et Thomas Bihay, Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication - Département Infocom, laboratoire GERiiCO (ULR 4073), Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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