Mardi 11 juillet dernier, à Lausanne. Tony Estanguet sort de l’ultime grand oral de présentation de Paris 2024 devant les membres du CIO. Il décroche son téléphone et appelle son grand frère Patrice, à Pau. « Il voulait juste me dire que dans son discours, il avait parlé de nous, de notre histoire, raconte l’aîné. C’est évident que ce sont des moments qui nous ont marqués tous les deux. On est frères et on s’est retrouvés pendant plusieurs années à vouloir la même chose. Sauf qu’il n’y avait pas de place pour deux. » Et que les victoires du benjamin, les premières tout du moins, ont également été les échecs de son aîné.
De cette histoire découle le lien, ambigu parfois, grisant et profond toujours, qui unit le triple médaillé d’or de canoë (2000, 2004 et 2012) à l’olympisme. Tony Estanguet s’en est servi, depuis le début de l’aventure Paris 2024, pour convaincre le CIO de choisir la capitale française pour accueillir les Jeux olympiques, dans sept ans. La victoire, officialisée mercredi soir à Lima, ne peut se résumer à lui mais porte incontestablement son empreinte. « Tony a vraiment émergé pendant cette campagne, dit Mike Lee, l’influent lobbyiste anglais rallié au projet. Il s’est transformé en vrai leader de la candidature et est désormais reconnu au niveau international. »
« Un leader issu du monde du sport » voulu par Hollande
De « mec qui fait du canoë » à boss des Jeux du centenaire, Estanguet, 39 ans, a bien grandi. Flash back. La scène se déroule le 12 février 2015, à l’Hôtel de Ville de Paris. Les représentants du mouvement sportif français, menés par Bernard Lapasset, présentent leur étude d’opportunité sur une éventuelle candidature de Paris à l’organisation des JO 2024. Juste après, face aux micros, celui qui est encore président de la Fédération internationale de rugby surprend tout le monde en annonçant que si Paris décide vraiment d’y aller, Tony Estanguet présidera le comité de candidature à ses côtés. L’intéressé, en train de discuter à quelques mètres de là, n’était même pas au courant. Pas besoin. Ce qui est perçu par beaucoup comme un pari n’est qu’une évidence.
L’ancien céiste est vite apparu aux yeux de Bernard Lapasset comme le chaînon manquant à la France pour, enfin, décrocher les Jeux olympiques. Athlète accompli et intéressé par la chose politique, Tony Estanguet correspond au portrait-robot du « leader issu du monde du sport » voulu dès 2012 par le président Hollande. En plus, c’est un défi qui le branche. « J’avais besoin de ce challenge, pour découvrir de nouvelles choses sur moi, pour vivre autre chose, nous raconte-t-il aujourd’hui. Et, là pour le coup, je suis sorti de ma zone de confort. »
L’homme est préparé, tout de même. Dès l’après-Athènes, en 2004, il pense à la suite. Diplômé de l’Essec (une grande école de commerce) en 2005, il prend une grosse claque trois ans plus tard à Pékin. Il pensait décrocher une troisième médaille d’or, il sortira dès les demi-finales. Pas loin d’arrêter, il repart finalement pour quatre ans, tout en amorçant sa reconversion, qu’il souhaite « dans le sport de haut niveau et dans l’olympisme ».