Parcoursup : les adolescents face au stress des choix d’orientation

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Les rêves offrent un espace pour se construire et se préparer à la rencontre avec la réalité. Shutterstock

Parcoursup : les adolescents face au stress des choix d’orientation

Les rêves offrent un espace pour se construire et se préparer à la rencontre avec la réalité. Shutterstock
Dominique Méloni, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

L’orientation est une source de stress considérable pour les jeunes. Si c’est souvent en fin d’année scolaire, lors de la diffusion des résultats d’admission post-bac, que l’opinion publique en prend conscience, ce phénomène va bien au-delà des échéances de fin d’année scolaire. Il toucherait deux tiers des jeunes de 18 à 25 ans, selon une enquête menée par le CREDOC (Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) pour le CNSECO (Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire).

Bien que le stress paraisse augmenter à l’approche de la classe de terminale, les collégiens expriment déjà eux aussi massivement leurs difficultés face à ces choix d’avenir.

Alors que les lycéens reçoivent à compter du 1er juin 2023 sur Parcoursup les premières réponses à leurs demandes d’inscription dans l’enseignement supérieur, interrogeons-nous sur ce que représente l’orientation pour les nouvelles générations.

Si de nombreux dispositifs sont mis en place pour aider les élèves à construire leurs parcours, on continue généralement de se focaliser sur des enjeux d’insertion scolaire, universitaire, ou socio-professionnelle. On oublie souvent la spécificité du temps dans laquelle s’inscrivent ces échéances, l’adolescence, qui agit sur la manière d’envisager des projets d’avenir.

L’orientation, cap important vers l’âge adulte

Le choix d’orientation marque souvent une des premières prises de responsabilité des adolescents. Associé au développement de leur autonomie, il implique une distanciation avec les parents, et donc la perte de leur protection. Les appréhensions face à l’avenir sont encore plus fortes quand les élèves ont l’impression d’être démunis face à la complexité des filières et des procédures ou d’avoir un niveau trop faible.

Les jeunes se plaignent fréquemment de l’injustice des dispositifs d’orientation, et leur détresse peut dès lors se mêler à un sentiment de colère. Sans préjuger de son bien-fondé, cette plainte interpelle l’institution et, à travers elle, les adultes, à la fois critiqués et recherchés pendant ce processus d’autonomisation.

Bien que les choix d’orientation soient moins tributaires qu’auparavant des traditions sociales et familiales, à travers eux, les adolescents se situent néanmoins dans une filiation en affirmant leur proximité avec un membre de leur entourage exerçant dans la voie envisagée ou manifestant son intérêt à son égard. C’est pourquoi la valorisation procurée par l’admission dans un cursus est aussi une façon d’espérer satisfaire les personnes importantes à leurs yeux.

« Être pris », « être refusé », « savoir s’ils veulent de moi » sont autant d’expressions que les jeunes utilisent pour signifier leurs préoccupations. Dès lors, les choix d’orientation engage la construction de l’image de soi à plusieurs niveaux. Tout d’abord, leur émission reflète l’idée que les adolescents se font d’eux-mêmes selon, notamment, leur assurance, leurs caractéristiques sociales, leur féminité/masculinité, comme le développe notamment Françoise Vouillot.

Les réponses qu’ils reçoivent façonnent à leur tour leur représentation d’eux-mêmes. Non seulement elles renforcent ou affaiblissent leur confiance en eux mais elles consolident, ou au contraire, remettent en question leur identité, puisqu’à travers elles, l’espace social émet un jugement sur l’adéquation de leur personnalité avec la place envisagée.

Choisir et affirmer son identité

L’élaboration d’un projet d’orientation s’apparente effectivement à celle d’un « projet identitaire » selon la formule de Piera Aulagnier. Avec lui, l’adolescent cherche à repérer ses désirs, à les affirmer, à les faire reconnaitre. Le projet lui permet ainsi de s’authentifier en évoquant ses rêves, ses idéaux, ses désirs, mais aussi leurs limitations. Toutefois, il reste soumis à la reconnaissance sociale, par la sélection et la remise de diplôme.

En d’autres termes, alors que le projet représente pour l’adolescent une occasion de prendre la parole en son nom en énonçant comment il souhaite se situer dans la vie collective, l’admission ou le refus dans la filière demandée soutient ou, au contraire, destitue cette tentative de s’affirmer en tant que personne.

#DitesNousTOUT : votre orientation, un choix de cœur ou stratégique ? (Région Occitanie, 2017).

Toutes les formes de stress ne sont néanmoins pas équivalentes. Certaines concernent davantage la crainte de manquer d’informations sur les voies existantes, sur les débouchés ou sur le quotidien d’une activité professionnelle. D’après nos observations de terrain, issues de nos recherches sur le vécu de l’orientation menées en établissements scolaires de différentes académies, ces préoccupations sont plus prégnantes chez des élèves ou chez des étudiants de milieux sociaux défavorisés. Centrées sur le fonctionnement et sur les attentes sociales, elles renvoient à un manque de repères externes.

À ces préoccupations se mêle une quête de repères internes mis à mal à l’adolescence avec les transformations physiques et psychiques. Sous cet angle, le stress de l’orientation pourrait être requalifié en angoisse. Avec lui, il s’agit finalement de l’angoisse liée au risque de perdre l’amour et l’estime de sa famille en n’étant pas à la hauteur des attentes, de l’angoisse face à la responsabilité d’affirmer ses désirs face aux demandes sociales, de l’angoisse du « qui suis-je ? »

Quelques situations amplifient cette angoisse identitaire, comme le cas où les adolescents sont plus fragiles psychiquement. De même, les élèves « orientés par défaut » ou soumis à « une orientation subie », déjà en difficultés scolaires, ne parviennent pas à se sentir reconnus quand ils énoncent leurs projets au point pour certains d’affirmer « ne pas avoir d’avenir » ou « d’être bon à rien ».

Cette angoisse peut encore être oppressante pour les élèves issus de milieux sociaux défavorisés qui se sentent engagés dans un avenir sans issue, mais aussi éprouvante pour les élèves de milieux sociaux favorisés soumis à des pressions exigeantes. Enfin, elle peut être alimentée par l’assignation à un stigmate social, culturel ou médical, qui assujettit les adolescents aux projets des autres à leur égard, les dépossédant de leur avenir. Ainsi, comme nous avons pu le montrer dans un précédent article, bien que les élèves atteints d’un handicap soient régulièrement amenés à énoncer leurs projets d’avenir, leurs paroles sont finalement peu prises en compte.

Des rêves à concilier avec les enjeux du monde contemporain

Inhérente au processus de l’adolescence, l’angoisse du choix d’avenir est particulièrement forte alors que montent les inquiétudes environnementales, sociales ou géopolitiques, rendant difficile la projection dans l’avenir, et par conséquent, les rêves de jeunesse. Or les rêves sont fondamentaux à l’adolescence. En fournissant un espace protégé, ils accordent du temps pour grandir et imaginer une façon de se présenter aux autres avant de pouvoir affronter la rencontre de la réalité.

Pour autant, le contexte ne nous dédouane pas d’interroger la responsabilité des adultes. Il pourrait paraître paradoxal que le stress ou l’angoisse s’accroisse au moment même où l’institution aspire à développer des pratiques éducatives bienveillantes. Dans ce sens, Pierre Boutinet remarque la contradiction d’une position institutionnelle qui encourage les élèves et les étudiants à exprimer des choix pour finalement ne pas en tenir véritablement en compte. Les projets envisagés sont aussitôt confrontés à la réalité menaçante du poids des notes, du nombre de places en établissement et du manque de débouchés.

En somme, l’exigence de performance pousse à développer des compétences scolaires, professionnelles et sociales afin de maîtriser l’orientation. Mais le discours porteur de promesses d’émancipation au travail ne permet pas de prendre en compte les inquiétudes des adolescents en restant focalisé sur l’idée qu’une « bonne orientation » assurerait l’avenir.

Ce discours pourrait pourtant s’essouffler avec les successions de crises sociales et de crises d’emploi, ou encore, avec le développement de la souffrance au travail. Pour l’heure, en évitant le questionnement intime des adolescents, le risque est de ne pas les considérer à travers leur histoire personnelle, mais comme des élèves ou des étudiants permutables et malléables à souhait.

Dominique Méloni, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation, spécialité psychologie de l’éducation. Psychologue clinicienne, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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