Le politiste Jonathan Holslag dénonce, dans une tribune au « Monde », les liens historiques entre la firme chinoise de télécoms et le gouvernement de Pékin, principal acteur de sa spectaculaire expansion internationale.
Tribune. « Huawei est un groupe comme les autres, » a déclaré la secrétaire d’Etat chargée des télécoms, Agnès Pannier-Runacher, dans une interview accordée au Monde publiée le 10 avril, ajoutant : « Je suis ravie que Huawei (…) investisse sur notre marché. » N’est-il pas étrange qu’une haute responsable française proclame cela au moment où le président de la République essaie de persuader la Chine d’être plus ouverte aux entreprises européennes et de rééquilibrer les rapports commerciaux entre la Chine et l’Union européenne (UE) ? Non, Madame la secrétaire d’Etat, Huawei n’est pas un groupe comme les autres.
Laissons pour l’instant de côté la dimension sécuritaire, déjà abondamment commentée. Huawei n’est pas une entreprise semblable à ses concurrentes européennes, Nokia ou Siemens. Même si elle investit énormément dans la commercialisation de ses produits sur le marché mondial, même si elle est maintenant perçue comme une marque comme les autres, Huawei reste d’abord et avant tout un atout du capitalisme d’Etat chinois. Comme l’a dit son fondateur Ren Zhenfei, en 2012, « sans la protection du gouvernement, Huawei ne serait plus vivant. »
Huawei doit respecter une loi chinoise qui demande à toutes les entreprises nationales de partager leurs données avec le gouvernement de Pékin
Huawei a élargi sa position en trois étapes.
Au début, M. Ren, lui-même ancien militaire, a cultivé des relations privilégiées avec les forces armées chinoises, qui ont ouvert la voie à ses premiers contrats.
La deuxième étape a été de persuader le gouvernement de limiter la présence des entreprises européennes sur le marché chinois. Pékin a effectivement changé la réglementation des investissements. En 2000, des entreprises étrangères contrôlaient encore plus de 50 % du marché chinois de la téléphonie mobile ; en 2010, ce n’était plus que 10 %, et Huawei en contrôlait 45 %.
Un risque de sécurité
Avec une telle protection sur un marché de 1,4 milliard de consommateurs, Huawei ne pouvait que grandir très rapidement. De plus, l’entreprise a bénéficié d’un soutien financier inédit.
Officiellement, Huawei n’est pas une entreprise d’Etat, mais la structure de propriété de l’entreprise reste aussi nébuleuse. En 2009, des actionnaires chinoises ont injecté près de 4,5 milliards d’euros, un énorme montant. L’identité de ces investisseurs reste inconnue. Le gouvernement a mis à la disposition au moins 870 millions d’euros des subventions. Cela, en plus des restrictions imposées aux investisseurs étrangers, a permis d’agrandir sa capacité de production et de baisser les prix de ses produits beaucoup plus que ceux de ses concurrents.
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