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Valerie Leon dans Blood from the Mummy’s Tomb (en français : La Momie sanglante), 1971.

Mais où se trouve la momie de Cléopâtre ?

Valerie Leon dans Blood from the Mummy’s Tomb (en français : La Momie sanglante), 1971.
Christian-Georges Schwentzel, Université de Lorraine

Rien ne subsiste du tombeau « d’une élévation et d’une somptuosité étonnantes » que Cléopâtre se fit édifier, non loin du palais royal, au nord-est d’Alexandrie, selon l’auteur antique Plutarque (Vie d’Antoine 74).

Vaincue par Octave, le futur empereur Auguste, la reine y fait entasser toutes ses richesses, au cours de l’été 30 av. J.-C.

Lorsqu’il pénètre dans Alexandrie, le vainqueur craint que Cléopâtre se donne la mort en mettant le feu à ses trésors. Il souhaite s’emparer d’elle vivante autant que de ses richesses qui seront, espère-t-il, les principaux ornements de son triomphe à Rome.

Au même moment, Marc Antoine, maître déchu de l’Orient romain et amant de Cléopâtre, rate son suicide. Il se frappe avec son glaive, mais pas suffisamment fort pour mourir sur le coup. À l’agonie, se vidant de son sang, il est transporté par des serviteurs jusqu’au tombeau de la reine. Comme les portes en ont été barricadées, Marc Antoine mourant doit être hissé jusqu’à une fenêtre au moyen de cordes. Une fois arrivé au sommet, il expire dans les bras de sa maîtresse.

Antoine mourant rapporté à Cléopâtre, tableau d’Eugène-Ernest Hillemacher, 1863. Grenoble, Musée de Peinture et Sculpture.

Un mausolée en forme de tour

L’anecdote racontée par Plutarque a l’avantage de nous renseigner quelque peu sur l’aspect de la dernière demeure de Cléopâtre : c’était une haute tour, suivant le modèle du fameux mausolée d’Halicarnasse, élevé au IVe siècle av. J.-C., par Mausole, dynaste de Carie, dans l’actuelle Turquie.

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Octave, raconte Plutarque, envoya ses hommes s’emparer de Cléopâtre. Ils parvinrent à pénétrer dans le mausolée, en passant par une ouverture qui se trouvait dans la partie supérieure de l’édifice et réussirent à immobiliser la reine, au moment où elle allait se tuer d’un coup de poignard.

Reconstitution du mausolée d’Halicarnasse. Bodrum, Musée d’archéologie sous-marine. CC BY

Les hommes d’Octave vérifient que leur prisonnière ne porte plus aucune arme sur elle. Puis Cléopâtre est placée en résidence surveillée dans une chambre du palais royal. C’est là qu’elle parvient à se suicider au moyen d’un serpent qui lui est apporté, caché sous des figues, selon l’étonnant scénario évoqué par Plutarque. Un suicide fascinant qui connut une étonnante postérité littéraire et artistique.

Cléopâtre et Marc Antoine réunis dans la mort

Le corps de la reine est alors, de toute évidence, embaumé, comme l’ont été les dépouilles de ses prédécesseurs, Alexandre le Grand et les souverains de la dynastie des Ptolémée dont elle est l’ultime représentante. La momie est ensuite déposée dans le mausolée, où la rejoint le corps de Marc Antoine. Le Romain avait, en effet, formulé dans son testament le souhait que sa dépouille soit placée à côté de celle de Cléopâtre (Plutarque, Vie d’Antoine 58). Et la reine avait confirmé cette ultime volonté dans une lettre adressée à Octave quelques instants avant son suicide (Plutarque, Vie d’Antoine 85).

Le mausolée n’a pas été retrouvé. Ce qu’il en reste doit reposer aujourd’hui quelque part sous les eaux de la zone orientale du grand port d’Alexandrie. L’archéologue Franck Goddio y a mené des recherches sous-marines en 1996, sans parvenir à identifier les vestiges du fameux monument.

Par contre, le témoignage de Plutarque contredit formellement l’hypothèse avancée par l’archéologue Kathleen Martinez, qui pensa, au début des années 2000, pouvoir découvrir la sépulture de Cléopâtre et Marc Antoine à Taposiris Magna, à quelque 40 kilomètres à l’ouest d’Alexandrie.

La forte médiatisation de ces recherches traduit néanmoins le puissant intérêt que suscite toujours, auprès du grand public, le tombeau de la reine devenue mythique.

Dévotion posthume pour une souveraine regrettée

Cet intérêt remonte aux années qui suivirent la mort de Cléopâtre. La reine fit l’objet d’un culte posthume, sans doute parce qu’elle fut une dirigeante politique compétente, regrettée par ses sujets, au contraire de la légende de la putain royale, diffusée par la propagande d’Octave.

C’est ce que suggère un graffiti en égyptien démotique, gravé au IVe siècle apr. J.-C., dans le temple de la déesse Isis à Philae, évoquant une « statue de Cléopâtre » qui fut redorée par un prêtre nommé Pétésénouf.

Sur une plaquette en bronze du IIe ou du IIIe siècle apr. J.-C., l’historien Richard Veymiers est parvenu à lire, entre les représentations de divinités égyptiennes, une inscription grecque signifiant : « Grand est le nom de Sarapis, grande est Néôtéra l’invincible ».

Plaquette en bronze aux noms de Sarapis et Néôtéra. Paris, Cabinet des Médailles. cairn

Théa Néôtéra, ou « Déesse la plus jeune », est le surnom divin que prit Cléopâtre en 37 av. J.-C. Le texte pourrait ici, me semble-t-il, faire référence à la reine divinisée, vue comme la manifestation terrestre la plus récente de la déesse Isis, épouse du grand dieu Sarapis.

Le mausolée de Cléopâtre à Alexandrie était au cœur de ces dévotions posthumes. Il fut certainement fermé et pillé lors de la christianisation de l’Empire romain, à la fin du IVe siècle apr. J.-C. Ses restes s’effondrèrent ensuite dans la mer lors des séismes qui frappèrent Alexandrie et ses environs au début du Moyen Âge.

Bonaparte et la momie de Cléopâtre

La dépouille de Cléopâtre disparut vraisemblablement lors du pillage de son tombeau. Elle n’en continua pas moins à hanter les esprits, suscitant de nombreux fantasmes en Occident, à partir de la fin du XVIIIe siècle.

Conséquence de l’égyptomanie ambiante, les momies sont alors à la mode. Le Cabinet des médailles, à Paris, aurait conservé la dépouille de l’ancienne reine, selon une légende relayée par la presse de l’époque.

On racontait que le cadavre de Cléopâtre avait été découvert lors de l’expédition de Bonaparte en Égypte. Le général lui-même aurait passé une nuit avec elle dans sa tente, dressée au pied d’une pyramide. Il l’aurait ensuite rapportée en France, dans ses bagages, et remise au Cabinet des médailles.

Mais la dépouille ne supporta pas le climat parisien. Elle se mit à pourrir et fut finalement enterrée dans le jardin de la Bibliothèque nationale de France. Cette légende repose sur quelques faits réels, comme l’a montré Julien Olivier, conservateur à la BNF.

Il y avait bien, au XIXe siècle, une momie exposée au Cabinet des médailles que des étudiants, férus d’égyptologie, se plaisaient à nommer « Cléopâtre ». Il est possible que, détériorée par l’humidité, elle ait finalement été enfouie du côté de la rue Vivienne.

Evandale et Rumphius découvrent la momie de Tahoser. Théophile Gautier, Le Roman de la momie, illustration de Georges-Antoine Rochegrosse.

Séduisantes dépouilles

De cette légende se dégage un érotisme nécrophile également présent dans la littérature du XIXe siècle. « Oh ! que je donnerais volontiers toutes les femmes de la terre pour avoir la momie de Cléopâtre ! », écrit Gustave Flaubert dans Par les champs et par les grèves (1847).

Dans Le pied de momie, nouvelle de Théophile Gautier (1840), le narrateur fait l’acquisition du pied embaumé d’une princesse égyptienne dont il entend se servir comme presse-papier. Il décrit l’objet avec délectation : « Les doigts étaient fins, délicats, terminés par des ongles parfaits, purs et transparents comme des agathes (sic) ».

Gautier est aussi l’auteur du célèbre Roman de la momie (1858) qui confirme ce lien fantasmé entre beauté féminine et mort. Dans ce livre, deux archéologues, Lord Evandale et le docteur Rumphius, découvrent la momie parfaitement conservée d’une jeune souveraine égyptienne nommée Tahoser.

La « main de Cléopâtre ». Collection privée.

La « main de Cléopâtre »

Au XIXe siècle, des voyageurs occidentaux, toujours plus nombreux, visitent la vallée du Nil afin d’assouvir leur passion pour l’Égypte ancienne. Ils pouvaient y acheter, en guise de souvenirs, des objets antiques dont le marché n’était alors guère réglementé. Les plus audacieux rapportaient chez eux des morceaux de momie qu’ils exhibaient fièrement à leurs invités, lors de soirées mondaines.

Parmi ces restes macabres, une main féminine, présentée comme celle de Cléopâtre, est acquise par Sir Thomas Bowser (1749-1833), officier britannique, lors de son passage en Égypte en 1794. Redécouverte chez un collectionneur américain, elle est vendue aux enchères en 2011.

Affiche du film Blood from the Mummy’s Tomb (en français : La Momie sanglante) de Seth Holt, 1971.

Films d’horreur et égyptomanie sanglante

La momie de Cléopâtre apparaît au cinéma, dès 1899, grâce à Georges Méliès qui choisit Jehanne d’Alcy pour incarner la toute première pharaonne cinématographique. L’œuvre nous fait assister à la profanation du tombeau de la reine. Sa momie est carbonisée mais Cléopâtre surgit soudain de la fumée.

Plus tard, en 1971, Valerie Leon incarne une nouvelle momie de reine égyptienne, extrêmement bien conservée, dont la main droite, devenue immortelle, a été amputée par de cruels prêtres égyptiens.

Un bel exemple d’égyptomanie et d’érotisme sanglant.


Christian-Georges Schwentzel a publié en septembre 2022 Cléopâtre, aux éditions PUF, collection « Biographies ».

Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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