L’utopie contrariée de Rudolf Diesel

Economie

L’ingénieur allemand invente le moteur qui portera son nom pour contribuer au développement de l’agriculture. Le succès de cette technologie dans le monde en a fait le carburant de la globalisation économique avec finalement le pic pétrolier et des dizaines de milliers de morts prématurées.

Chronique « Transformations ». A la fin des années 1870, Rudolf Diesel, un jeune étudiant à la Technische Hochschule de Munich, est fasciné par les cours de thermodynamique de son maître Carl von Linde. Il se fixe comme objectif presque existentiel d’inventer et de fabriquer un « moteur parfait » capable de remplacer les machines à vapeur à l’efficacité énergétique désastreuse. Mais Rudolf voit plus loin : après la parution du traité de Stanley Jevons The Coal Question (1865), la perspective d’un épuisement de la houille hante les esprits et il espère que son moteur pourra fonctionner en brûlant des poussières de charbon et même, déjà, des huiles végétales. Les colonialistes français au pouvoir se montrent d’ailleurs très intéressés par son invention qui assurerait des débouchés aux oléagineux — huiles de palme ou d’arachide — des plantations coloniales.

Enfin, Rudolf Diesel s’intéresse aussi beaucoup au socialisme. Il est né à Paris, en 1858, où il vit jusqu’à la guerre franco-prussienne de 1870. Il parle le français et connaît les écrits des penseurs socialistes, ceux de Proudhon en particulier, avec qui il partage le projet d’une économie décentralisée fondée sur des coopératives ouvrières. En mettant au point un petit moteur, moins cher, moins complexe, plus facile d’entretien et plus fiable que la machine à vapeur, Rudolf Diesel pensait rééquilibrer le jeu économique, redonner une chance aux petits artisans et revitaliser le monde rural. « Il est sans aucun doute préférable, écrit-il, de décentraliser la petite industrie et de l’établir à la campagne au lieu de la concentrer dans de grandes villes surpeuplées, sans air, sans lumière et sans espace. Ce but peut être réalisé seulement par une machine indépendante, facile d’utilisation et d’entretien. » Quand, après de longues difficultés, son prototype est enfin au point, il affirme fièrement dans sa correspondance avoir « résolu la question sociale ».

Comme le montre l’historien Vaclav Smil (Prime Movers of Globalization. The History and Impact of Diesel Engines and Gas Turbines, MIT Press, 2010), les moteurs diesel ont produit à peu près l’inverse de ce qu’espérait son inventeur. Leur rendement énergétique excellent (50 % pour les gros moteurs à fioul lourd contre 30 % pour les moteurs à essence classique), leur puissance incomparable (ceux qui équipent les grands porte-conteneurs peuvent atteindre près de 100 mégawatts), leur fiabilité (les bateaux n’ont pas besoin de moteur de secours) en ont fait les moteurs industriels par excellence.


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