Les tiques, des animaux venimeux ?
Nathalie Boulanger, Université de StrasbourgDans ce second épisode de notre série d’été « Un été qui pique » (le premier est à relire ici), Nathalie Boulanger (Université de Strasbourg) nous présente un passager clandestin dont la découverte a déjà gâché bon nombre de retours de promenades : la tique. Car oui, les tiques piquent, elles ne mordent pas. Et la salive qu’elles injectent à cette occasion peut provoquer des envenimations aux conséquences étonnantes, ou, parfois, dramatiques…
Quand on pense « animal venimeux », la première image qui vient à l’esprit est généralement celle d’un serpent, d’un scorpion ou d’une araignée plutôt que celle d’une tique. Et pourtant…
Pour prendre leur repas sanguin qui peut durer plusieurs jours, les tiques doivent passer inaperçues, et éviter que le sang de leur victime ne coagule. Elles y parviennent grâce à la salive qu’elles inoculent durant la piqûre. Celle-ci contient en effet une grande variété de molécules, dont certaines – neurotoxines et enzymes – sont proches de composés retrouvés dans les venins d’araignée et de scorpion.
La possession d’un appareil inoculateur et de glandes associées (les glandes salivaires) qui contiennent du venin (la salive), permet donc bien de considérer la tique comme un animal venimeux. Et ce, d’autant plus que sa salive, si elle n’est certes pas aussi dangereuse que certains venins, peut avoir de multiples effets. Selon les hôtes et les espèces de tiques considérées, elle peut provoquer démangeaisons, œdème ou érythème, voire des réactions allergiques violentes. Et même, plus étonnant encore, des allergies à la viande rouge. Explications.
Une piqûre indolore, mais pas sans conséquence
Le développement des tiques passe par trois phases de développement, appelées « stases », après l’œuf : larve, nymphe et adulte. À chacune de ces stases, les tiques se nourrissent de sang. Chacun de ces trois repas de sang peut être l’occasion de transmettre un agent infectieux, si la tique en est porteuse (bien que cela ne soit pas systématique). La maladie de Lyme, qui sévit dans toutes les zones tempérées de l’hémisphère nord, est probablement la maladie transmise par les tiques la plus connue, mais il en existe bien d’autres.
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Mais la salive des tiques elle-même, qui cible l’immunologie et la pharmacologie de l’hôte, peut aussi être à l’origine de pathologies plus ou moins graves. Tout commence par un traumatisme cutané. Pour piquer, la tique s’ancre dans la peau de sa proie grâce à une sorte de harpon denticulé : l’hypostome. S’ajoutent à cela deux crochets ou « chélicères » qui découpent la peau (rappelons que les tiques sont des arachnides, comme les scorpions ou les araignées, dotés eux aussi de chélicères).
Contrairement au moustique, la tique ne se nourrit donc pas directement en insérant ses pièces piqueuses dans un microcapillaire sanguin. Ses chélicères lacèrent les tissus formant un microhématome. La libération de la salive au niveau de la piqûre entraîne la dissolution – ou « lyse » – des tissus, ce qui conduit à la formation d’une poche hémorragique qui va permettre à la tique d’aspirer le sang plus facilement. Ce type de piqûre est dit « telmophage » (du grec telma, « lac, marécage », et phagein « manger »).
Libérée pendant toute la durée du repas, la salive possède également des propriétés anticoagulantes, anti-inflammatoires et immunosuppressives. L’envenimation qui en résulte varie en fonction de l’espèce de tique considérée (on en dénombre environ 900 à travers le monde !) et en fonction de l’hôte concerné.
Les envenimations dues aux tiques molles
Sur les 900 espèces de tiques identifiées de par le monde, 200 espèces appartiennent à la famille des tiques molles, ou Argasidae. Parmi celles-ci, l’envenimation la plus documentée est celle associée à la piqûre de la tique du pigeon (Argas reflexus). Habituellement inféodée aux pigeons, cette tique vit à proximité de ses hôtes, donc dans leurs nids. Elle se nourrit régulièrement de sang, durant des repas nocturnes qui durent quelques minutes à quelques heures.
Compte tenu des nuisances que causent les pigeons (dégradation des bâtiments publics et des habitations, propagation de différentes maladies humaines, dont la cryptococcose, une infection fongique grave pour les personnes dont le système immunitaire est affaibli), des campagnes de lutte sont menées pour limiter leur population.
Le problème est que, lorsque les nids sont abandonnés, les tiques, qui ne trouvent plus leurs hôtes habituels, rentrent dans les habitations, où elles piquent l’être humain. Les piqûres répétées peuvent induire une sensibilisation allergique avec des manifestations locales (démangeaison, œdème et érythème) voire, dans les cas les plus extrêmes, des réactions généralisées avec risque de choc anaphylactique. La protéine de salive de tique responsable de cette allergie n’a été identifiée que récemment, en 2010.
Malheureusement, en cas d’infestation, la désensibilisation des patients et la désinsectisation sont illusoires : il faut changer d’habitation. Ces tiques peuvent en effet survivre très longtemps sans se nourrir : jusqu’à près de 20 ans dans certaines conditions de laboratoire ! Les acaricides à base de pyréthrines étant toxiques, pour tenter de lutter contre les tiques molles, l’utilisation de terre de diatomée a été rapportée. La terre de diatomée est déjà connue pour son utilisation dans la lutte contre les punaises de lit. Elle doit être utilisée avec précaution car c'est une silice naturelle qui peut être irritante pour les poumons.
Les envenimations par les tiques dures
Les 700 autres espèces de tiques connues appartiennent à la famille des tiques dures, ou Ixodidae. Elles vivent dans des environnements très variés, et prennent des repas sanguins qui durent plusieurs jours, ce qui entraîne une exposition plus longue de l’hôte vertébré (humain ou animal) à leur salive, et donc au risque potentiel d’envenimation.
On distingue les tiques dotées de pièces piqueuses longues (« longirostres »), comme les tiques appartenant aux genres Ixodes, Amblyomma et Hyalomma, et les tiques aux pièces piqueuses courtes (« brévirostres »), telles que les tiques des genres Dermacentor, Rhipicephalus, Haemaphysalis. Les tiques longirostres induisent lors de la piqûre des lésions plus importantes, car elles pénètrent plus profondément dans le derme que les tiques brévirostres.
Les tiques dures sont susceptibles de provoquer différentes sortes d’envenimations, non seulement chez l’animal, mais aussi chez l’être humain.
Paralysie ascendante à tique
Lors de la piqûre d’une tique femelle, des toxines contenues dans la salive sont injectées à l’hôte et peuvent induire des perturbations de la conduction nerveuse provoquant une paralysie ascendante. Si la tique n’est pas retirée, la paralysie progresse et l’hôte meurt par arrêt respiratoire. Lorsque la tique est extraite à temps, la paralysie est rapidement réversible et l’amélioration observée après 24 h.
Décrite en 1912 en Colombie-Britannique (Canada), la paralysie due à la piqûre de tique demeure rare chez l’être humain. Il s’agit surtout d’un problème important d’un point de vue vétérinaire. Cette maladie est cosmopolite, mais certaines zones géographiques sont plus touchées que d’autres comme la côte est de l’Australie et la région nord-ouest de l’Amérique du Nord.
Les toxines responsables de la paralysie ont été décrites chez 69 espèces de tiques, parmi lesquelles 55 tiques dures et 14 tiques molles (principalement les larves de ces dernières). Ce sont surtout les tiques dures Ixodes holocyclus qui sont impliquées dans ce phénomène pour ce qui est des régions australes, et les tiques dures Dermacentor andersoni et D. variabilis en ce qui concerne l’Amérique du Nord.
Très récemment, grâce à l’identification de la toxine chez la tique Ixodes holocyclus (holotoxine), un vaccin contre cette allergie a été testé chez les chiens en Australie.
Allergie croisée viande rouge et salive de tique : le « syndrome alpha-gal »
Chez l’être humain, on a récemment découvert que la piqûre des tiques pouvait parfois provoquer des allergies à la viande de mammifères, ou plus précisément à l’un des résidus sucrés qu’elle contient, l’alpha-galactose, également présent dans la salive des tiques et dans leurs glandes salivaires.
Ce « syndrome alpha-gal » a été décrit en Australie et en Europe, suite à des piqûres par les tiques dures du genre Ixodes. Aux États-Unis, ce syndrome a également été décrit, impliquant la tique dure Amblyomma americanum.
Les symptômes surviennent 2 à 6 heures après une ingestion de viande de porc, de bœuf ou d’agneau. Ils se traduisent par une urticaire ou une éruption cutanée avec démangeaisons, des nausées ou des vomissements, des brûlures d’estomac, une diarrhée, une toux, un essoufflement ou difficulté à respirer, une baisse de la tension artérielle, un gonflement des lèvres, de la gorge, de la langue ou des paupières, des étourdissements ou des évanouissements.
Les investigations ont dévoilé que la piqûre de tique entraîne une sensibilisation à l’alpha-galactose, suite à la production d’anticorps de type IgE (Immunoglobulines E, connues pour leur implication dans les réactions allergiques) dirigés contre cette molécule. Une réaction allergique croisée entre piqûre de tique et consommation de viande rouge se met alors en place.
La prévention repose sur le dépistage des patients sensibilisés aux piqûres de tique par des tests cutanés ou sérologiques. De simples mesures d’éviction des viandes rouges et la mise en place d’une protection efficace contre les piqûres de tique suffisent alors pour protéger les personnes allergiques. Des tentatives de désensibilisation ont été testées, mais sont pour l’instant peu pratiquées.
Immunosuppression locale et surinfection
Chez l’animal, la salive de la tique Amblyomma variegatum peut provoquer une immunosuppression locale.
Celle-ci peut avoir pour conséquence une surinfection des plaies, notamment par des bactéries Dermatophilus congolensis responsables de la dermatophilose, une infection de la peau des animaux se traduisant par une atteinte superficielle pustuleuse du derme.
Cette infection cutanée cosmopolite peut revêtir une forme très sévère chez certaines races de bovins en zone tropicale, en raison des conditions de chaleur et d’humidité qui y règnent, notamment en Afrique et aux Antilles.
Processus de sensibilisation à la salive
Chez certains hôtes, les piqûres répétées de tique peuvent induire des manifestations allergiques cutanées plus ou moins importantes.
Mais cela peut aussi parfois provoquer des phénomènes de résistance associés à la production d’anticorps dirigés contre les protéines de salive. Résultat : la tique ne peut accomplir son repas sanguin, ce qui limite donc l’exposition de l’hôte à certaines infections, la transmission de microorganismes potentiellement pathogènes étant inhibée.
Ce phénomène a été décrit non seulement chez les cochons d’Inde et certaines races de bovins, mais aussi chez l’être humain. Il a par exemple été observé chez la tique Ixodes scapularis, capable de transmettre la bactérie responsable de la borréliose de Lyme. Il s’agit donc là d’un mécanisme plutôt favorable pour l’hôte piqué…
Extraire rapidement les tiques pour limiter l’envenimation
Comme pour toutes les envenimations, le site de piqûre de la tique et la dose de salive injectée jouent un rôle essentiel dans le degré d’envenimation. Il convient donc en cas de piqûre de tique de l’extraire le plus rapidement possible, avec une pince fine ou un « tire-tique », afin de limiter les effets de la salive chez l’être humain (et de réduire le risque éventuel de transmission d’agent pathogène). Pour les animaux, les traitements acaricides permettent de limiter le nombre de tiques susceptibles de les infecter.
Pour éviter au maximum les piqûres, rappelons quelques recommandations de base : éviter les zones infestées aux périodes où les tiques sont le plus actives (mars à juin et septembre à novembre en climat continental), ou, si ce n’est pas possible, porter des vêtements couvrants, de couleurs claires pour mieux les repérer (et mettre les bas de pantalon dans les chaussettes pour les empêcher de remonter à l’intérieur des vêtements !), éviter les broussailles, utiliser éventuellement des répulsifs, surveiller ses animaux domestiques (pour vérifier qu’ils n’ont pas de tiques)…
Enfin, entretenir son environnement, en coupant l’herbe et en ramassant les feuilles mortes qui constituent un refuge pour les tiques (elles sont très sensibles à la dessiccation) et en installant des barrières pour empêcher la faune sauvage (les chevreuils notamment) de venir visiter les jardins, est aussi un moyen efficace de limiter tous les désagréments associés à ces désagréables petits acariens.
Nathalie Boulanger, Enseignant-chercheur, UR7290: virulence bactérienne précoce: responsable groupe Borrelia, Université de Strasbourg
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.