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Le glacier Zachariæ Isstrøm en 2016. Ce dernier décharge des icebergs de plusieurs kilomètres de long dans l’océan. Romain Millan, Fourni par l'auteur

Les plates-formes de glace du Groenland, des « barrages » naturels protégeant la calotte polaire qui s’affaiblissent

Le glacier Zachariæ Isstrøm en 2016. Ce dernier décharge des icebergs de plusieurs kilomètres de long dans l’océan. Romain Millan, Fourni par l'auteur
Romain Millan, Glaciologue au CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA); Anne Chapuis, chargée de communication CNRS, Université Grenoble Alpes (UGA) et Eliot Jager, Université Grenoble Alpes (UGA)

Les glaciers du Groenland, comme ailleurs dans le monde, perdent de la glace, principalement du fait du réchauffement climatique. La plupart des glaciers de la région ont commencé à perdre de la masse dès le début des années 1980 et 1990, et plus spécifiquement au nord-ouest et au sud-est de la calotte polaire. Contrairement à leurs voisins, les glaciers du nord du Groenland, qui possèdent assez de glace pour élever le niveau marin de plus de deux mètres, étaient restés relativement stables.

Dans cette région, les glaciers possèdent des caractéristiques uniques au Groenland : une fois arrivés au niveau de l’océan, ils se mettent à flotter et forment des plates-formes de glace de plusieurs dizaines, voire des centaines de kilomètres de long. Ces plates-formes de glace, qui sont les extensions naturelles de la calotte, agissent comme d’immenses « barrages » gelés qui régulent la quantité de glace déversée dans l’océan.

Or, ces plates-formes de glace s’amenuisent progressivement, et trois d’entre elles se sont déjà effondrées depuis le début des années 2000. Un signal inquiétant : la fragilisation de ces plates-formes pourrait menacer les glaciers du Groenland et contribuer à accélérer l’augmentation du niveau marin. C’est que nous venons de publier le 7 novembre dans Nature Communications avec des confrères danois et américains.

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Plates-formes de glace et montée des eaux

Pour décrypter l’évolution de ces glaciers, il est nécessaire de comprendre comment fonctionnent les calottes polaires. Cela peut être difficile à imaginer, mais les glaciers s’écoulent sous l’effet de leur propre poids de manière similaire à celui du miel sur une tartine. Tout d’abord, de la neige s’accumule en haut de la calotte, et se transforme petit à petit en glace. Cette masse au sommet va pousser la glace, créant un écoulement, qui va ensuite se mettre à fondre en rencontrant une atmosphère plus chaude à des altitudes plus faibles.

En arrivant sur la côte, la glace va être évacuée par plusieurs branches en suivant des vallées – les fjords – selon deux manières possibles :

  • Soit en formant de grandes falaises de glace, appelées fronts, dont des morceaux vont se détacher en icebergs.

  • Soit le glacier va former de grandes plates-formes flottantes. Dans ce dernier cas, la fonte de la glace par dessous, au contact des eaux chaudes océaniques, va venir s’ajouter à celle causée par les icebergs qui se détachent du front.

Écoulement de la calotte polaire groenlandaise, calculé à l’aide d’images satellites (animation : NASA).

Pour mesurer la santé du glacier et savoir dans quelle mesure ces phénomènes provoquent une élévation du niveau marin, les glaciologues calculent le bilan de masse. Il s’agit de la différence entre l’ensemble de la glace qui s’accumule sur la calotte, et celle qui est évacuée. L’accumulation provient de l’apport successif de couches de neige hivernale. Du côté des pertes, on retrouve plusieurs phénomènes, comme la fonte au contact de l’air ou de l’océan ou la perte sous forme d’iceberg appelé vêlage (voir schéma plus haut). Ce bilan de masse permet alors de connaître précisément la quantité de glace perdue ou gagnée sur une période et d’en déduire la contribution du glacier à l’élévation du niveau marin.

Avec le réchauffement climatique, deux phénomènes s’accentuent et viennent augmenter les pertes de la calotte du Groenland, alors que les gains restent identiques, ce qui lui fait perdre de la masse.

  • La première cause de ces pertes accrues (60 %) est due à une atmosphère plus chaude, qui augmente la fonte de surface.

  • la seconde partie (40 %) est due à l’accélération de ce mouvement des glaciers, qui provoque une augmentation du vêlage d’icebergs et de la fonte au contact de l’océan. Cet écoulement de glace peut notamment augmenter lorsque le front des glaciers se terminant dans l’océan se retire, ou lorsque les plates-formes de glace s’amincissent. Comme lorsqu’on débouche une bouteille de champagne, des contraintes sont relâchées, entraînant une accélération de la glace.

À elle seule, la calotte polaire groenlandaise a contribué à plus de 17 % de l’augmentation du niveau marin sur la période 2006-2018.

Processus complexes à l’interface air, eau et glace

Les dernières plates-formes du Groenland jouent ainsi un rôle crucial de barrage, qui stabilise la décharge de glace de la calotte. Il est donc crucial de connaître les mécanismes qui les affaiblissent pour prédire l’évolution à venir des calottes polaires, aussi bien au Nord qu’au Sud (en Antarctique, la plupart des glaciers possèdent des extensions flottantes). Mesurer ces changements est néanmoins extrêmement complexe, car ces plates-formes sont à la fois au contact des eaux océaniques et de l’atmosphère.

Coupe schématique d’une plate-forme de glace et des processus qui affectent son évolution. Eliot Jager, Fourni par l'auteur

Il faut ainsi pouvoir distinguer la fonte provenant du réchauffement de l’air de celle provenant du réchauffement de l’océan. En dehors des processus de fonte, l’affaiblissement de ces plates-formes de glace peut également se mesurer par l’ouverture de plus en plus fréquente de crevasses (endommagement), ou encore par le retrait du front de glace et du point d’ancrage des glaciers au sol (qu’on appelle ligne d’échouage).

Pour compliquer encore les choses, ces plates-formes se situent dans des endroits très isolés, presque inaccessibles et avec des conditions climatiques extrêmement difficiles. Mesurer l’ensemble de ces processus sur le terrain est donc très délicat, voire impossible dans certains cas, comme le montre la vidéo ci-dessous. Pour pallier ce problème, l’imagerie satellitaire et les modèles numériques sont des alliés clés.

Vol au-dessus du glacier de Zachariæ Isstrøm, dont la plate-forme s’est effondrée au début des années 2000. À gauche, on observe un chao d’iceberg géant se détachant de la calotte polaire (Romain Millan, Abbas Khan).

Des signes d’affaiblissement au nord du Groenland

C’est en combinant des données obtenues à partir de satellites et d’avion (comme dans la vidéo ci-dessus) que nous avons pu montrer des signes inquiétants d’affaiblissement des glaciers du nord du Groenland. En collaboration avec l’Université de Copenhague, le Service géologique national du Danemark et du Groenland, nous avons pu calculer la quantité de glace perdue par ces plates-formes, soit plus du tiers de leur volume.

En combinant ces données avec des modèles climatiques, nous avons pu reconstituer l’histoire de la fonte sous les plates-formes de glace flottantes. Il s’avère que celle-ci a augmenté drastiquement depuis les années 2000, date à partir de laquelle nous avons pu faire un suivi temporel plus fin de ce processus. En combinant ces résultats avec des observations et des reconstructions des conditions océaniques, nous avons montré une corrélation entre l’augmentation de cette fonte sous-marine et celle des températures de l’océan. Nous avons aussi pu montrer que la fonte sous-marine est responsable de 56 % des pertes de masse des plates-formes. Le vêlage (icebergs tombant des plates-formes dans l’océan) serait lui responsable de 38 % des pertes de masses, et la fonte en surface reste des 6 % restants : c’est donc un paramètre mineur dans l’amincissement.

Les chercheurs Romain Millan et Anders Bjørk instrumentent le glacier Zachariæ Isttrøm au nord de la calotte Groenlandaise pour mieux connaître son évolution, suite à l’effondrement de sa plate-forme. Anders Bjørk, Fourni par l'auteur

Quelles conséquences pour l’élévation du niveau des mers ?

Le problème, c’est que cet affaiblissement des plates-formes impacte directement les glaciers qui se situent en amont. Sur toute la période d’observation, nous avons ainsi mesuré un recul marqué des lignes d’échouage des glaciers, allant jusqu’à 8 km pour les reculs les plus forts. Les changements observés au niveau de cette frontière naturelle sont des indicateurs sensibles de la réaction du glacier au réchauffement climatique, et également utilisé comme un marqueur d’instabilité.

En mesurant l’écoulement et l’épaisseur des glaciers, nous avons aussi pu calculer la quantité de glace déversée dans l’océan en réponse à cet affaiblissement des plates-formes. Pour certains glaciers, cette décharge de glace a augmenté de plus de 25 %, rejetant ainsi encore plus de glace directement dans la mer.

Une augmentation continue des températures de l’air et de l’océan, comme il a été montré par le dernier rapport du GIEC, pourrait ainsi menacer durablement les dernières plates-formes de glace du nord du Groenland. Par exemple, le glacier Zachariæ Isstrøm, a perdu sa plate-forme flottante au début des années 2000, et nous avons ensuite observé une quantité de glace se déversant dans l’océan qui a presque doublé. Cette région pourrait alors devenir une des régions de la calotte polaire contribuant le plus à l’augmentation du niveau des mers.

Romain Millan, Glaciologue au CNRS, Glaciologue, Université Grenoble Alpes (UGA); Anne Chapuis, chargée de communication CNRS, , Université Grenoble Alpes (UGA) et Eliot Jager, , Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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