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Le syndicat majoritaire du secteur a organisé une journée de blocage pour appeler à une meilleure considération des agriculteurs et inciter le grand public à « acheter français ».

Face à la cinquantaine de tracteurs garés sous une pluie battante, devant le péage autoroutier de Coutevroult (Seine-et-Marne), les automobilistes sont d’abord sceptiques. Avant d’accepter, avec le sourire, les baguettes et les pommes tendues à leur fenêtre par les agriculteurs de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes Agriculteurs (JA).

Les deux syndicats majoritaires de la profession étaient à l’initiative d’opérations « péage gratuit » et de blocages routiers dans toute la France, mardi 8 octobre, pour répondre à la « surenchère » de reproches dont ils se disent la cible. « Pourquoi un tel niveau de violence ? », s’interroge Cyrille Milard, secrétaire de la FDSEA en Seine-et-Marne. « Le grand public ignore tout de la manière dont on travaille. Nous voulons rappeler que l’agriculture française n’utilise que des produits autorisés et est l’une des plus contrôlées du monde, assène l’agriculteur céréalier, propriétaire d’une exploitation de 360 hectares. Quand tout le monde dit qu’on fait n’importe quoi, ce n’est pas la réalité ! »

Pendant trois heures, plus de cinquante agriculteurs vont profiter des quelques secondes de discussion à la fenêtre des véhicules pour tenter de combattre l’« agribashing » qu’ils ressentent sur de nombreux sujets : les critiques sur l’usage des produits phytosanitaires ne sont « pas basées sur la science », la signature d’accords de libre-échange « mauvais pour le modèle agricole français », le débat public sur l’agriculture biaisé par de « fausses informations »…« N’écoutez pas les médias, écoutez les agriculteurs »,lance à plusieurs conducteurs Pierre Courtier, céréalier dans la commune de Lizy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne).

« L’Etat cultive l’ambiguïté et hystérise le débat »

Le lancement, par le gouvernement, d’une consultation sur la distance à respecter entre les aires d’épandage de produits phytosanitaires et les habitations – appelée zones non traitées (ZNT) – a participé à mobiliser avant la journée d’action nationale. « La ZNT est une pure hérésie, commente Aymeric Proffit, cultivateur de céréales et de pommes de terre à Réau (Seine-et-Marne). Dans l’épandage, rien n’est laissé au hasard. On utilise peu de produits et on est outillé pour le diffuser de manière précise et efficace. Avec les précautions qui s’imposent : jamais je n’en utilise près d’une école entre 14 heures et 17 heures, lorsque les enfants risquent d’être à l’extérieur des classes », prend pour exemple le trentenaire, qui a repris l’exploitation de ses parents en 2014.

« C’est un nouveau petit couteau dans le dos, comme toutes les nouvelles normes que nous ne comprenons pas », renchérit Olivier Flé, céréalier et distillateur de whisky à Fresne-sur-Marne, dans le nord du département. « L’Etat cultive l’ambiguïté et hystérise le débat en autorisant des produits tout en concédant des mesures à ceux qui les critiquent, estime l’exploitant de 240 hectares de cultures. Si les produits phytosanitaires étaient dangereux, ils seraient interdits. Ce n’est pas le cas, nous sommes dans notre droit de les utiliser. »

« Les paysans sont une cible trop facile »

Tout en s’affichant « solidaires de tous les modèles agricoles », les manifestants de la FNSEA et des JA font la liste des reproches spécifiquement adressés à l’agriculture conventionnelle, principale utilisatrice de pesticides, aux rendements les plus importants et fournissant une grande part des exportations françaises. « C’est un faux procès, considère Pierre Beaudoin, céréalier membres des JA. Mon père utilisait moins de produits que mon grand-père, et j’ai encore divisé par deux [leur utilisation] depuis que j’ai repris l’exploitation. » « Les appels à plus de bio sont nombreux, mais est-ce que tous les consommateurs vont pouvoir faire face à l’augmentation des prix ? », se demande de son côté Mathieu Beaudoin, notamment producteur de betteraves à Evry-Grégy-sur-Yerre.

Des agriculteurs de la FDSEA de Seine-et-Marne lors de l’opération « péage gratuit » organisée le 8 octobre. Un appel à des blocages partout en France a mobilisé les membres du syndicat majoritaire de la profession pour répondre aux critiques visant l’agriculture conventionnelle. Simon Auffret / Le Monde

Alors qu’une buvette s’installe sous une tonnelle au bord du péage de Coutevroult, les agriculteurs sont nombreux à témoigner d’un sentiment d’injustice vis-à-vis du « manque de considération » du grand public et des politiques. « Les paysans sont une cible trop facile », considère Olivier Flé. Après avoir ouvert un compte Twitter pour faire la promotion de son exploitation, il a décidé de le fermer et de s’éloigner des réseaux sociaux. « Je me prenais trop de trucs dans la gueule », témoigne-t-il.

Comme dans d’autres départements, la FNSEA a participé à la mise en place d’une « charte de bon voisinage » en Seine-et-Marne pour mieux faire connaître la réalité des pratiques agricoles aux nouveaux habitants en zone rurale. « Nous sommes des agriculteurs et pas des communicants, et cela nous a été préjudiciable, concède Cyrille Milard. Mais on fait tout pour se rattraper. »


Lire la suite : « Les paysans sont une cible trop facile » : la FNSEA bloque les routes pour répondre à l’« agribashing »


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