Le programme budgétaire du RN est-il crédible ?
Le très court délai d’organisation des scrutins des 30 juin et 7 juillet prochains favorise indéniablement le Rassemblement national (RN) en forte dynamique aujourd’hui à la droite de l’échiquier politique face à une gauche minée par ses querelles intestines malgré une unité de façade purement électorale, des Républicains en plein divorce et une majorité présidentielle victime entre autres du rejet de la réforme des retraites, et de l’inflation.
Toutes les études d’opinion soulignent que le vote RN est un vote de colère et de mécontentement alimenté par les débats sur l’immigration et l’insécurité, mais aussi et surtout par la baisse du pouvoir d’achat. Ce ressentiment est encore ravivé par la hausse du prix du gaz de 12 % en moyenne décidée par la Commission de régulation de l’électricité (indépendante du gouvernement) annoncée au lendemain de la dissolution et qui entrera en vigueur au lendemain du premier tour… Aujourd’hui, ses électeurs n’ont pratiquement pas étudié le programme budgétaire du RN.
Dynamique électorale
Le mode de scrutin par circonscription uninominal à deux tours amplifiant le score du parti hégémonique du moment il est tout à fait possible que le RN dispose non seulement d’une majorité à la prochaine Chambre, mais même, ce qui paraissait impensable il y a encore quelques mois, d’une majorité absolue. Et ce d’autant que les électeurs tentés par l’aventure RN mais encore réticents peuvent être désinhibés par le maintien rassurant à la tête de l’État d’un président disposant de pouvoirs forts dans son domaine réservé (armée et diplomatie) et de l’arme de la dissolution qu’il pourra de nouveau dégainer dans un an. L’Assemblée nationale ayant le dernier mot pour voter les lois de finances, le programme fiscal et budgétaire du parti va être scruté par les marchés financiers au cours des prochaines semaines.
« Carcan » européen
Au cours des dernières années, le soutien massif des Français à la monnaie unique a eu raison de la volonté affichée par Marine Le Pen lors des présidentielles de 2017 de sortir de l’euro. Le parti a depuis considérablement édulcoré son projet et, en 2024, il est simplement question pour lui de baisser la contribution de la France au budget européen et de refuser tout impôt prélevé par l’UE en redonnant aux États le pouvoir exclusif de proposer de nouvelles normes.
La doctrine de justice fiscale du RN reste fondée sur la préférence nationale. Mais les velléités d’un retour de la souveraineté nationale (comme l’exigence d’un débat sur la pertinence de la politique monétaire européenne, la limitation de la contribution nette de la France à l’Union européenne à 2 milliards d’euros par an – soit 5 à 7 milliards d’économies – une taxation plus élevée du transport maritime et aérien ou l’abrogation des règles du marché européen de l’énergie) se heurteraient aux traités qu’il faudrait alors renégocier…
Un choc de dépenses dans un climat tendu
Le programme social du RN prévoit de revenir en partie sur l’emblématique réforme des retraites qui comme nous l’avions signalé lors de son adoption s’avère moins efficace qu’espérée avec un déficit attendu de 5,8 milliards en 2024 et de 14 milliards en 2030.
Même si le parti a finalement abandonné l’idée d’un retour de l’âge légal pour tous à 60 ans, il veut toujours ramener le nombre d’annuités requises de 42 à 40 ans, ce qui coûterait au bas mot 25 milliards par an. Cela mettrait gravement en péril l’équilibre financier déjà précaire du système de retraites. Le RN prétend également revenir sur la hausse de la participation des Français aux frais de santé et sur la limitation des arrêts maladie alors même que le déficit de la branche maladie à plus de 10 milliards d’euros en 2023 ne montre pas de signe de réduction.
Des recettes surestimées
La taxation des « surdividendes », surprofits et « surachat d’actions » que Marine Le Pen avait été la première personnalité politique à proposer avant l’élection présidentielle de 2022, le remplacement de l’IFI par un ISF ciblant la « spéculation financière », et la limitation de la flat tax aux revenus inférieurs à 60 000 euros ne rapporteraient au mieux que quelques milliards d’euros et leurs effets pervers (comme le retour d’une vague de délocalisations d’entreprises mais aussi de particuliers refusant le retour de l’ISF) risqueraient même d’être supérieurs aux gains annoncés. En tout cas, ces recettes seraient très loin de compenser l’instauration d’une TVA à 0 % sur les produits de première nécessité ainsi que la réduction de la TVA sur les prix de l’énergie à 5,5 % d’un coût d’au moins 10 milliards tout en étant, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, deux fois moins efficace que le défunt bouclier tarifaire.
Toujours côté dépenses, l’augmentation de 10 % des salaires sans charges patronales jusqu’à trois fois le smic coûterait également 10 milliards par an tout en réduisant les recettes sociales. Quant à l’exonération de l’impôt sur le revenu pour tous les actifs jusqu’à 30 ans, il ferait perdre 4 milliards de recettes fiscales. Si la suppression totale de la cotisation foncière des entreprises qui était pertinemment programmée pour réduire le poids des impôts de production est une bonne piste pour améliorer la compétitivité des entreprises, l’idée de supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) pour aider les PME est baroque car cette dernière n’est acquittée que par les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 19 millions d’euros alors que la petite entreprise est définie comme ayant un chiffre d’affaires inférieur à 15 millions, le tout représentant un manque à gagner d’environ 11 milliards d’euros par an.
Des finances publiques sous contrainte
Comme nous le rappelions récemment sur ce site, les marges de manœuvre des finances publiques sont désormais nulles. À l’exception de la fin de la subvention au service public radiophonique et audiovisuel via sa privatisation qui pourrait assez vite économiser 3,5 milliards d’euros, les pistes d’économies budgétaires proposées par le RN sont nébuleuses.
La réforme de l’État, visant en particulier la suradministration, la lutte contre les fraudes, fiscale et sociale, sont des chantiers de long terme et leur rendement sera, au vu de l’histoire, très éloigné des 15 milliards attendus. Quant à l’interdiction stricte des bons du Trésor indexés sur l’inflation, elle ne présente aucun… intérêt et n’aura strictement aucun impact à court ou à long terme : les 10 à 14 milliards d’euros d’économie sur ce poste sont donc totalement illusoires.
Sous le regard des marchés
C’est d’ailleurs sur le front des taux d’intérêt des obligations d’État que va se jouer la crédibilité du programme du RN, l’annonce de la dissolution ayant ouvert une forte période d’incertitudes. La Bourse de Paris a accusé le coup perdant 3 % en 3 jours, les valeurs bancaires étant les plus touchées par une éventuelle hausse des coûts d’emprunt. Si l’euro est resté à peu près stable, l’indicateur le plus instructif sera dans les prochaines semaines le spread de taux d’intérêt avec l’Allemagne qui est passé de 50 points de base à 64 points. Cette hausse a une conséquence : elle renchérit mécaniquement à moyen terme le coût d’une dette publique parmi les plus élevées de la zone euro.
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Il y a même pire puisque l’État emprunte depuis le 12 juin à un taux supérieur à celui… du Portugal pourtant noté A – soit 3 crans en dessous de notre pays (AA-), ce qui paraissait inimaginable il y a encore quelques jours.
Une addition salée pour les électeurs du RN
Dans ces conditions, il est clair que les ambitions budgétaires et fiscales du RN seraient très largement revues à la baisse en cas de victoire. Même ainsi les inévitables dérapages supplémentaires des comptes publics de la nouvelle politique se heurteront très vite aux réalités économiques. Certes, la protection de la monnaie unique évitera un scénario à la Liz Truss, l’éphémère première ministre britannique de l’automne 2022. Après l’annonce de son programme fiscal et budgétaire, la livre s’était en effet effondrée et les taux d’intérêt envolés contraignant l’imprudente première ministre à démissionner moins de deux mois après sa nomination.
L’appartenance de la France à la zone euro interdira la solution de facilité de la dévaluation qui fut utilisée jadis par des gouvernements désireux de s’affranchir des contraintes internationales car les Français refuseront toute sortie de l’euro. Le seul moyen de rétablir les comptes publics sera alors de procéder à un ajustement budgétaire d’ores et déjà inéluctable mais qui devra s’effectuer brutalement et dans l’urgence.
Cet ajustement devrait être certes moins violent que ce qu’a connu la Grèce ou l’Irlande au cours de la dernière décennie, mais il entraînera une hausse du chômage – notamment des jeunes – une baisse du pouvoir d’achat des fonctionnaires et des retraités c’est-à-dire précisément des électeurs que le parti a attiré récemment et surtout des classes populaires qui constituent traditionnellement son socle électoral.
Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.