Sociétés et structures en cascade, montages financiers complexes, acteurs aux multiples casquettes… Au tribunal, le parti d’extrême droite et plusieurs de ses cadres doivent répondre d’une organisation aussi byzantine qu’incestueuse.
La scène est emblématique du procès « Jeanne/Riwal » qui, jour après jour, permet de pénétrer dans la nébuleuse de l’ex-Front national (FN), devenu depuis le Rassemblement national (RN). Vendredi, c’était au tour de deux jeunes espoirs du RN, le maire de Fréjus (Var) David Rachline et l’eurodéputé Nicolas Bay, d’être entendus comme témoins dans cette affaire où les accusés sont soupçonnés d’avoir participé à un complexe système de financement illégal du FN.
Les deux hommes, très actifs au sein de la campagne du parti pour les législatives de 2012, viennent justifier de la réalité de leur brève embauche, la même année, par la société Riwal. Cette structure vaut à son patron, Frédéric Chatillon, l’un des personnages-clés de l’affaire, de devoir répondre de l’accusation d’« abus de bien social ». Casque brun tiré à la gomina, ce quinquagénaire proche de Marine Le Pen, au cœur du procès, est aussi l’ex-président du syndicat étudiant d’extrême droite radicale Groupe union défense (GUD). Sa compagne, ainsi que cinq cadres ou proches du RN, sont poursuivis pour des chefs similaires, abus de biens sociaux ou escroqueries.
La 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, présidée par Rose-Marie Hunault, s’emploie, depuis le 6 novembre, à démêler les multiples fils de cette affaire. Une histoire de « vieux camarades », a expliqué Axel Loustau,« pote » de M. Chatillon et alors trésorier de Jeanne, le microparti de Marine Le Pen, dirigé par Jean-François Jalkh, aujourd’hui député européen.
Montage complexe
L’histoire remonte à 2011 : financièrement exsangue, le FN, dont Marine Le Pen vient de prendre la présidence, veut faire des législatives de 2012 une opportunité de se renflouer. M. Jalkh, militant et spécialiste des élections au « Front » depuis un quart de siècle, conçoit alors un montage complexe avec le comptable Olivier Duguet, autre ancien du GUD, comme M. Loustau, et proche de M. Chatillon.
La société Riwal élabore un kit électoral clés en main pour les candidats FN. Tout y est : tracts et affiches, site Web et même prestations pour présenter des comptes en règle à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Ce kit est vendu par Riwal au microparti Jeanne. Riwal lui consent aussi un « crédit fournisseur », qui montera jusqu’à 9 millions d’euros et lui permet de ne rien débourser immédiatement. Le microparti vend ensuite les kits à ses candidats, fortement encouragés, voire – point âprement disputé à l’audience – obligés de débourser 16 000 euros pour acquérir le forfait. Jeanne leur propose un prêt pour financer cet achat, à un taux de 6,5 %. Les candidats rembourseront ensuite Jeanne – intérêts inclus – avec l’argent reçu de l’Etat au titre des frais de campagne.
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