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Le metal : un style musical masculin ?

Festival Metal Cultures à Guéret, 2017. Corentin Charbonnier
Christophe Guibert, Université d'Angers

L’exposition « Metal. Diabolus in musica » à la prestigieuse Philharmonie de Paris contribue à l’évidence à accroître la notoriété et la légitimité de la musique metal (entendue au sens large). Au-delà de cette manifestation singulière et innovante, la musique metal en France reste toujours associée à des stéréotypes tenaces, notamment liés au genre ; le champ médiatique, notamment, tend à restreindre la musique metal à un univers typiquement masculin.

Les enquêtes « Les pratiques culturelles des Français » réalisées par le ministère de la Culture permettent de relativiser l’engouement pour la musique metal et le hard rock en France. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles ce genre musical est quasi-absent des offres musicales à la télévision et sur les principales ondes radiophoniques, mais avec, paradoxalement, un festival pour le moins notoire et réputé, le Hellfest dans la région nantaise. Seuls 4 % des Français en 1997 et 7 % en 2008 écoutent « le plus souvent » de la musique metal et du hard rock (contre, par exemple, 68 % pour la catégorie « chansons et variétés françaises » en 2008). Les hommes, plus que les femmes, indiquent apprécier ce style musical en 2008 : 11 % des hommes déclarent écouter « le plus souvent » du metal/hard rock contre seulement 4 % des femmes.

Au sein du public du festival Hellfest, l’un des plus gros festivals français, les festivalières ne représentaient que 3 % du public lors de la première édition de 2006 selon les organisateurs. Si, lors de l’enquête statistique menée par nos soins en 2011, les femmes ne représentaient que 18 %, la proportion de festivalières en 2015 (lors d’une seconde enquête) était de plus de 24 % puis 27 % en 2022 (données recueillies par C. Charbonnier), ce qui témoigne d’un processus continu de féminisation.

Des représentations sexistes et hétéronormées

De nombreuses raisons expliquent la surfréquentation masculine aux dépens des festivalières. Au-delà d’un univers musical produit par des hommes en direction d’un public singulièrement masculin, les médias généralistes ne sont pas sans effet sur les processus de catégorisation et d’étiquetage ayant pour directe conséquence le maintien de l’ordre genré. La sortie internationale de l’album du groupe australien AC/DC en décembre 2014 conforte l’attachement du heavy metal et du hard rock à un univers masculin. C’est bien une journaliste de France Info qui, à l’époque, soulignant les puissants jeux de guitares des musiciens, évoque métaphoriquement « un album avec des riffs testostéronés ».

Depuis la première édition en 2006, une minorité d’artistes de sexe féminin composent, tout ou partiellement, les groupes à l’affiche du Hellfest et encore plus rares en sont les « têtes d’affiche » féminines. Pour l’édition 2018, seule une dizaine de groupes sur près de 160 ont dans leurs rangs au moins une femme et un seul est composé uniquement de femmes (le groupe américain L7. Benjamin Barbaud, le responsable et fondateur du Hellfest, précise :

« On a toujours plus ou moins été dans ces moyennes et on ne va pas se cacher que cette musique, cette culture a toujours été à dominante masculine. »

Un style « naturellement » masculin

Dans la musique metal, la force de l’ordre masculin, symboliquement dominant, se voit donc au fait qu’il se passe de justification. Le metal est un style qui apparaît comme étant « naturellement » masculin. Même si, évoquant la chanteuse Joan Jett, l’article intitulé « Les femmes au pouvoir » du quotidien Ouest-France en 2018 dénote du ton généralement observé dans la presse : « l’agressivité musicale n’a rien à voir avec la testostérone », le propos, mobilisant les clichés, est plus coutumier dans la suite de l’article, en attestent les manières de décrire la « charismatique » chanteuse du groupe Nightwish, la « sculpturale chanteuse Alissa White-Gluz » du groupe Arch Enemy ou le « charme » de L7.

Les médias spécialisés se situent dans un registre sémantique similaire où « la grâce », « le charme », « l’élégance », « l’émotion », etc., caractérisent les pratiques et les consommations féminines. Alors que les techniques, l’intensité et les performances musicales masculines sont mises en avant, le hors-série consacré au Hellfest dans le magazine spécialisé Rock Hard en 2010 multiplie les propos normatifs et sexistes à l’endroit des corps des rares femmes artistes :

« La prestation du quintet le [groupe Delain] ne répond pas à toutes nos espérances. Bien sûr la charmante Charlotte Wessels, souriante, élégante et plutôt bien en voix, malgré quelques fausses notes, sait parfaitement jouer de son charme pour envoûter la gent masculine. »

Le hors-série de 2011 confirme le constat :

« Le temps n’est pas au beau fixe, mais cela n’empêche pas nos quatre sympathiques Suédoises de Crucified Barbara d’investir la scène en short et bas résille, pour le plus grand plaisir des nombreux mâles venus les écouter (qui a dit “mater : ?). Il faudrait vraiment faire la fine bouche pour ne pas se laisser séduire par le set énergique (mais aussi les jolis minois, il faut bien l’avouer). »

Mais au-delà des discours qui tendent à assigner des rôles sociaux adossés au genre dans l’univers de la musique metal, qui sont les festivalières du Hellfest ? Que recherchent-elles et comment en sont-elles arrivées à investir cet univers culturel où les dispositions masculines sont socialement valorisées d’une part et qui ne leur est a priori pas familier d’autre part ?

L’origine des goûts féminins en matière de musique metal

La supposée « docilité féminine » et la supposée « violence » du metal sont des catégories essentialisées qui apparaissent bien dans les systèmes de représentations des festivalières. Les processus de socialisation sont bien évidemment à la base des goûts culturels des apprentissages scolaires ou encore des activités sportives.

Ces enquêtes attestent la permanence de l’influence parentale des goûts culturels adolescents, malgré la relative diversité des instances socialisatrices à mesure de l’avancée en âge notamment. Les modes de socialisations à l’écoute de différents styles de musique prennent appui sur de multiples sources : famille, amis, réseaux sociaux, médias, etc. Les relations personnelles sont toutefois les plus importantes dans la découverte et l’écoute de la musique. Les socialisations relatives aux musiques metal sont également « plurielles ».

Si la sphère amicale est la plus importante dans la diffusion des goûts musicaux, des variations nettes existent entre festivalières et festivaliers. Les socialisations familiale et conjugale notamment sont très structurantes dans l’agencement des goûts chez les festivalières. L’écoute du metal et la fréquentation du Hellfest impliquent la construction et le renforcement de dispositions « inversées », c’est-à-dire construites « à contre-normes ».

Parallèlement à l’influence des amis, les femmes qui assistent au Hellfest ont été socialisées par la sphère familiale et conjugale masculine tandis que l’inverse (festivaliers influencés par des femmes) est statistiquement plus rare. Les festivalières déclarent ainsi avoir découvert les musiques « extrêmes » auprès de leur père à hauteur de 17,5 % d’entre elles contre 11,6 % pour les festivaliers ; à 15,3 % auprès de leur(s) frère(s) contre 12,5 % pour les festivaliers ; mais surtout à 18 % auprès de leur conjoint contre seulement 1,1 % pour les festivaliers.

Des consommations musicales genrées

Au-delà des sources d’influences, les goûts en matière de musique metal varient enfin entre festivalières et festivaliers. Ces goûts s’expriment à l’aune de systèmes de valeurs genrées et illustrent une permanence des hiérarchies hétéronormées. En effet, les styles de metal les plus « rapides » musicalement, joués les plus « fort » et au sein desquels les voix gutturales sont les plus « violentes » sont davantage appréciés par les festivaliers que les styles plus « lents », « mélodiques » voire « symphoniques » et « lyriques ».

Ainsi, « thrash metal », « death metal » et « grind metal » sont statistiquement nettement plus écoutés régulièrement par les hommes tandis que « symphonic metal », « gothic metal » et « folk metal » sont plus appréciés des femmes. Le « glam metal », et sa diffusion sur les radios de type « Hard FM » aux États-Unis notamment, a ainsi contribué à rendre socialement acceptable l’univers de la musique metal auprès d’un public féminin jusque-là très peu représenté statistiquement.

Trois décennies plus tard, les festivalières n’écoutent pas exactement les mêmes sous-genres de musique metal et ne fréquentent pas les mêmes scènes du Hellfest (chacune des six étant dédiée à un ou des sous-genres musicaux). Si les résultats de l’enquête de 2015 réalisée par nos soins indiquent que trois quarts des festivalières et des festivaliers déclarent à égalité fréquenter les scènes principales (« mainstage »), le public féminin est sous-représenté sur les scènes « altar » et « temple » (dédiées aux « death », « black », « grind » et « doom »).

Au-delà des goûts musicaux, les démarcations entre les pratiques masculines et féminines au Hellfest, telles que les danses, sont parfois poreuses. Le circle pit consiste à danser en rond face à la scène au rythme de la musique, à l’invite du chanteur qui harangue le public. Les corps y sont violentés et les chutes sont courantes. Des festivalières y participent parfois comme l’illustre le cliché ci-dessous. Leur présence contribue à rendre hétérogènes les gestes et usages corporels symboliquement codés et perçus comme étant masculins. Les pratiques de ces festivalières contestent et réinterprètent les usages genrés du public du Hellfest.

La présence de plus en plus affirmée des femmes sur le plan quantitatif au sein du public du Hellfest participe à la contestation et la subversion de l’ordre hétéronormatif. Cela alimente le brouillage des genres et rend plus perméable les frontières de la musique metal en France : dorénavant, la musique metal « se conjugue aussi au féminin ».

Christophe Guibert, Sociologue, Professeur des universités, Université d'Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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