Passées maîtres dans l’art de l’optimisation fiscale, les multinationales pharmaceutiques protestent pourtant contre la lourdeur de la fiscalité française, s’étonne dans une tribune au « Monde » l’expert du secteur Mathieu Bensadoun.
Tribune. Une nouvelle étude commanditée par l’organisation professionnelle des laboratoires pharmaceutiques – Les Entreprises du médicament (LEEM) – et réalisée par le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) détaille les écarts de fiscalité entre la France et ses voisins européens et fournit des munitions à une industrie fragilisée par ses errements et par les effets de plus en plus visibles de son extrême financiarisation.
Le fait que cette étude porte sur des taux d’imposition, alors que c’est l’érosion de l’assiette fiscale qui est déterminante, la rend évidemment inutile et inadaptée à poser un diagnostic sur la fiscalité du secteur : 20 % ou 25 % d’imposition sur une assiette à 0 ou presque ne change en effet pas grand-chose…
Car les multinationales de la pharmacie sont passées maîtres dans le déplacement de leurs bénéfices vers l’Irlande, le Luxembourg, ou les Pays-bas, ne payant l’impôt que sur un résidu infime des bénéfices réalisés en France. Appuyées par leurs conseils, commissaires aux comptes et fiscalistes (dont justement PwC, qui réalise un chiffre d’affaires très important avec les entreprises du secteur), jouant sur les régulations imprécises et permissives de l’OCDE, les multinationales peuvent de facto raconter toutes les histoires nécessaires au fisc français pour éviter l’impôt.
Une manipulation des profits
Ces entreprises justifient curieusement de ne percevoir aucune rémunération (profit) imposable pour leur activité du fait qu’elles ne courent aucun risque sur le marché français, abondamment régulé. Pourtant il existe de nombreux documents rédigés par ces mêmes entreprises attestant du contraire, et ils sont adressés au ministère du travail. Il s’agit des « Livre 2 » publiés tous les ans, ou presque, par les laboratoires pour justifier de l’impérieuse nécessité de procéder à des licenciements de centaines de salariés pour motifs économiques.
Baisse des ventes : il faut licencier. Baisse de prix : il faut licencier. Arrivée d’un produit concurrent : il faut licencier. Pourquoi ? Pour sauvegarder la compétitivité, dans un marché difficile et concurrentiel (dixit les laboratoires pharmaceutiques). S’il fallait accepter l’argument que les laboratoires ne supportent aucun risque sur le marché français, une discussion avec Pôle emploi et les caisses de solidarité s’imposerait de toute urgence…
De plus, ces entreprises manipulent leur niveau de profit en le fixant à un taux correspondant à celui d’entreprises « comparables », comme le recommande l’OCDE et l’accepte le fisc. Ces panels d’entreprises « comparables », souvent repris d’un laboratoire à l’autre, sont aussi comparables que le serait un aspirateur Dyson avec un balai. Les laboratoires vendant des produits dernier cri contre le cancer ou la sclérose en plaques se comparent avec des vendeurs de compléments alimentaires, de trousses de premiers secours et autres accessoires de pharmacie.
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