La nostalgie n'est pas une preuve de la façon dont les choses étaient autrefois. (Shutterstock)
La nostalgie de l’enfance occulte les expériences des enfants d’aujourd’hui
Lisa Farley, York University, Canada; Debbie Sonu, Hunter College; Julie C. Garlen, Carleton University et Sandra Chang-Kredl, Concordia UniversityLa nostalgie est revenue en force dans le sillage de la Covid-19. Les confinements imposés ont en effet donné lieu à une augmentation des activités nostalgiques telles que regarder des films classiques, faire de la pâtisserie et se souvenir du passé avec la famille et les amis.
La nostalgie peut être définie comme un sentiment de regret d’un temps plus heureux qui n’existe plus et qui n’a peut-être jamais existé.
Lorsqu’elle n’est pas excessive, la nostalgie peut être un sentiment productif, en ce sens qu’il donne une impression de continuité, d’utilité et d’optimisme dans les moments difficiles.
Comme l’explique l’autrice Danielle Campoamor : « La nostalgie est une sorte d’objet transitionnel, qui nous aide à nous habituer à une nouvelle réalité bouleversante, stressante ou traumatisante. »
Mais la nostalgie peut créer une image exagérément simpliste du passé, qui détourne l’attention du présent et limite la capacité d’imaginer un avenir différent.
À quoi sert la nostalgie ?
Comme la nostalgie fait généralement appel à des souvenirs de liens sociaux et fraternels, elle peut aider les gens à composer avec le sentiment de solitude.
La théoricienne de la culture Svetlana Boym ajoute que la nostalgie perturbe « le caractère irréversible du temps qui accable la condition humaine » et permet d’utiliser le passé pour repenser le présent et l’avenir.
Pour ces raisons, la nostalgie peut être particulièrement importante pour les gens fragilisés en raison de déplacements, de deuils ou de problèmes de santé mentale.
Certaines personnes peuvent même ressentir une nostalgie des débuts de la crise de la Covid-19, alors que les confinements étaient vécus comme une pause du tumulte du quotidien. Toutefois, la nostalgie reflète une vision exagérément positive de cette époque et met l’accent sur les expériences des personnes privilégiées ou bénéficiant d’une meilleure protection dans la société.
Alors que la pandémie évolue, le désir de retrouver la vie « normale » peut aussi engendrer des attentes irréalistes et des sentiments d’impatience, de frustration et de peur.
La nostalgie de la vie prépandémique peut être une façon de s’adapter aux nombreux deuils liés à la Covid-19 et aux effets inégaux de la maladie, de l’apprentissage en ligne et de l’accès aux ressources pour les enfants, les jeunes et les adultes.
L’innocence de l’enfance et les jeux
La nostalgie est traditionnellement associée à l’enfance et au désir de revenir à un état d’innocence fantasmé.
Encore aujourd’hui, dans l’imaginaire populaire occidental dominant, l’enfance est perçue comme une période qui précède les responsabilités, les problèmes et la violence, et la conscience du deuil et de la mort.
Les objets ludiques conçus pour les enfants sont, eux aussi, empreints de nostalgie. L’archéologue Jane Eva Baxter remarque que les jouets peuvent en dire tout autant sur la nostalgie de l’enfance des adultes que sur les enfants auxquels ils sont destinés.
Souvenirs d’enfance d’enseignants
Nos travaux examinent la manière dont les souvenirs d’enfance des futurs enseignants et éducateurs façonnent la perception qu’ils ont de leur rôle.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons demandé à des étudiants de premier cycle inscrits aux programmes de formation des enseignants et d’études de l’enfance de choisir un objet – jeton, jouet ou outil – qui, selon eux, représente l’enfance.
Les participants ont été invités à parler de l’objet choisi dans un groupe de discussion. Une foule d’objets ont été passés en revue : peluche, vélo, jumelles, jeux, casse-tête, dessins et livres.
À première vue, ces choix n’ont rien de surprenant. On pourrait même dire qu’ils représentent les idées normatives sur le développement de l’enfant et la tendance à voir l’enfance comme l’antichambre de la vie adulte productive.
Or, les participants ne se sont pas contentés de réaffirmer les normes représentées par leur objet. Ils l’ont utilisé pour décrire différentes expériences difficiles vécues durant l’enfance, comme la perte d’un être cher, des questions de genre et de sexualité, des moments d’inquiétude, d’intimidation ou d’échec, et la manière dont ils ont agi pour faire face à des objectifs éducatifs rigides.
L’enfance prépandémique et les jouets sans technologie
Si les répondants de notre étude ont décrit des expériences difficiles vécues en tant qu’enfants, ils sont retournés à une vision nostalgique de l’enfance lorsque le sujet de la Covid-19 a été soulevé.
Les technologies étaient au cœur de ces discussions. Plus précisément, les participants ont souligné que l’absence de technologie de leur objet était plus naturelle, plus innocente et plus joyeuse que les gadgets qui, selon eux, dominent les expériences des enfants aujourd’hui.
D’un côté, il existe des raisons importantes de s’inquiéter des technologies conçues pour les enfants, notamment sur le plan de la vie privée, de la sécurité et du consentement. Plusieurs jeunes ont eux-mêmes exprimé leurs inquiétudes quant aux effets des technologies dans leur vie.
Dans le cas de l’enseignement en ligne d’urgence, Sarah Barrett, spécialiste de la formation des enseignants, relève le rôle des technologies dans l’aggravation des inégalités sociales et la disparition des communautés scolaires.
D’un autre côté, l’utilisation créative des technologies par les enfants n’est peut-être pas si différente de leur utilisation des objets matériels et des jouets. Même s’ils soulèvent des interrogations, les jouets haute technologie peuvent être des exutoires pour l’imagination, la curiosité et l’attachement émotionnel.
Ce qu’oublie la nostalgie
Le problème est que la nostalgie occulte tout débat de ce type. Le désir de retrouver l’enfance prépandémique révolue peut renforcer les idées normatives définissant ce qu’est une enfance « réelle » ou « naturelle », même si ces idées n’ont jamais inclus tous les enfants.
Ainsi, la nostalgie peut amener à ignorer les expériences des enfants mêmes, expériences qui ont toujours été touchées par les transitions historiques, les inégalités sociales et les conflits émotionnels, comme en témoigne la discussion des participants à notre étude.
La nostalgie des enfances d’avant la pandémie oublie peut-être aussi que les écoles n’ont jamais été un espace sûr pour tout le monde, surtout pas pour les minorités racisées et les enfants queers et trans.
Considérant ces inégalités, il est révélateur que bon nombre d’enfants et de jeunes personnes minorisés aient décrit le passage technologique de l’éducation en ligne pendant la pandémie comme un répit de la violence raciste, homophobe et transphobe se produisant en personne à l’école.
Parce que la nostalgie crée une vision exagérément positive du passé, elle peut également détourner l’attention de la nécessité de changements structuraux dans les plans de relance post-Covid-19 du secteur de l’éducation.
La bonne nouvelle
La nostalgie est une émotion puissante qui peut être ressentie comme la preuve certaine d’une époque idéalisée à laquelle nous pouvons aspirer à revenir.
La théoricienne de l’éducation Janet Miller indique cependant qu’il est important « d’assumer la responsabilité de tout récit nostalgique qu’on se répète simplement par envie de revenir à une époque ou à un lieu bien souvent idéalisé, qui n’existe plus, et qui n’a fort probablement jamais existé ».
Ce pourrait bizarrement être une bonne nouvelle que de reconnaître que la nostalgie ne prouve pas les faits passés. Si nous arrivons à garder à l’esprit l’impossibilité des promesses idéalisées de la nostalgie, et si nous arrivons à assumer la responsabilité des récits nostalgiques que nous racontons, alors nous pourrons peut-être imaginer une vision nouvelle et inclusive de l’enfance et de l’éducation.
Lisa Farley, Associate Professor, Education, York University, Canada; Debbie Sonu, Associate Professor, Curriculum and Teaching, Hunter College; Julie C. Garlen, Associate Professor, Childhood and Youth Studies, Carleton University et Sandra Chang-Kredl, Associate Professor in Education, Concordia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.