La lumière, un moyen de contrôler l’effet des médicaments ?

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Certains médicaments peuvent être activés par la lumière. Ostap Senyuk/Unsplash, CC BY-SA

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La lumière, un moyen de contrôler l’effet des médicaments ?

Certains médicaments peuvent être activés par la lumière. Ostap Senyuk/Unsplash, CC BY-SA
Romain Haudecoeur, Université Grenoble Alpes (UGA); Letícia da Mata Lazinski, Université Grenoble Alpes (UGA) et Morane Beaumet, Université Grenoble Alpes (UGA)

L’idée de soigner le corps humain par la lumière ne date pas d’hier. Hérodote d’Halicarnasse affirmait que la lumière du soleil est indispensable à notre santé, et il tentait déjà de restaurer cette dernière par l’emploi de « l’héliothérapie » au temps de la Grèce antique. De nos jours, la lumière est reconnue comme essentielle à la production de vitamine D (pour la prévention de l’ostéoporose) et de mélanine (un pigment protecteur de la peau), et elle est encore utilisée pour traiter quelques pathologies, comme certaines formes de jaunisse du nouveau-né.

Mais si nous savons que la lumière peut interagir avec des éléments du corps, peut-on pour autant l’utiliser pour agir sur les médicaments que l’on consomme ? Certaines molécules peuvent en effet changer de conformation (leur forme en trois dimensions) en présence de lumière. Dans le cas où seule l’une des formes possède une activité biologique, on peut ainsi envisager d’activer ou de désactiver l’effet du médicament à la demande par irradiation lumineuse. De plus, certaines lumières (rouge et infrarouge notamment) peuvent traverser la peau et les tissus, et permettent de cibler avec une grande précision l’organe atteint, tout en étant peu invasives et facilement applicables.

Limiter les effets secondaires des traitements

Cette idée présente un intérêt considérable : elle permettrait, pour prendre seulement deux exemples de problématiques de santé mondiale, d’éviter l’émergence de résistances bactériennes dues à la dissémination incontrôlée d’antibiotiques, ou de réduire les effets secondaires liés à la toxicité de la chimiothérapie.

Comme souvent à l’interface chimie – biologie, elle repose sur l’observation d’un phénomène naturel : le mécanisme permettant la vision animale au cours duquel intervient une molécule : le rétinal (un dérivé de la vitamine A, elle-même produite par le corps à partir des ?-carotènes, d’où l’idée, partiellement vraie, selon laquelle manger des carottes serait bon pour la vue). Dans l’obscurité, le rétinal est liée à une protéine, nommée opsine, sous une forme coudée. Mais quand les yeux sont exposés à la lumière, il adopte subitement une forme linéaire, qui provoque son détachement de l’opsine. Ce phénomène engendre une série de réactions et mène finalement à la réception d’un signal électrique par le cerveau, qui le traduit par une image visuelle.

Le rétinal est donc ce qu’on appelle un « photoswitch », une molécule photosensible capable de changer de forme sous l’effet de la lumière : en fonction de celle-ci, il interagit ou non avec une protéine.

Et si ce concept pouvait être étendu à certains médicaments, qui, selon leur forme, pourraient délivrer leur action ou non ? En effet, après son administration, un médicament classique diffuse dans le corps et agit certes sur sa cible, mais souvent sur d’autres parties du corps également, ce qui produit des effets secondaires. Dans le cas d’un médicament « photoswitch », celui-ci est administré sous une forme inactive, et c’est uniquement lorsqu’il est exposé à la lumière qu’il change de forme et exerce son action. Son impact est donc réduit à la zone irradiée, pendant un temps déterminé, et le reste du corps et de l’environnement peut plus facilement être épargné. On parle de photopharmacologie, par opposition à la pharmacologie classique.

De premiers tests cliniques en cours

Cette discipline est encore émergente, et les « photoswitchs » viennent seulement d’atteindre les premiers tests cliniques de phase 1, comme la molécule « KIO-301 » de la société Kiora Pharmaceuticals développée pour le traitement de la rétinite pigmentaire, une maladie génétique grave qui entraîne progressivement la perte de la vision.

Mais depuis une dizaine d’années, plusieurs équipes de recherche travaillent sur le développement d’applications de ce concept, principalement en introduisant un motif azobenzène sur des molécules bioactives existantes. L’azobenzène fait partie des structures chimiques capables de changer de forme sous l’effet de la lumière, il est notamment employé dans la fabrication de colorants et pigments azoïques utilisés traditionnellement en teinture et peinture, pour obtenir des nuanciers du jaune au rouge.

La modification chimique d’antibiotiques comme la ciprofloxacine, pour les rendre réactifs à la lumière, est un exemple emblématique décrit par l’équipe du prix Nobel de chimie Ben L. Feringa. Inactives ou peu actives contre les bactéries sous leur forme d’origine, ces molécules acquièrent sous irradiation de lumière UV des propriétés antibiotiques. Ainsi, l’action du médicament peut être contrôlée dans le temps et dans l’espace, et la courte durée de vie de la forme irradiée (quelques heures, après quoi la molécule retrouve spontanément sa forme d’origine) permet d’éviter toute persistance d’une activité antibiotique dans l’environnement.

Dans le même esprit, la modification de la structure du méthotrexate, un médicament largement utilisé en thérapie anticancéreuse mais aux effets secondaires sévères (dépression, cirrhose hépatique, pneumonie, etc.), a permis la découverte du phototrexate, sa version « photoswitch ».

Si la forme d’origine du phototrexate n’a pas d’effet, son exposition aux UV lui fait adopter une autre forme, dont la toxicité est proche de celle du méthotrexate. Des expériences in vivo réalisées par les équipes de Soler et Gorostiza sur des embryons de poisson-zèbre traités cinq jours avec le phototrexate ont permis de montrer que si les embryons maintenus dans le noir ont mené à une faible mortalité au bout de cinq jours, d’autres individus irradiés par des UV deux fois par jour ont subi une augmentation du taux de mortalité d’un facteur huit, signe de l’activation du médicament sous l’effet de la lumière (la lumière seule n’ayant pas d’effet significatif sur cinq jours). Des molécules comme le phototrexate pourraient permettre de délivrer une action cytotoxique en irradiant spécifiquement une tumeur, sans altérer les autres parties du corps qui ne recevraient que la forme inactive du médicament.

D’autres domaines bénéficieraient de la possibilité de contrôler précisément l’effet d’un médicament. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer par exemple, la quantité d’acétylcholine, un neurotransmetteur impliqué dans le processus de mémoire, est réduite, ce qui déclenche des problèmes de mémoire. Une solution consiste alors à inhiber l’action des cholinestérases, des enzymes qui dégradent l’acétylcholine (c’est l’effet du donépézil par exemple, l’un des rares traitements commercialisés de la maladie), mais un contrôle précis de leur activité est difficile à atteindre avec des thérapies classiques. Récemment, une équipe est parvenue à élaborer une molécule de type « photoswitch » capable d’inhiber l’action de la butyrylcholinestérase sous l’effet de la lumière UV. Cette molécule apparaît comme dix fois plus active sous sa forme irradiée que sous sa forme d’origine lors des tests sur l’enzyme isolée, mais elle produit un effet de type « tout ou rien » sur des modèles de souris présentant les caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. En effet, si lors de l’injection du produit non irradié, aucune amélioration notable de la mémoire des souris déficientes n’est remarquée, le traitement avec la forme irradiée permet un retour complet au comportement normal, ce qui ouvre des perspectives intéressantes pour ajuster plus finement l’équilibre chimique du cerveau des patients atteints.

Ces différentes études ont permis de valider des preuves de concept décisives en ce qui concerne l’efficacité de traitements photopharmacologiques in vitro et in vivo. Néanmoins, la transposition de ces résultats vers l’utilisation clinique représente un enjeu et un défi de taille. En effet, l’utilisation systématique du motif azobenzène dans les « photoswitchs » actuels s’accompagne de certains défauts potentiellement rédhibitoires dans un contexte thérapeutique, comme l’utilisation de lumière UV, qui pénètre mal dans l’organisme et peut s’avérer nocive.

Avec d’autres équipes de chimistes, nous tentons de développer des structures alternatives pour surmonter ces difficultés, comme les hémiindigoïdes ou les phénylazothiazoles, activables et désactivables par la lumière visible. Les molécules visées doivent idéalement répondre à trois critères aussi cruciaux que difficiles à atteindre. Elles doivent pouvoir changer de forme efficacement dans l’eau et/ou dans un milieu biologique ; ce changement de forme doit intervenir sous irradiation d’une lumière visible située le plus possible du côté rouge de l’arc-en-ciel, afin de pénétrer profondément dans l’organisme pour toucher par exemple des organes internes ; et la forme irradiée doit mener à une forte augmentation de l’activité biologique par rapport à la forme initiale. Ce subtil équilibre entre les différentes propriétés souhaitées pour un médicament photopharmacologique optimal constitue l’un des principaux défis dans le domaine, et relève d’une véritable orfèvrerie moléculaire.

Romain Haudecoeur, Chercheur en chimie–biologie, Université Grenoble Alpes (UGA); Letícia da Mata Lazinski, Doctorante en chimie, Université Grenoble Alpes (UGA) et Morane Beaumet, Chercheuse en chimie, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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