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Philippe Martin, Inserm; Corinne Alberti, Université de Paris; Elise de La Rochebrochard, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Solenne Tauty, Inserm

Comment passer à côté du phénomène Netflix, devenu une source presque illimitée de divertissement audiovisuel ?

Certaines séries, spécialement destinées aux jeunes, ont acquis une popularité incontestable, avec une place centrale de la « culture jeune » au sein des scénarios.

À l’âge où de nouveaux sentiments émergent et où les sexualités se construisent, les séries populaires sur les nouvelles plates-formes de streaming pourraient ainsi devenir des acteurs participant, à leur manière, à la promotion de la santé sexuelle.

Des séries Netflix plébiscitées par les jeunes

Depuis plusieurs années, les plates-formes de vidéos à la demande par abonnement (SVoD) sont apparues dans l’univers digital, proposant films, séries et documentaires. Présente dans plus de 190 pays, Netflix est la plate-forme de référence la plus regardée, avec une croissance régulière du nombre d’abonnés, estimés aujourd’hui à 193 millions. Netflix propose des contenus audiovisuels, selon leurs genres et les publics. Un algorithme recommande des contenus susceptibles de plaire, selon les habitudes et préférences des abonnés.

Selon Médiamétrie, les jeunes de 15 à 24 ans représentaient près d’un quart (24 %) de l’audience française de Netflix en septembre 2018, alors que cette tranche d’âge ne représente que 12 % de la population. Parmi les contenus Netflix, certaines séries apparaissent comme des formats attractifs pour les jeunes. Les scénarios se construisent sur plusieurs épisodes et saisons, fidélisant un public s’identifiant parfois aux personnages, et traitant de sujets de la vie des jeunes.

Nouvelles représentations des dimensions affectives et sexuelles

Depuis toujours, les dimensions affectives et sexuelles de la vie adolescente sont intégrées dans les films, romans, séries télévisuelles, faisant écho au quotidien des jeunes et à la socialisation adolescente. Avec l’essor des séries Netflix destinées aux jeunes, une nouvelle manière d’aborder ces questionnements pourrait s’observer.

Des sujets actuels sont abordés dans ces séries et de nouvelles normes y sont représentées, de manière parfois explicite.

Puis-je prendre mon propre plaisir sexuel en étant une fille ? Mon orientation sexuelle est-elle compatible avec ma religion ? Ma vie amoureuse est-elle possible avec le VIH ? Est-il envisageable d’avoir plusieurs partenaires en même temps ?

La question est alors de savoir comment est abordée la santé sexuelle au sein des séries à destination des jeunes, sachant que la définition de la santé sexuelle donnée par l’Organisation mondiale de la Santé est la suivante :

« Un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité [qui requiert] une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles qui soient sources de plaisir et sans risque, libres de toute coercition, discrimination ou violence. »

Une analyse scientifique de 6 séries Netflix pour les jeunes

Pour répondre à cette question, une recherche conjointe entre l’Institut national d’études démographiques (Ined) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a été menée. Cette étude a analysé les contenus liés à la santé sexuelle dans 65 épisodes de 6 séries récentes (2015-2020) et populaires chez les jeunes.

Deux séries avaient un synopsis directement en lien avec la santé sexuelle (26 épisodes) : Sex Education et les Chroniques de San Francisco (version 2019). Quatre autres étaient « tout sujet »(39 épisodes) : Elite, 13 Reasons Why, Stranger Things, The Society.

Bien que le but premier soit avant tout de divertir, ces séries à destination des jeunes peuvent intégrer ce qu’on pourrait appeler des « messages de promotion de la santé sexuelle », au sens où des informations, conseils ou représentations positives pourraient amener les téléspectatrices et téléspectateurs à réfléchir sur leurs représentations, normes et comportements.

Pour chacun des 65 épisodes analysés, deux chercheurs en santé publique ont complété indépendamment une grille permettant de décrire les sujets de santé sexuelle abordés par les séries, et d’analyser les messages de promotion de la santé sexuelle intégrés. Après avoir confronté leurs observations, les chercheurs ont discuté pour arriver à une grille d’analyse consensuelle.

Les messages relevés dans les séries allaient au-delà de la simple prévention des risques. Ils pouvaient être des informations factuelles exprimées par les personnages, mais également des mises en scène beaucoup plus visuelles de comportements ou de situations de vie.

La santé sexuelle et sa promotion dans les 6 séries Netflix

Parmi les séries analysées, les sujets de santé sexuelle les plus abordés étaient les relations amoureuses et sexuelles, apparaissant dans l’intégralité des 65 épisodes visionnés. Les scénarios pouvaient mettre en avant les enjeux du couple, les techniques de drague, les « sex-friends », ou encore les partenaires multiples.

Ces séries mettent également en avant les pressions sociales pesant sur les jeunes, telles que la réussite amoureuse et sexuelle, mais aussi scolaire ou sportive. Toutes ces injonctions de la vie quotidienne mettent les personnages face à de nombreux dilemmes. La quête d’une « normalité » (déconstruite parfois) et les difficultés de communication sont mises en scène chez des personnages adolescents, et parfois chez des personnages plus âgés.

Les autres sujets les plus abordés présents dans les séries concernaient l’orientation sexuelle et l’identité de genre abordé dans 72 % des épisodes (47 épisodes sur 65), et le harcèlement ou violences sexuelles dont il est question dans 62 % des épisodes. Les deux séries dont le synopsis est orienté sur la santé sexuelle traitaient la question du plaisir, notamment féminin, dans 54 % des épisodes, alors que seulement 13 % des épisodes de quatre séries « tout sujet » en parlent.

47 épisodes abordent la question « orientations sexuelles et identités de genre », soit 47/65 = 72 % des épisodes qui abordent cette thématique.

Globalement, parmi les 65 épisodes, nous avons observé 62 messages de promotion de la santé sexuelle, principalement diffusés comme information factuelle (77 %) avec une scène se déroulant dans un établissement scolaire (48 %). Les deux séries dont le scénario est orienté sur la « santé sexuelle » diffusaient la plupart des messages (50 messages sur les 62, soit 81 % des messages de promotion de santé sexuelle). Au vu de leur synopsis, il était bien sûr attendu que ces deux séries parlent de santé sexuelle. Par contre, la faible fréquence des messages de promotion de la santé sexuelle dans les autres séries (entre 0,5 et 0 message par épisode, voir figure ci-dessous) est plus étonnante au regard du public visé et de l’importance de ces thématiques à ces âges.

Voici quelques exemples de messages de promotion de la santé sexuelle observés dans les séries :

Un « Non », ça veut dire « Non ». (Sex Education)

Une personne infectée par le VIH ne peut pas transmettre le virus si sa charge virale est indétectable. (Elite)

Un rapport sexuel n’est pas forcément la reproduction de scène de film pornographique et il faut pouvoir penser à son plaisir. (Sex Education)

Des commentaires sur le physique d’une femme peuvent être une forme de harcèlement. (13 Reasons Why)

Le terme « travelo » peut être discriminant ou offensant. (Les chroniques de San Francisco)

Les messages de promotion de la santé sexuelle traitaient principalement des violences sexuelles (19 %), de la protection contre les infections sexuellement transmissibles (18 %) ou encore de la contraception (15 %). Certaines thématiques étaient abordées uniquement dans les deux séries dont le scénario est orienté vers la santé sexuelle, telles que l’acceptation de soi, le plaisir et les troubles sexuels.

De manière plus implicite, certaines séries (Sex Education, Elite, Les Chroniques de San Francisco) tentent également de déconstruire les représentations et normes de genre. Elles donnent ainsi à voir des jeunes femmes vivant pleinement leur sexualité, ayant des projets de carrière et non de famille, des jeunes hommes qui se maquillent ou expriment sans honte leurs sentiments. Des populations minorisées sont représentées (cultures, identités sexuelles et de genre, handicaps).

Ces personnages sont acceptés et appréciés par leurs pairs, bien qu’une histoire relative à un rejet vécu soit très souvent dépeinte. Par ailleurs, différents schémas familiaux peuvent être mis en scène : familles homo/monoparentales, absence de parents, problématiques familiales. Toutes ces représentations au sein des séries dressent donc le portrait d’une réalité jeune diverse, participant ainsi à la déconstruction des stéréotypes de genre.

Le cas particulier de Sex Education

Dans cette analyse, Sex Education est la série qui diffuse le plus grand nombre de messages de promotion de la santé sexuelle, avec une moyenne de 2,6 messages par épisode. Les réalisateurs de cette série télévisée britannique (2019) collaborent avec un éducateur sexuel donnant son avis sur les scénarios et vérifiant que les informations sont correctes et adaptées au public visé par la série.

La série met en scène un adolescent (dont la mère est sexothérapeute) qui fait équipe avec une camarade de classe pour instaurer des séances de thérapie sexuelle dans son lycée. Tout au long de la série, on y découvre une diversité de problématiques jeunes liées à la sexualité et aux sentiments, avec les questions de rapports sexuels, de violences sexuelles, ou encore d’impact des réseaux sociaux (« revenge porn »). Dans chaque épisode, l’intrigue porte sur un sujet de santé sexuelle (romance, virginité, trouble de l’érection, cyberharcèlement, etc.). L’originalité de cette série est qu’elle apporte des réponses concrètes face aux enjeux de santé sexuelle, sur un fond à la fois humoristique, dramatique et émotionnel.

Sex Education est allée encore plus loin, en proposant « Le Petit manuel de Sex Education », conçu dans un but de promotion de la santé sexuelle. Aussi, des stands ont été mis en place dans des lieux de passage (rue, gare), notamment en France, pour discuter avec des (jeunes) passants des sujets de sexualité.

À travers cette série, Netflix souhaite que les jeunes puissent se reconnaître dans leurs vécus. Pour illustrer la portée de leur série, Netflix a publié le témoignage d’une jeune femme ayant subi une agression sexuelle dans les transports :

Elle explique qu’un épisode de la série mettant en scène une telle agression lui a permis de se sentir moins seule, et de lever un tabou.

Est-ce que les séries Netflix peuvent être actrices dans la promotion de la santé sexuelle ?

Des séries telles que Sex Education pourraient donc participer à la libération de la parole sur des sujets complexes. Le partage d’expériences et l’identification aux personnages pourraient avoir une influence positive dans la gestion des évènements de vie des jeunes visionnant ces séries. Néanmoins, il est possible que ces messages provoquent l’effet inverse, et ainsi renforcent les stigmatisations et discriminations, en dédramatisant et en rendant risibles des problèmes de santé sexuelle. Certains jeunes pourraient aussi ne pas se sentir concernés ou représentés et donc ne pas être sensibles à ce type de contenu.

En effet, au-delà de la simple description des messages de promotion de la santé sexuelle intégrés dans les séries Netflix, nous aurions besoin d’explorer la perception des jeunes de ces messages. Une perspective serait de mieux comprendre comment les séries peuvent réellement apporter des connaissances et compétences, quels jeunes y sont sensibles, et comment il peut être possible d’intégrer les séries dans les actions traditionnelles de promotion de la santé.

Il apparaît nécessaire d’explorer l’intérêt de pistes « non traditionnelles » dans la promotion de la santé sexuelle auprès des jeunes. L’approche institutionnelle est en effet perçue comme « moralisatrice », ce qui en réduit l’efficacité et appelle à réfléchir à d’autres voies, complémentaires, pour développer la promotion de la santé sexuelle.

Philippe Martin, Santé et droits sexuels et reproductifs, Ined – Eceve U1123, Inserm; Corinne Alberti, PU-PH de santé publique, Université de Paris; Elise de La Rochebrochard, Directrice de recherche, Santé et Droits Sexuels et Reproductifs, Institut National d'Études Démographiques (INED) et Solenne Tauty, Pharmacienne, Epidémiologiste, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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