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Depuis 2009, au moins la moitié des créations d'entreprises en France se font sous le statut de « microentreprise ». Flickr/École polytechnique, CC BY-SA

Entrepreneurs et autoentrepreneurs, la grande confusion

Depuis 2009, au moins la moitié des créations d'entreprises en France se font sous le statut de « microentreprise ». Flickr/École polytechnique, CC BY-SA
Jean-Yves Ottmann, Université Paris Dauphine – PSL; Andrés Davila Valdiviezo, ESCE International Business School; Cindy Felio, Université Bordeaux Montaigne et Fernanda Arreola, ISC Paris Business School

Depuis les années 1970, la France a multiplié les politiques publiques visant à favoriser l’entrepreneuriat pour stimuler la croissance. Ces deux dernières décennies, le nombre de créations annuelles d’entreprises a doublé, notamment sous l’effet de l’apparition du statut d’autoentrepreneur en 2009 (renommé « microentrepreneur » en 2017). Depuis, au moins la moitié des créations se font sous ce statut et aujourd’hui, un entrepreneur sur deux exerce sous ce régime. Le développement des plates-formes numériques qui recourent à des sous-traitants au lieu de salariés, comme Uber ou Deliveroo, a en effet accentué la tendance.

Pour autant, peut-on dire que tout travailleur indépendant sous le régime de l’autoentrepreneuriat est un entrepreneur ? Comme nous l’avons montré dans nos récents travaux, certainement pas.

Le statut d’autoentrepreneur a été créé pour encourager l’entrepreneuriat en réduisant les formalités administratives et en proposant des facilités économiques (exemption de TVA et de faibles cotisations sociales). S’il est tout à fait adapté à des activités complémentaires ou occasionnelles (se posant ainsi en incitation à « l’entrepreneuriat hybride », c’est-à-dire au cumul entre un emploi salarié et une création d’entreprise), il semble important de rappeler l’écart entre entrepreneur et autoentrepreneur dès lors qu’il s’agit d’une activité principale.

Pas d’autres emplois à la clef

Un entrepreneur a une volonté de croissance et devrait, à terme, créer des emplois et dynamiser l’économie de son territoire (si ce n’est de son pays). À l’inverse, la majorité des autoentrepreneurs, qui ne font que créer leur propre activité, ne peuvent pas ou ne veulent pas croître, n’auront pas d’employés et n’ont probablement qu’un effet limité sur le dynamisme économique local (notamment en raison de leurs faibles revenus).

S’il s’agit bien de la création d’un emploi, il n’y en aura pas d’autres à la clef, c’est même implicite dans le nom originel du statut. Les « emplois » actuellement créés par les plates-formes (chauffeurs, livreurs, petits travaux, etc.) accentuent encore cet état de fait.

Au fil du temps, plusieurs modèles ont essayé de définir ce qu’est un entrepreneur. Traditionnellement, il a été défini comme une personne qui porte une innovation, qui assume le risque de l’activité ou encore qui assure la coordination d’une activité nouvelle. Plus récemment, la recherche a proposé pour de compléter ce profil avec la volonté de croissance, certains traits de personnalité ou de l’analyser dans une perspective évolutionniste (selon laquelle l’entrepreneuriat s’explique par la culture d’une société).

Or, il est facile de constater que le simple fait de travailler à son compte ne correspond aucunement à certaines de ces définitions, et seulement de manière partielle à d’autres :

Un travailleur indépendant n’a pas à être innovant ou orienté vers la croissance. Il peut parfaitement assurer sa subsistance en réalisant seul et de manière constante dans le temps une activité classique, qualifiée (artisanat d’art, graphisme, conseil aux entreprises, etc.) ou non (artisanat simple, services aux particuliers, taxi, etc.).

La réalité pratique et juridique va d’ailleurs en ce sens, puisque la majorité des aides financières à la création d’entreprise, notamment toutes celles à l’innovation, ne peuvent être obtenues sous statut d’autoentrepreneur.

Il est donc nécessaire de clarifier la différence entre entrepreneuriat et travail indépendant, de distinguer leurs effets, leurs intérêts et leurs difficultés, et de mettre en place des politiques publiques distinctes.

Un besoin de mesures plus précises

Que pouvons-nous faire pour cela ? Il est possible d’apporter des réponses en tant que chercheurs, décideurs publics ou même simples citoyens.

En tant que chercheurs, il semble nécessaire de distinguer dans nos travaux entrepreneurs et travailleurs indépendants (« self-employed »). Comment espérer influer sur les politiques publiques lorsque le champ académique lui-même n’est pas capable de dépasser ces limites conceptuelles ? Ce déficit de distinction conduit à survaloriser l’entrepreneuriat comme une réponse « héroïque » et viable aux difficultés rencontrées par certaines populations, en construisant des conclusions sur la prégnance du travail indépendant.

Or, si le travail indépendant constitue une réponse possible et viable au chômage, il a aussi d’importantes limites en termes de revenus, de sécurité et de capacité à démultiplier le gain économique. En l’état de la littérature, le champ de la recherche sur l’entrepreneuriat n’est aujourd’hui que peu capable de traiter les questions soulevées par le statut d’autoentrepreneur (contrairement par exemple à nos collègues sociologues, qui se sont saisis avec pertinence de ses ambiguïtés).

Au niveau des décideurs publics, il semble nécessaire de mesurer de manière plus précise les résultats et les externalités des politiques publiques associées à l’entrepreneuriat. Cela passe par distinguer systématiquement création d’entreprise et création d’autoentreprises. De même, mesurer le niveau de vie à moyen terme des personnes ayant bénéficié d’aides à la création semble nécessaire. N’aurait-il pas été plus pertinent de les aider à trouver un emploi « classique » ? Est-il souhaitable de créer une classe de « faux entrepreneurs précaires » sous prétexte de faire baisser le taux de chômage ?

Des services classiques, simples et locaux

La récente réforme de l’assurance chômage va-t-elle pousser davantage de personnes notamment des seniors, vers ces statuts précaires, peu rémunérateurs et peu créateurs de valeur pour le système économique ? De nouveaux questionnements et de nouveaux indicateurs sont nécessaires pour répondre à ces questions. Et ces indicateurs doivent aussi exister au niveau des organismes non gouvernementaux. Par exemple, aujourd’hui, l’OCDE mesure l’entrepreneuriat et l’emploi indépendant comme des synonymes.

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Enfin, en tant que citoyens, nous pouvons bien sûr réclamer une meilleure évaluation des politiques publiques liées à l’entrepreneuriat. Quel est le montant des fonds distribués par la BPI, pour combien d’emplois créés et à quel terme ? Quels sont les fonds réellement consacrés à l’accompagnement de travailleurs indépendants à l’activité potentiellement pérenne ? Doit-on subventionner des plates-formes pour qu’elles créent des autoentrepreneurs paupérisés ?

Il s’agit aussi de faire la part des choses : certes, le contexte médiatique sature l’opinion publique d’histoires d’entrepreneurs héroïques et multimilliardaires, ou encore de start-up disruptives et révolutionnaires. Mais l’immense majorité des travailleurs indépendants s’efforce tout simplement de fournir des services classiques, simples et locaux. Ces derniers méritent certainement davantage de considération.

Jean-Yves Ottmann, Chercheur en sciences du travail, Université Paris Dauphine – PSL; Andrés Davila Valdiviezo, Psychologue, chercheur en management, ESCE International Business School; Cindy Felio, Psychologue, Chercheuse en Sciences de l’Information et de la Communication, Laboratoire MICA (EA 4426), Université Bordeaux Montaigne et Fernanda Arreola, Dean of Faculty & Research, ISC Paris Business School

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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