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Enfants surdoués : de quoi le « haut potentiel » est-il le nom ?

Faut-il proposer aux enfants dits “précoces” ou “surdoués” des parcours spécifiques ? Shutterstock
Marie Duru-Bellat, Sciences Po

Aujourd’hui, qui n’a jamais entendu parler de « HPI » – ou haut potentiel intellectuel ? Popularisé récemment par une série télévisée, cet acronyme est utilisé depuis les années 2010 pour désigner ce qu’on appelait jusqu’alors les « surdoués » ou, au XIXe siècle, les enfants prodiges.

Ce « haut potentiel », même les spectateurs néophytes de la série savent qu’il est mesuré par un test d’intelligence, permettant d’évaluer le QI – ou quotient intellectuel –, nombre un brin magique censé prédire la réussite scolaire ou professionnelle.

Dans le même temps, les chercheurs en psychologie sont fort embarrassés pour définir l’intelligence. Car tant le QI que le « haut potentiel » – par convention, un QI au moins égal à 130 (ce qui représenterait, par construction, 2,3 % de la population soit environ, en France, 1 550 000 personnes) – sont des notions mobilisées essentiellement par des psychologues praticiens qui ont à se prononcer soit pour des recrutements dans les entreprises, soit pour des décisions pédagogiques dans le milieu éducatif.

Même s’il n’existe pas de consensus scientifique chez les spécialistes sur ce que signifie le terme même d’intelligence, l’intérêt des tests, aux yeux du grand public, vient de leur corrélation statistique avec la réussite scolaire, et en général professionnelle. Mais c’est sans doute cela l’essentiel…

Un contexte social « porteur »

Depuis une cinquantaine d’années, des chercheurs comme Robert Castel décrivent une tendance lourde à renvoyer à la psychologie ou à la psychiatrie la gestion des problèmes sociaux. L’institution scolaire, qui entend prendre en compte de plus en plus les spécificités des enfants – au début des années 2000, Ségolène Royal parlait ainsi d’« école pour chacun » – fait preuve d’une « médicalisation décomplexée », particulièrement depuis les années 1990.

Cette évolution conduit souvent à interpréter les échecs scolaires en termes de défaillances personnelles. Les enfants qui peinent à l’école sont nombreux à être adressés à des spécialistes et à être étiquetés comme « dys » – dyslexique, dyscalculique…

C’est au nom de ce « droit à la différence » que des parents convaincus des capacités exceptionnelles de leur enfant se regroupent en association (notamment l’association nationale pour les enfants surdoués (ANPES), créée en 1971) et engagent un combat vigoureux contre les méfiances du Ministère et des enseignants concernant la notion perçue comme élitiste de surdoué, afin de faire reconnaître cette autre forme de spécificité.

Wilfried Lignier – La petite noblesse de l’intelligence, une sociologie des enfants surdoués (Librairie Mollat, interview en 2012).

Ces parents mettent en avant le fait qu’un enfant trop brillant rencontre souvent des problèmes à l’école, souffre de sa situation et devrait donc pouvoir bénéficier de parcours ou de traitements spécifiques. Ils finissent par être entendus, et le Ministère admet (au seuil des années 2000) que ces enfants qu’il préfère appeler « précoces » (expression euphémisée de la supériorité intellectuelle) peuvent éprouver des problèmes.

Dans la loi « Pour l’avenir de l’école » de 2005, il est écrit que des « aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières, afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités ».

Les parents d’élèves qui contestent les décisions de l’institution scolaire

Dans un contexte de concurrence pour des places scolaires ou sociales inégalement prestigieuses et inégalement attractives, ces parents vont porter une demande d’évaluation capable d’asseoir un pronostic sur les performances à venir. L’objectif est de faire bénéficier leur enfant d’un traitement particulier, permettant d’optimiser son cursus scolaire.

Le diagnostic de précocité, posé par un psychologue, le plus souvent dès l’école primaire, suit la demande de parents convaincus que leur enfant a des besoins particuliers et des qualités mal appréhendées par les maîtres.

Ces parents, en général bien plus diplômés que l’ensemble de la population, sont à l’aise avec la culture psychologique, et se sentent en droit de contester l’institution scolaire. Armés d’un test de QI délivrant le verdict de « haut potentiel », ils n’hésitent pas à exercer des pressions pour amener les enseignants à se plier à leurs souhaits, concrètement, à obtenir pour leur enfant un saut de classe ou des aménagements de scolarité.

Aujourd’hui, certains parents défendent véritablement, non sans moyens matériels, car il faut payer pour faire tester son enfant, une « cause » de l’intelligence (selon la formule de Wilfried Lignier), fondée sur l’usage scolaire du diagnostic psychologique. Il s’agit de fait, grâce à cette ressource présentée comme indiscutable d’un QI élevé, d’une stratégie de distinction, justifiée par le caractère crucial de la réussite scolaire.

On défend ainsi la nécessité d’une prise en charge spécifique de ces enfants en arguant du fait que ces « surdoués » peuvent se retrouver en souffrance, même si en réalité l’immense majorité des élèves ainsi étiquetés connaitra des scolarités excellentes. Ces stratégies de parents pour qui l’institution devrait être à leur service s’inscrivent dans la droite ligne de l’individualisation croissante des parcours scolaires.

Qu’est-ce que les QI mesurent au juste ?

Il reste qu’au-delà de cette quête du testing, on ne sait pas trop ce qui est mesuré. Les tests de QI entendent donner de l’intelligence d’une personne une mesure unique, épousant la conception commune d’une intelligence qui caractériserait chacun, au même titre que les traits physiques, chacun en ayant plus ou moins.

Le premier test d’intelligence construit en 1905 par le psychologue Alfred Binet visait avant tout à détecter les enfants incapables de suivre l’enseignement normal, par des exercices variés recouvrant ce qui est en fait une « intelligence de l’écolier ».

Diagnostics HPI : haute arnaque potentielle (Libération, juin 2022)

Aujourd’hui, les tests d’intelligence sont toujours construits par rapport à ce qu’exige l’école : des capacités verbales, visuo-spatiales, le raisonnement, la mémoire, la vitesse… Le plus utilisé d’entre eux, le WISC, permet de situer les enfants parmi leur groupe d’âge, autour d’un score moyen défini par convention à 100, la majorité se situant entre 70 et 130, seuls les HPI dépassant la borne supérieure. Le score est donc un classement entre enfants, par rapport aux capacités exigées aujourd’hui par l’école telle qu’elle est.

D’aucuns soulignent que nombre de qualités comme la créativité ou l’empathie échappent totalement à cette mesure, qui est aussi étroite que la définition du mérite scolaire lui-même. Mais l’école doit classer, et elle le fait sur la base de critères faciles à mesurer ! Les tests « fabriquent » donc une mesure très dépendante de l’école, au risque d’entériner un fantastique gaspillage de talents et d’enfoncer pour la vie certains enfants au vu de performances qui s’avèrent pourtant très flexibles dans le temps et selon les pratiques pédagogiques des enseignants.

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Même si les débats sont récurrents sur l’explication de ce « plus ou moins » – ces différences interindividuelles sont-elles innées ou acquises ?-, le score obtenu au test de QI évoque irrésistiblement l’idée de don, renvoyant à l’ordre de la nature. Avec des incidences politiques évidentes : mesurer l’intelligence a pour finalité, dans la pratique, d’affecter les personnes là où serait leur place « naturelle », du moins dans le parcours scolaire adéquat.

Alors que les enjeux autour de la notion de haut potentiel prennent aujourd’hui une importance sociale sans commune mesure avec le caractère souvent fragile des instruments et des travaux sur lesquels ils s’appuient, il est important de relancer le débat sur la mesure de l’intelligence et ce qu’on en fait.

Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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