Au plan oculaire, une visite régulière chez l'optométriste ou l'ophtalmologiste permet de dépister les signes précoces des atteintes diabétiques. (Shutterstock)
Diabète de type II chez les jeunes : gare aux yeux !
Langis Michaud, Université de MontréalKarl, 16 ans, est mon patient depuis peu. Quand nous nous sommes rencontrés, il m’était référé pour vision fluctuante. Après examen, j’ai identifié des signes qui évoquent la présence du diabète, ce qui pouvait expliquer son problème de vision variable. Ce soupçon s’est transformé en réalité lorsque son médecin de famille a confirmé le diagnostic de cette maladie. Le monde de Karl venait alors de changer.
Comme optométriste, je vous invite à plonger dans cette réalité qui doit tous nous préoccuper.
Le diabète, c’est quoi ?
Le diabète est une maladie insidieuse. Ses symptômes (soif, besoin d’uriner souvent, fatigue, perte de poids, zones de peau plus foncées au cou et aisselles) passent souvent inaperçus, du moins aux étapes précoces de la maladie.
Le diabète affecte la vie d’une personne sur 14 au Canada (7 %) et une sur dix en Amérique du Nord (10 %).
Deux types de diabète peuvent être diagnostiqués :
Le type 1, dit insulinodépendant, qui se développe lorsque le corps ne peut pas produire l’insuline nécessaire à métaboliser les sucres que l’on ingère et qui nourrissent nos tissus ;
Le type 2, qui apparaît lorsque l’insuline est bien produite, mais en quantité insuffisante. Il arrive également que l’insuline produite soit inefficace à remplir son rôle.
Le diabète de type 1 est habituellement associé au développement de la maladie durant l’enfance et l’adolescence. Le type 2, soit le plus fréquent, se manifeste quant à lui généralement plus tard dans la vie, souvent après 50 ans.
Un diagnostic contre-intuitif, mais pas si rare
Suivant cette définition, il serait logique de penser que Karl présente un diabète de type 1, dont l’évolution et le traitement sont bien maîtrisés par les médecins. Or, dans son cas, et après les examens requis, le médecin a identifié un type 2. Ce diagnostic, contre-intuitif, pose des défis importants. La rapidité d’apparition, la sévérité initiale de l’atteinte et les mécanismes de résistance ou de sécrétion réduite de l’insuline pourraient être différents chez les patients qui développent la maladie à un âge plus jeunes par rapport aux adultes.
De plus, les traitements envisagés deviennent plus complexes, avec des essais et erreurs, en raison de la durée beaucoup plus longue de ce type de maladie lorsqu’elle débute en bas âge. Les changements mineurs et majeurs qui affectent les vaisseaux sanguins chez le patient diabétique de type 2 peuvent générer des conséquences graves qui sont difficiles à prévoir, considérant une évolution se poursuivant durant 40 à 60 ans.
La situation de Karl n’est pourtant pas exceptionnelle. De plus en plus de jeunes et d’adolescents, notamment ceux qui présentent un surpoids, une obésité, et un niveau de sédentarité élevés, sont affectés par le type 2. Près de 75 % d’entre eux ont des parents, ou des frères et sœurs également diabétiques.
Si, à première vue, cela confirme la génétique comme facteur de risque pour développer la maladie, il s’agit plutôt, dans ce cas précis, d’une conséquence de mauvaises habitudes de vie, notamment alimentaires, et d’une absence d’activités physiques souvent communes à toute la famille.
Des conséquences sur la vision
Le fait que Karl développe son diabète de type 2, plus tôt que tard dans la vie, le place également à plus haut risque de développer des complications oculaires. A cet égard, un article m’a récemment interpellé. Cette étude a examiné les dossiers de 1 362 personnes diabétiques, vivant au Minnesota, donc en Amérique du Nord. Les données ont été compilées entre 1970 et 2019, ce qui permet également de mesurer l’évolution de la situation au cours des dernières décennies.
Les résultats étonnent : les jeunes diabétiques de type 2 (en comparaison à ceux type 1 du même âge) ont 88 fois plus de risque de développer une rétinopathie (vaisseaux sanguins anormaux et/ou hémorragies dans la rétine). Par ailleurs, le risque que cette dernière devienne « proliférative », et donc menaçante pour la vision, est augmenté de 230 fois. On observe également une augmentation de 49 fois le risque d’accumulation de liquide dans la rétine (oedème maculaire) et 243 fois le risque de développer une cataracte mature à un âge encore jeune. Cette dernière nécessite une chirurgie davantage risquée chez les jeunes que dans le cas de cataractes séniles liées à l’âge.
Que faut-il retenir ? Que les problèmes majeurs, et qui nécessitent souvent des interventions chirurgicales pour sauver la vision, surviennent beaucoup plus rapidement chez les jeunes diabétiques de type 2 que ceux affectés du type 1. Il faut donc suivre ces patients de plus près. En effet, près d’un patient sur deux souffrant de type 2 présentera une forme ou l’autre de rétinopathie, de 1 à 8 ans suivant le diagnostic de sa condition. En comparaison, chez les diabétiques de type 1, c’est 1 patient sur 3 qui sera aux prises avec une rétinopathie, de 6 à 10 ans suivant le diagnostic.
Des répercussions non négligeables
Déjà en fulgurante progression durant les 10 dernières années, on prévoit que la prévalence (nombre de cas) de diabète de type 2 chez les jeunes sera quadruplée d’ici 2050. Cette prévision est des plus alarmantes pour les professionnels de la santé, mais aussi pour les décideurs et les gestionnaires des agences de santé publique. Le coût à vie des soins médicaux directs engendrés pour un seul patient diabétique âgé de 25 à 44 ans était de 125 000 dollars américains en 2013. Ces coûts ont depuis augmenté ; et il faut y ajouter de nombreux dollars pour couvrir la période entre 15 et 25 ans, qui n’est pas prise en compte. Si 20 % de la population juvénile développe le diabète en 2050, ce sont des millions (milliards ?) de dollars en soins de santé qui devront être consacrés à leurs soins par nos gouvernements.
La qualité de vie des personnes diabétiques, à long terme, est également réduite. Une autre étude, menée auprès de jeunes diabétiques de type 1 cette fois, révèle qu’ils démontrent un grand mécontentement face à leur maladie. Ils doivent consacrer beaucoup de temps à leurs soins. Et le poids de leur maladie sur leur entourage pèse lourdement sur leurs épaules. La peur de tomber en hypoglycémie (manque de sucre pouvant entraîner un coma) ou de développer des complications graves de la maladie les affecte également. L’atteinte de l’autonomie est plus difficile pour ces adolescents, et leur qualité de vie est proportionnelle à cette liberté qu’ils peuvent ou non exercer.
Bien manger, faire de l’exercice et visiter son optométriste !
Le diabète de type 1 est difficilement évitable, principalement parce qu’on ne connaît pas toutes les raisons de son apparition. Or, il la situation est différence pour celui de type 2, qui, chez les jeunes, est fortement associé au mode de vie. Se nourrir sainement, faire de l’exercice physique régulièrement, combattre la sédentarité, notamment en limitant le temps d’écran (à moins de deux heures par jour), sont de bonnes manières d’éviter ou de retarder l’apparition du diabète chez les jeunes. Le temps d’écran est d’ailleurs associé à la résistance à l’insuline et à l’obésité chez ces derniers. En d’autres termes, les saines habitudes de vie doivent être encouragées et surtout partagées au sein du noyau familial.
Au plan oculaire, une visite régulière chez l’optométriste ou l’ophtalmologiste permet de dépister les signes précoces des atteintes diabétiques (des signes sont visibles dans près de 30 % des patients, peu après le diagnostic). Ces professionnels de la santé peuvent également détecter d’autres problèmes découlant de la maladie, comme la perte de capacité à faire le focus au près (accommodation), la paralysie partielle de certains muscles de l’œil entraînant une vision double, le retard dans la guérison des altérations de surface de la cornée la sécheresse oculaire ou le glaucome. Des tests doivent être effectués au moment du diagnostic médical du diabète, ou chez toute personne qui présente un profil à risque (hérédité, obésité, sédentarité).
Les saines habitudes de vie faisant partie intégrante du traitement de la maladie, il n’est pas trop tard pour que l’avenir de Karl soit des plus heureux. Mais il ne faut surtout pas oublier un suivi régulier par son médecin et les visites fréquentes chez son optométriste de famille !
Langis Michaud, Professeur Titulaire. École d'optométrie. Expertise en santé oculaire et usage des lentilles cornéennes spécialisées, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.