«Lire avec fiston» est un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues. (Shutterstock)
Des modèles masculins pour développer l’envie de lire chez les garçons
Isabelle Carignan, Université TÉLUQ ; Annie Roy-Charland, Université de Moncton; France Beauregard, Université de Sherbrooke ; Joanie Viau, Université TÉLUQ et Marie-Christine Beaudry, Université du Québec à Montréal (UQAM)Nous entendons souvent que les garçons ne lisent pas ou n’aiment pas lire. Or, les garçons lisent, mais pas nécessairement ce que le milieu scolaire leur propose ; les garçons vont préférer lire des documentaires, des bandes dessinées ou des magazines, par exemple. De là l’importance qu’ils puissent choisir les livres qu’ils désirent lire et de varier les choix proposés.
Nous sommes un groupe de chercheures multidisciplinaires, intéressées notamment par la littératie, les difficultés d’apprentissage, la relation famille-école-communauté et la psychologie. La littératie dans son ensemble inclut la lecture, l’écriture, la compétence orale et plusieurs autres variables comme les valeurs et la culture.
Importance d’un modèle de lecteur masculin pour les fistons
L’absence d’un modèle masculin « positif » de lecture peut expliquer pourquoi les garçons sont moins portés à lire et peuvent avoir une perception négative de la lecture. Le fait d’intégrer la famille à l’intérieur d’un projet de littératie, dans un contexte non scolaire, peut influencer la perception que les élèves ont de la lecture et développer leur envie de lire.
Certaines études scientifiques démontrent qu’en intégrant le père dans les programmes de littératie familiale, une influence positive émerge sur le développement de la littératie des enfants, et plus particulièrement des garçons. La littératie familiale est notamment le fait de développer la compétence à lire dans le milieu familial. C’est dans cette visée que nous avons créé le projet Lire avec fiston en 2008. Depuis, 30 trios masculins ont vu le jour, mais, avec la pandémie, ce mode de fonctionnement n’était plus possible.
Ce projet de littératie familiale favorise la création de trios masculins (papa, fiston et étudiant en enseignement) qui partagent un temps de lecture à la maison.
Le but du projet est de partir des intérêts de lecture du fiston en difficulté de lecture, ou en manque de motivation (8-9 ans), pour développer son envie de lire. Pourquoi à cet âge ? Parce que c’est le moment où le fossé se creuse entre les bons lecteurs et les lecteurs en difficulté.
Le futur enseignant se déplace dans le milieu familial de façon bénévole avec son sac de livres jeunesse, de genres littéraires différents, liés aux intérêts du fiston. Le fiston est le chef : en maitre d’œuvre du trio, il décide ce qui sera lu lors des rencontres. Avec Lire avec fiston, les 10 droits du lecteur de l’auteur Daniel Pennac, qui sont tirés de son œuvre « Comme un roman », sont respectés. Ces droits vont à l’encontre de ce qui est généralement prôné dans le milieu scolaire :
Le droit de ne pas lire
Le droit de sauter des pages
Le droit de ne pas finir un livre
Le droit de relire
Le droit de lire n’importe quoi
Le droit au bovarysme (de rêver !)
Le droit de lire n’importe où
Le droit de grappiller
Le droit de lire à haute voix
Le droit de nous taire
À l’âge adulte, nous nous autorisons tous ces droits.
À l’école, les élèves doivent souvent lire des œuvres qui ne les intéressent pas. Ils doivent les finir et ne doivent surtout pas sauter des pages. Quand ils sont plus grands, vers le milieu du primaire, on leur dit souvent que la vraie lecture est la lecture de romans, alors que c’est complètement faux. Par exemple, lire une bande dessinée est extrêmement riche et complexe. Un vrai lecteur de BD lit le texte et l’illustration de chaque case, en interaction, pour en saisir toutes les subtilités. Il en va de même pour l’album (livre d’images) : le texte et les illustrations forment un tout riche et indissociable pour tous les âges. Et souvent, les illustrations « parlent » plus que le texte.
Déroulement du projet
Première rencontre entre tous les participants
Cette rencontre a normalement lieu à l’école avec la direction d’école, l’orthopédagogue (le cas échéant), l’enseignant, les parents masculins, les futurs enseignants, les fistons et les chercheures. C’est à ce moment que les questions sont posées, que les rôles de chacun sont déterminés et que les trios sont formés. Les trios masculins échangent leurs coordonnées et s’entendent de l’heure et de l’endroit (maison ou ailleurs) pour une première rencontre en trio, selon les disponibilités de chacun.
Il est à noter que les fistons ont comme information qu’ils ont été « choisis » pour vivre un projet de lecture avec leur papa (ou toute autre figure masculine significative).
Rencontres des trios masculins
Le mode de fonctionnement est libre et aucune préparation de la part du parent ni de l’enfant n’est nécessaire avant ou après les rencontres. La durée de chaque rencontre varie entre 45 minutes et deux heures.
Au début du projet, les trios masculins se rencontraient dans le milieu familial, toutes les deux semaines, pendant une heure ou deux, sur une période de quatre mois. Nous recommandons maintenant de réaliser le projet pendant toute l’année scolaire pour permettre une plus grande flexibilité. De plus, au départ, un minimum de trois rencontres était prévu ; nous conseillons maintenant entre 6 et 8 rencontres pour favoriser la création d’une dynamique positive et d’une relation de confiance à l’intérieur des trios.
Dans cette relation égalitaire, chaque membre du trio a un rôle déterminé :
le fiston choisit ce qui sera lu – ou non – et décide comment se déroulera chacune des rencontres ;
le futur enseignant, en personne-ressource, apporte des œuvres jeunesse diversifiées liées aux intérêts du fiston et suit l’enfant dans ses choix de lecture ;
le père (ou toute autre figure masculine significative) participe à la lecture des œuvres choisies par le fiston et guide le futur enseignant pour qu’il saisisse bien les intérêts de lecture de son enfant.
Dernière rencontre entre tous les participants
Tous les participants se retrouvent dans un restaurant, par exemple, pour ne pas que le projet soit associé au scolaire. Malheureusement, les garçons ont souvent une mauvaise perception de la lecture à cause de l’école, car ils l’associent directement à l’évaluation.
Pendant cette rencontre amicale, les impressions de chacun sur le projet sont recueillies. Le but est également de documenter les changements constatés chez les fistons et les améliorations possibles du projet. À ce moment, les futurs enseignants remettent aux fistons, en cadeau, des œuvres jeunesse qui font partie de leurs préférences. L’équipe de recherche remet également une attestation valorisant la participation au projet aux fistons, aux pères (ou autres figures masculines) et aux futurs enseignants.
Retombées positives du projet Lire avec fiston
Le projet a été vécu au Québec, en Pennsylvanie et en Ontario. Selon les entrevues de groupe, les retombées ont été positives pour tous les membres des trios masculins.
Dans un premier temps, les fistons semblent avoir développé un plus grand intérêt à lire, car ils peuvent lire ce qui les intéresse réellement. Les fistons ressentent aussi un plus grand sentiment de compétence en lecture après le projet.
Dans un deuxième temps, les relations père-enfant et famille-école évoluent de façon positive. Les papas (ou autre figure masculine) semblent avoir compris à quel point leur rôle de modèle de lecteur masculin pour fiston est important, qu’ils peuvent avoir une influence sur la réussite scolaire de leur enfant et qu’il est gratifiant de lire et d’interagir avec leur fiston.
Dans un troisième temps, les futurs enseignants ont appris à travailler avec des situations familiales diversifiées et l’importance d’établir un bon lien avec le parent. Enfin, ils ont compris la pertinence de permettre aux garçons de faire leurs propres choix en matière de lecture et l’impact d’un modèle de lecteur masculin.
Lire avec fiston est donc un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues pour développer l’envie de lire chez les garçons.
Isabelle Carignan, Professeure titulaire, Université TÉLUQ ; Annie Roy-Charland, Professeure titulaire en psychologie, Université de Moncton; France Beauregard, Professeure associée en relation famille-école-communauté, Université de Sherbrooke ; Joanie Viau, Chargée d'encadrement, Université TÉLUQ et Marie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.