Comment trois étudiants et leurs copains de fac se sont lancés dans une entreprise inhumaine pour faire la fête tous les soirs.
I.Malades
Affalé sur son canapé, Stephen Sluyter tirait sur son bang en regardant Cartoon Network quand son téléphone a sonné. « Mec, t’as faim ? » lui a demandé Max Bocanegra, son meilleur ami et colocataire, à l’autre bout du fil. « J’ai des haricots pour toi. Faut que tu les récupères vite. »
Stephen était étudiant à l’université A&M de Corpus Christi, au Texas. C’était un garçon de 28 ans, membre de la fraternité Kappa Sigma. Il était réputé pour les soirées et les combats de catch huilé qu’il organisait. « T’as vu le film Retour à la fac ? J’ai fait ça dans la vraie vie. J’ai été le Parrain pour de vrai », dit-il aujourd’hui. Au cours des six mois précédant ce coup de fil, Max et lui ont monté un des réseaux de trafic d’êtres humains les plus improbables et cruels de l’histoire. Grâce à ses connaissances de l’université, Stephen et son pote ont recruté une petite armée d’étudiants en mal de sensations fortes et de cash. Au cours de l’été 2012, Max estime que leur équipe faisait entrer illégalement 40 à 50 immigrants au Texas par semaine, à 500 dollars par tête. « Je me faisais tellement de thunes que je me foutais de tout », dit Max.
Mais à trois mois de l’obtention de son diplôme en communication, Stephen a décidé de rentrer dans les rangs : finis la vente de drogue, les soirées jusqu’au bout de la nuit et le trafic d’êtres humains. L’opération dont lui parlait Max impliquait un trajet de 130 km vers le sud pour récupérer des migrants clandestins arrivés le matin dans une planque, puis de traverser la voie de contrebande le plus surveillée des États-Unis – l’autoroute 281 – jusqu’à Houston, où un contact récupérerait les passagers. Stephen a financé une partie de ses études à l’université en faisant traverser le Texas à des dizaines de migrants sans papiers. Ces derniers temps pourtant, la police des frontières semblait anticiper toutes leurs actions. De plus en plus de conducteurs se faisaient arrêter. Stephen sentait que leurs escapades devenaient trop dangereuses.
Max l’appelait depuis le casino de l’hôtel Mirage à Las Vegas, où il claquait des centaines de dollars à chaque tour de roulette, dans son costume argenté. Il avait adopté un choix radicalement opposé. Il poussait l’opération au-delà de ses limites. Il organisait plusieurs ramassages par nuit alors que leurs effectifs diminuaient, à cause des pressions de la police et du nouveau semestre qui commençait. C’est la raison pour laquelle il appelait Stephen et pas un autre. Les réseaux de trafic d’êtres humains fonctionnent par recommandation : si des trafiquants manquent une « cargaison », leur affaire s’écroule. Max était désespéré. « Allez, putain », disait-il, « j’ai besoin de toi. »
Leur amitié avait débuté moins d’un an plus tôt à Halloween, en 2011. Stephen avait organisé une fête de quartier qu’il décrit comme « un truc de malade » – entre bangs à la bière, sachets de cannabis et des marées d’étudiants – à Islander Village, une résidence étudiante. À l’époque, Corpus Christi, une ville de 30 000 habitants située sur la Côte du Golfe, était en pleine transition. Jadis une des villes de taille moyenne les plus pauvres du pays, le boom pétrolier a relancé la croissance et le centre-ville commençait à s’embourgeoiser. Le campus de l’université est situé en périphérie de la ville de la ville. Situé à Ward Island, dans la baie d’Oso, son ambiance est particulière. « On a l’impression d’être à la plage », dit Stephen. Et les drogues – cannabis, cocaïne et ecstasy – « sont partout ».
Au cours de la soirée, Stephen, qui portait un costume Où est Charlie et une coiffe indienne, est tombé sur Max. Il l’avait déjà rencontré quatre ans plus tôt, alors qu’ils sortaient avec deux filles qui vivaient ensemble. Max avait 25 ans et n’était pas inscrit à l’université, mais il se mêlait sans souci à la foule d’étudiants de sa ville natale. Mexicano-Américain de troisième génération (son arrière-arrière-grand-père a écrit les paroles de l’hymne national mexicain), il est bien bâti, les cheveux impeccablement tondus, et il s’exprime par saccades, reprenant souvent des textes de rap. Partout où il allait, il amenait avec lui son bien le plus précieux, un Canon 7D qu’il portait autour du cou. « C’était un putain de player », explique Stephen. « Il était photographe, j’étais DJ. On avait besoin l’un de l’autre. Tous les deux, on aspirait à devenir plus que ce qu’on était. »
Un soir de décembre, Max a invité Stephen au studio photo qu’il avait à l’arrière d’une friperie appelée Threads. « Y a quelqu’un qu’il faut que tu rencontres », lui a-t-il dit. Les deux garçons traînaient ensemble quasiment tous les weekends depuis Halloween, à faire du kitesurf et à fumer de l’herbe, mais il y avait certaines choses que Stephen ignorait encore à propos de son nouvel ami. À une soirée, Max a nonchalamment jeté une liasse de billets de 100 sur la table basse. Quand Stephen a commencé à poser des questions, Max lui a simplement fait un clin d’œil en disant qu’il vendait « le rêve américain ».
Stephen s’est arrêté devant Threads au volant de sa camionnette, une Ford Ranger rouge équipée de trompettes qui jouaient le générique de Shérif, fais moi peur. Dans le studio, deux femmes légèrement vêtues se tenaient près d’un lit sur lequel un petit homme au crâne rasé, habillé comme un skateur, agitait des billets de 100 dollars. C’était Miguel « Boss » Bolado, un DJ de mariage de 23 ans qui vendait aussi des t-shirts sous le nom d’Ambition Entertainment. Boss venait d’acheter de l’espace publicitaire pour promouvoir sa marque, et il avait demandé à Max de photographier « des nanas sur un lit avec du fric un peu partout ». Pendant que Max mitraillait à l’aide de son Canon 7D, Boss s’est mis derrière une batterie et jouait sur les morceaux qui passaient à la radio. Se sentant pousser des ailes, Stephen s’est dirigé vers la scène de fortune. « J’ai commencé à rapper en freestyle », dit-il. « Je suis monté sur scène et j’ai tout déchiré ! »
Les souvenirs de Max sont un peu différents. « Je me suis demandé s’il essayait vraiment de rapper. J’essayais de ne pas me marrer. C’était du rap de blanc-bec. Il arrêtait pas de répéter les mêmes punch lines, à la Dr Seuss »...
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