Apprendre les langues sur Instagram ou TikTok : faut-il suivre les profs influenceurs ?
En flânant sur les réseaux sociaux, vous avez peut-être vu passer ces vidéos d’influenceurs enseignants qui vous donnent des conseils pour apprendre une langue étrangère ou vous expliquent des points de grammaire. C’est ce que fait Athéna Sol, par exemple, professeure de lettres aux millions d’abonnés, qui s’attache principalement à expliciter des faits linguistiques en français.
Le phénomène est loin d’être marginal. À l’instar d’Athéna Sol, de nombreux professeurs du primaire au secondaire, tout autant que des indépendants, présentent leur travail sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, l’usage du terme « influenceur » explose depuis les années 2010, ce qui confirme la vitalité de ces mises en scène numériques.
En tant qu’élève ou apprenant, qu’attendre des vidéos et autres contenus interactifs qui sont ainsi proposés ? Et, plus généralement, en quoi ces usages interrogent-ils l’apprentissage des langues ?
Des profils variés d’enseignants et de contenus
Ces enseignants influenceurs présentent des profils très variés. Cette diversité conduit à des modes d’utilisation et des contenus postés sur les réseaux sociaux tout aussi diversifiés.
Monsieur le Prof et Monsieur Prof – à ne pas confondre – sont tous les deux professeurs d’anglais mais se distinguent dans la manière de recourir aux réseaux sociaux. Monsieur le Prof (environ 400k abonnés sur X) a principalement documenté, par un livre et bientôt une bande dessinée, sa démission de l’éducation nationale. Avec son cumul de plus d’un million d’abonnés sur plusieurs plates-formes, Monsieur Prof aurait, quant à lui, « de quoi révolutionner l’enseignement des langues », estime France 3 Occitanie.
Sur TikTok ou Instagram, cet enseignant propose différents types de contenu : filmage en situation de classe, règles sur la langue, le tout entrecoupé de moments de vie plus personnelle. Il met en avant une approche « ludique » et une certaine proximité avec ses élèves. S’inspirant de modèles américains, il affirme, sur RTL, souhaiter par ce biais mettre en valeur le métier d’enseignant.
Du côté de la Belgique, Monsieur Nash promeut l’enseignement du néerlandais à travers des vidéos « hyper-rythmées ». Fort de son impact social, il a créé ses propres formations virtuelles monnayées. Pour le journal La Libre, son approche a « de quoi rendre jaloux dans les classes mal aérées de Bruxelles et Wallonie ».
D’autres profils plus confidentiels, comme Charlène, valorisent leur entreprise en langues à travers du contenu court et fédérant sur la vie de professeur indépendant de français langue étrangère. On trouve également de nombreux enseignants qui profitent des réseaux sociaux pour des conseils pratiques d’apprentissage comme le relate le Café du FLE, un site d’actualités du français langue étrangère.
Une analyse linguistique et didactique de leurs contenus
Les réseaux sociaux et les influenceurs ont la possibilité de toucher un public important. Cette diffusion appelle à une responsabilité sur leurs propos et sur les méthodes qu’ils diffusent.
Si, dans la majorité des cas, la production de tels contenus ne permet pas de se rémunérer, certains professeurs en profitent pour valoriser des partenariats, mettre en avant des produits – ouvrages, applications, méthodes d’enseignement ou simplement augmenter leur nombre de vues. Le genre informatif fait donc place, de manière plus ou moins explicite, à la volonté marketing. Ainsi, ces contenus pédagogiques en langues à visée (in) directement promotionnelle peuvent soulever au moins trois types de précautions.
Tout d’abord, ils mettent régulièrement en avant une approche « ludique » et « originale » en opposition à un apprentissage traditionnel scolaire de la langue caricaturée comme « ennuyeux » et « peu efficace » rappelant les techniques de la publicité.
S’il est reconnu que le caractère ludique, c’est-à-dire l’intégration du jeu dans l’apprentissage, peut avoir un impact positif, il nécessite des conditions préalables pour s’assurer que jouer, c’est apprendre selon Francisco Jiménez, enseignant-chercheur en espagnol. La recherche parle notamment de jeux sérieux, même si le terme fait l’objet de débat comme le relate Laurence Schmoll, puisqu’il renforce la frontière entre l’utile et le futile dans l’apprentissage.
Il ne suffit pas de revendiquer le côté ludique pour que l’apprentissage le soit vraiment. Les activités proposées sont par ailleurs rarement originales quand on les compare la diversité des pratiques étudiées en didactique des langues.
Ensuite, si, pour certains influenceurs, le fait de filmer en classe peut poser des questions d’éthique – quand bien même les élèves ne sont jamais visibles – le fait de centrer la caméra sur l’enseignant influenceur contribue à lui attribuer, ainsi qu’à ses paroles, un rôle modélisant.
Cela peut commencer par la mise en avant de l’enseignant « natif » comme c’est le cas avec le compte TikTok encorefrenchlesson (700k abonnés) qui propose de « Level up your Frenchness with a native teacher » (« Améliorez votre niveau de français avec un professeur natif »). Or, comme nous le rappellent John M. Levis et ses collègues, chercheurs en linguistique, il n’y a en réalité pas de hiérarchie entre les apports d’un enseignant dit « natif » et ceux d’un enseignant « non-natif » sur le niveau qu’atteignent finalement les élèves, par exemple en prononciation.
Il importe aussi de prendre du recul par rapport à certains choix pédagogiques de ces vidéos postées en ligne. Ainsi, à l’occasion de la sortie du livre de Monsieur Prof intitulé Let’s speak English, Florent Moncomble, enseignant-chercheur en linguistique anglaise, a réagi à certaines des prescriptions faites, notamment l’affirmation selon laquelle « 95 % des verbes sont réguliers ! Donc, dans le doute, mettez un -ED à la fin ». S’appuyant sur une analyse de corpus expliquée dans son fil sur X, le chercheur démontre qu’en termes de fréquence d’usage, les verbes irréguliers sont surreprésentés (to be, to have, to say, etc.).
Natalie Kübler, parmi d’autres chercheurs en linguistique, explique la nécessité de s’appuyer sur des corpus de langues pour inférer des fonctionnements linguistiques à partir de données réelles. Aussi, faut-il enseigner ce qui est le plus fréquent dans la langue ou le plus utilisé par ses locuteurs en fonction des contextes ?
Quel impact sur la pédagogie en langues ?
Dans une société dominée par l’économie de l’attention, les réseaux sociaux peuvent orienter les façons de faire et de penser. Cette influence peut être positive, en promouvant toute la diversité langagière à travers des stories qui font entendre des accents ou des langues peu diffusées, voire minorisées. Les réseaux sociaux sont par ailleurs des canaux forts de discours comme le rappelle Julien Longhi, professeur des universités en linguistique appliquée.
Cependant, cette influence peut également être plus insidieuse. Tout d’abord, les influenceurs ont tendance à produire des discours d’autorité diluée comme cela a pu être étudié pour des médecins influenceurs. Ces discours d’autorité peuvent favoriser certains biais décisionnels comme l’heuristique de disponibilité qui nous amène à surestimer l’importance de l’information qui nous est directement accessible.
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Le linguiste Dominique Maingueneau nous rappelle qu’en s’exprimant, « tout locuteur active nécessairement chez l’interprète la construction d’une certaine représentation de lui-même, qu’il doit s’efforcer de contrôler ». S’inspirant de ce concept d’ethos discursif, des chercheurs repèrent que les enseignants influenceurs utilisent un ensemble restreint de codes énonciatifs suscitant l’engagement de leur audience. En 2023, FranceTV s’interrogeait d’ailleurs sur l’impact que les discours de tiktokeurs sur l’école peuvent avoir sur les jeunes.
S’il est difficile de mesurer l’influence directe des producteurs de vidéos en ligne sur les pratiques pédagogiques, les sciences du langage nous invitent à penser que le format même des contenus renforce des biais. Ceux-ci peuvent jouer sur la manière dont les familles perçoivent ce que doit être l’enseignement en langues et le rôle des enseignants – et éventuellement les conduire à contester les pédagogies en œuvre en classe ou à apprendre des règles de grammaire peu fonctionnelles dans la pratique réelle de la langue (potentiellement pénalisées en cours).
Au-delà du caractère humoristique indéniable de ces vidéos, il s’agit de mettre la lumière sur les innovations enseignantes quotidiennes du terrain et de rappeler le rôle de la recherche en didactique des langues pour mesurer l’effet réel d’un dispositif sur l’apprentissage d’une langue.
Grégory Miras, Professeur des Universités en didactique des langues, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.