Apprendre à nager : miser sur l’aisance aquatique pour lutter contre les noyades
Emmanuel Auvray, Université de Caen NormandieEn 2021, l’enquête de Santé Publique France a recensé, du 1er juin au 30 septembre, 1480 noyades accidentelles dont 27 % ont conduit à un décès. Ce sont les plus jeunes et les plus âgés qui sont les plus touchés par ce fléau. Les enfants de moins de 6 ans représentent 22 % des noyades accidentelles et 6 % des décès, et les personnes de plus de 65 ans respectivement 26 % et 41 %. Notons que 47 % des noyades surviennent en mer, 26 % en piscine tous types confondus, 23 % en cours d’eau ou sur un plan d’eau et 4 % dans d’autres lieux (baignoires, bassins, etc.)
En regard de l’augmentation de ces accidents entre 2015 et 2018, la prévention des noyades fait partie des actions prioritaires du Gouvernement, à travers le programme pour l’« aisance aquatique » subventionné, au même titre que le dispositif « Savoir rouler à vélo », par l’Agence Nationale du Sport fondée en 2019. En 2021, l’ANS a investi 1,7 million d’euros pour environ 50000 enfants qui ont pu bénéficier de ce plan grâce à 232 structures engagées dans cette opération (collectivités, associations). En outre, l’ANS a financé en 2021 la construction ou rénovation d’équipements sportifs aquatiques (20) et l’acquisition de bassins mobiles (10) pour un montant de 12 millions d’euros.
Aisance aquatique
Sur un plan politique, face aux risques de la noyade, ces investissements visent à réduire les inégalités d’accès à la pratique de la natation. Ainsi, après le temps des bébés nageurs jusqu’à 3 ans, ce programme national se décline en deux phases successives et complémentaires. Dans un premier temps, pour les enfants de 4 à 6 ans, il s’agit de développer l’aisance aquatique qui constitue la porte d’entrée au savoir nager.
Selon Thierry Terret ce concept d’aisance aquatique est « trop polyvalent » en regard de l’évolution, depuis le XVIe siècle, des propositions de didacticiens en la matière (Digby, Hébert, Gauthier, Lalyman, Schœbel, Catteau). Selon lui, il existe trois formes d’aisance aquatique :
une disposition préalable à l’apprentissage proprement dit d’une ou des techniques de nage (brasse, crawl, dos…) ;
une facilité donnée par la maitrise de principes d’équilibre, de propulsion, de respiration et de prise d’informations ;
un capital moteur ou expérientiel disponible.
Comme le montrent François Potdevin et Fabien Camporelli (2020), si le concept d’aisance aquatique n’existe pas dans les programmes d’enseignement de la natation dans le monde, en revanche, les notions de compétences aquatiques et d’habiletés aquatiques sont davantage mobilisées pour structurer les programmes de formation vers une natation sécuritaire.
Globalement, il est aujourd’hui entendu que l’aisance aquatique renvoie à une expérience positive de l’eau, non anxiogène donc, d’un sujet capable d’agir de façon adaptée dans une diversité de situations rencontrées en milieu aquatique de manière accidentelle (chute) ou volontaire sans aide à la flottaison (frite, ceinture à bouchons…) dans une eau profonde, c’est-à-dire au minimum supérieure à la taille de la personne avec le bras levé, en étant capable de se déplacer et sortir de l’eau en autonomie. Ainsi défini, le fait d’être à l’aise dans l’eau renvoie davantage à la deuxième forme identifiée par Thierry Terret.
Paliers d’acquisition
Logiquement mobilisé pour lutter contre la noyade chez les plus jeunes, le ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports circonscrit (note de service 28 février 2022) l’aisance aquatique au travers de trois paliers d’acquisitions progressifs en plaçant les élèves dans des situations en grande profondeur sans matériel de flottaison.
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Le premier palier correspond « à entrer seul dans l’eau, se déplacer en immersion complète et à sortir seul de l’eau », le palier 2 « à sauter ou chuter dans l’eau, à se laisser remonter, à flotter de différentes manières, à regagner le bord et à sortir seul » et, enfin le palier 3 « à entrer dans l’eau par la tête, à remonter à la surface, à parcourir 10 m en position ventrale tête immergée, à flotter sur le dos avec le bassin en surface, à regagner le bord et à sortir seul ».
Par rapport à l’accidentologie des noyades, ces exigences visent à protéger les plus jeunes enfants lors d’une chute accidentelle dans une piscine privée, familiale ou en milieu nature (mer, lac, rivière) avec une absence de surveillance des parents ou d’un personnel qualifié (maître-nageur, brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique). En regard de l’âge des apprenants ciblés (4–6 ans), les séances d’aisance aquatique ne débouchent pas sur l’acquisition d’une technique de nage comme la brasse. Selon les derniers travaux scientifiques, c’est à partir d’un programme de 8 semaines comprenant de 8 à 16 séances que ces jeunes enfants acquièrent, en transformant leur motricité et réflexes de terrien, cette aisance.
Dans la cadre des Classes bleues à l’école, les enfants ont la possibilité d’avoir accès à des séances d’aisance aquatique sous la forme d’un apprentissage massé à raison de 8 séances de 40 minutes sur ou deux semaines. En dehors du temps scolaire, ils peuvent suivre, avec le même volume horaire d’apprentissage, des Stages bleus mis en place par les collectivités dans le cadre des centres de loisirs par exemple.
Il est également possible de développer l’aisance aquatique et l’apprentissage de la natation dans le cadre de séances données par des maîtres-nageurs qualifiés (piscines privées ou publiques, salles de fitness équipées de bassin…) ou des moniteurs fédéraux de natation dans le cadre des clubs de natation affiliés à la Fédération Française de Natation (FFN). En outre, l’été venu, les enfants peuvent également suivre ce type de séances au sein des clubs de plage implantés sur le littoral français. Ces cours sont payants.
Attestation du « savoir nager »
Après le temps de l’aisance aquatique vient celui du « savoir nager » et du dispositif national « J’apprends à nager ». Ce dispositif s’adresse aux enfants entre 6 et 12 ans et contribue à l’obtention de l’attestation du savoir nager en sécurité (ASNS) attendue en classe de sixième. La FFN, par le biais de ses clubs affiliés, est partenaire de ces opérations. En dehors des murs de l’école, « J’apprends à nager » s’adresse principalement aux enfants des quartiers prioritaires et des zones rurales. Ce dispositif, qui comprend généralement 10 séances de 30 minutes à une heure, en fonction de l’âge et du niveau des enfants, est généralement gratuit ou modique avec les collectivités locales.
Depuis 2006, l’Attestation du Savoir Nager en Sécurité (ASNS) fait partie du socle commun des compétences scolaires comme lire, écrire et compter. L’épreuve certificative de l’ASNS se déroule en piscine. Elle repose sur un enchaînement de onze tâches réalisées « en continuité, sans reprise d’appuis solides (au bord du bassin, au fond ou sur tout autre élément en surface). Aucune contrainte ou limite de temps. Sans lunettes ». En outre, les élèves sont évalués sur un ensemble de connaissances et d’attitudes relatives à la prévention aquatique comme savoir identifier la personne responsable de la surveillance à alerter en cas de problème, connaître et respecter les règles de base liées à l’hygiène et la sécurité dans un établissement de bains ou un espace surveillé et savoir identifier les environnements et les circonstances pour lesquels l’ASNS permet d’évoluer en sécurité.
Autrement dit, les enfants doivent être formés à reconnaître, avant de se mettre dans l’eau, les conditions dans lesquelles leur ASNS ne les couvre pas en regard notamment de la dangerosité de l’environnement (marée, baïne, courant, hauteur d’eau…), des éléments climatiques et de l’absence d’un personnel qualifié de surveillance. Car il est primordial, pour ne pas dire vital, de leur enseigner que quand les conditions de sécurité ne sont pas réunies ni garanties, la première des choses à faire est de ne pas se mettre à l’eau.
Manifestement, cette éducation à la sécurité aquatique, au travers de la gestion de ses risques, fait souvent défaut dans les programmes de formation. Enfin, entre l’école primaire et le collège, avec la mise en place de l’aisance aquatique et l’ASNS, le principe d’apprendre en premier nage la brasse du baigneur pour s’en sortir est régulé au profit de l’acquisition de principes moteurs transversaux (corps, flottant, corps projectile, corps propulseur) et communs à toutes les nages.
Dans un second temps, l’apprentissage du crawl, qui constitue le bon sens aquatique en action pour nager longtemps et/ou vite, a pris le pas sur la brasse. Toutefois, celle-ci demeure fréquemment la première nage enseignée par les maîtres-nageurs dans les piscines publiques ou privées. D’ailleurs, les parents, en raison de leurs représentations sécuritaires de la natation, sont couramment demandeurs de cette acquisition technique plus que séculairement attachée à la sécurité.
Emmanuel Auvray, Enseignant à l'UFR STAPS, Chercheur associé à l'équipe Histemé, Université de Caen Normandie
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.