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Applis de suivi menstruel et autres innovations « FemTech » : quels enjeux éthiques et sociétaux ?

Catherine Vidal, Inserm

Applications de suivi menstruel ou de grossesse, solutions digitales pour accompagner les femmes atteintes d’endométriose… Depuis une dizaine d’années, des technologies numériques dédiées à la santé des femmes se développent.

Ces « FemTech » (pour female technologies) ont pour objectif de proposer des services aux femmes en matière de santé et de bien-être, en s’appuyant sur les nouvelles technologies (applications santé, appareils connectés, télémédecine, intelligence artificielle, etc.).

Mais elles peuvent aussi interroger quant à l'utilisation qui est faite des données et la protection de la vie privée des femmes qui y ont recours.

Des failles dans la protection des données personnelles

La grande majorité des entreprises de la FemTech ont ainsi pour point commun de partager leurs données avec des « tierces parties » (sociétés partenaires extérieures telles que Google, Facebook, Amazon, Apple, etc.), le plus souvent à l’insu des usagères.

C’est en particulier le cas des applications de suivi menstruel dont les failles dans les procédures de protection des données personnelles ont été dénoncées. Aux États-Unis, les associations se sont ainsi mobilisées pour inciter les Américaines à désinstaller leurs apps, face au risque de voir utilisées, par les autorités judiciaires, les données des calendriers menstruels pour repérer les femmes qui ont avorté ou qui souhaitent le faire.

Des publications alertent aussi sur ce que l’on appelle l’Internet des objets connectés (IoT). Elles mettent en garde contre les risques de vols des données personnelles ou de manipulations d’objets depuis l’extérieur (hacking), avec des conséquences pour la santé quand ces objets touchent à l’intégrité physique et mentale.

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Des technologies qui répondent à une demande des femmes

Les entreprises de la FemTech sont en plein essor, ce qui rend ces questions autour de la protection des données personnelles et du respect de la vie privée et intime des femmes d'autant plus criantes.

Ainsi, le marché global des FemTech, estimé à 25 milliards de dollars en 2021, pourrait avoisiner les 100 milliards en 2030. En 2021, on comptait 1 400 start-up de FemTech dans le monde, dont 51 % aux États-Unis, 27 % en Europe et 9 % en Asie. En France, l’association FemTech France, créée en 2022, a répertorié 115 start-up françaises de FemTech.

Les entreprises de la FemTech visent en effet des domaines propres aux femmes (santé reproductive, périnéale, sexuelle, contraception, stérilité, ménopause, bien-être sexuel, endométriose, maternité/postpartum…) et aussi des pathologies plus générales mais qui affectent les femmes de façon différenciée (cancer, dépression, etc.).

À l’évidence, l’essor de ce marché correspond à une demande des femmes pour diverses raisons.

D’abord, ce marché se développe dans un contexte de pénurie de gynécologues médicaux – qui entraîne des errances thérapeutiques et diagnostiques – et de prise de conscience des expériences de violences gynécologiques et obstétricales.

De plus, les acteurs de la Femtech répondent aux préoccupations et aspirations actuelles des femmes. Ils conçoivent des services personnalisés dédiés à la santé et au bien-être intime (douleurs menstruelles, vulvaires, rééducation périnéale, libido, ménopause, etc.), des sujets peu ou pas considérés par la médecine classique.

Des applis dédiées à la santé sexuelle et reproductive

La grande majorité des services proposés sont des applications sur téléphone mobile : gestion des donnés personnelles liées à la santé, conseils d’expert, téléconsultations, documentation, forums de discussion, etc. Les applications les plus populaires concernent la santé sexuelle et reproductive : suivi menstruel, grossesse, ménopause, endométriose…

Ces entreprises bénéficient aussi du fait que l’usage des technologies numériques est perçu comme un vecteur d’autonomisation des femmes dans le contrôle de leur corps et de leur vécu intime, avec l’avantage d’une commodité d’utilisation et d’un coût minimal.

Cependant, on notera que tous les sites d’aide et de conseils personnalisés aux utilisatrices, ou patientes, proposent systématiquement des offres commerciales : huiles essentielles, compléments alimentaires, produits cosmétiques, stages de fitness, yoga, méditation, sophrologie, etc.

En entreprise, gérer les congés maternité ou les arrêts maladie

Ces plates-formes numériques s’adressent aussi aux entreprises dans le but de gérer au mieux la santé des employé·e·s, réduire l’absentéisme, les coûts de santé et augmenter la productivité. Les femmes sont les plus concernées, car leur taux d’absentéisme est supérieur à celui des hommes (du fait des charges domestiques et familiales, de la santé reproductive…). Les domaines ciblés sont la gestion des congés maternité, le retour au travail et la prévention pour réduire les arrêts maladie.

Ces offres sont surtout développées aux États-Unis où la plupart des grandes sociétés assument une majeure partie des primes de santé versées aux assureurs. C’est le cas de la « Maven Clinic », une plate-forme virtuelle qui permet aux entreprises d’offrir à leurs employées un vaste réseau de services en ligne dans différents domaines : la procréation (fertilité, congélation d’ovocytes, procréation médicalement assistée ou PMA, gestation pour autrui ou GPA – une pratique non autorisée en France -), la grossesse et le suivi postpartum, la parentalité, la maternité et la pédiatrie, ou encore la ménopause.

En France, les plates-formes numériques dédiées à la santé des femmes en entreprise sont encore au stade de projets. Il est probable qu’elles devront dans un proche avenir affronter la concurrence américaine qui dispose de gros moyens pour se développer en Europe. La Maven Clinic a déjà des partenariats avec de nombreuses entreprises internationales, dont Amazon, Microsoft et l’Oréal, réparties dans 175 pays sur tous les continents.

Une vigilance qui concerne la santé numérique en général

En France, le sujet de la protection des données personnelles dans les FemTech, rejoint les questions éthiques posées par la santé numérique en général (e-santé). De plus, des questions spécifiques se posent concernant les données de santé sexuelle et reproductive, notamment dans le cadre de leur exploitation en entreprise.

Le fait que des informations intimes (projets de grossesse, PMA, endométriose, règles douloureuses…) puissent être portées à la connaissance de l’employeur pose un problème éthique face au risque de discriminations, à l’embauche et durant l’ensemble du parcours professionnel. Les débats contradictoires sur la pertinence d’instaurer un congé menstruel en sont l’illustration.

A noter aussi que depuis mars 2023, le dossier médical en santé au travail (DMST) qui doit être constitué pour chaque travailleur, est créé obligatoirement sous format numérique sécurisé. L’objectif est de faciliter le partage d’informations issues notamment du dossier médical partagé (DMP). Celui-ci comprendra à terme un volet santé au travail accessible via Mon espace santé, l’espace numérique personnel mis en place par l’Assurance maladie et le ministère de la Santé.

Le croisement de ces données entre professionnels de santé pose question, en termes de protection de la vie privée et de respect des droits du salarié·e. Par exemple, en cas de projets de maternité, le fait que le médecin traitant bénéficie d’informations sur la santé au travail peut contribuer à un meilleur suivi médical vis-à-vis de risques professionnels susceptibles d’interférer avec la grossesse.

Mais réciproquement, la possibilité d’accès du médecin du travail (non choisi, imposé par l’employeur) à des informations de santé que la femme salariée veut tenir confidentielles, appelle à la vigilance concernant le respect du secret médical.

Les menaces sur la vie privée sous-estimées par les femmes

Depuis 2022, le groupe « Genre et recherches en santé » du Comité d’éthique de l’Inserm alerte sur les enjeux éthiques des technologies numériques des FemTech, concernant notamment le manque de validation scientifique et les failles dans la protection des données.

Il s’avère que les usagères ne sont pas toutes conscientes que leurs données de santé sont gérées par des services extérieurs et peuvent être exploitées par des tiers. Pour celles qui le sont, le bénéfice qu’elles déclarent tirer des outils numériques l’emporte sur leur perception des menaces pour la vie privée.

Ce constat renvoie au besoin urgent de mettre en place des programmes d’éducation au numérique qui permettent au plus grand nombre de femmes (et d’hommes) d’en évaluer les bénéfices et les risques. Pour nombre de femmes, les conditions socio-économiques défavorables font obstacle à la possibilité d’opérer des arbitrages en connaissance de cause dans les services numériques qui leur sont proposés.

Un programme sur la santé des femmes et des couples

Pour répondre à ce besoin d’informations, fiables et accessibles, l’Inserm est potentiellement un levier de poids, notamment à travers le programme national prioritaire de recherche (PEPR 2023) intitulé « Santé des femmes, santé des couples ». L’objectif est de développer les connaissances sur l’endométriose, la fertilité, l’assistance médicale à la procréation (AMP) et les effets de l’exposition in utero aux antiépileptiques.

Le projet vise aussi à mieux communiquer, former et informer sur la santé des femmes via des campagnes de formation et d’information destinées aux professionnels de santé et au grand public. Ce programme pourrait inclure un volet d’information sur l’usage et le mésusage des outils numériques dédiés à la santé sexuelle et reproductive des femmes, et la protection des données personnelles.

Catherine Vidal, Neurobiologiste, membre du Comité d’éthique de l’Inserm, Inserm

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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