A Marseille, la gestion de Jean-Claude Gaudin étrillée par la chambre régionale des comptes

Politique

Absence de stratégie et de pilotage, dépenses de personnel disproportionnées… Les juges dressent un tableau accablant.

Deux rapports, de près de 300 pages chacun, étrillent la gestion du maire Les Républicains (LR) de Marseille, Jean-Claude Gaudin, à cinq mois de la fin de son quatrième et dernier mandat. « Absence de stratégie claire » et « insuffisance dans le pilotage », « défauts de coordination » et dépenses « peu économes des deniers publics », incapacité à « mesurer la performance de ses politiques », pour le volet concernant la situation financière et patrimoniale de la ville.

« Recrutement dans des conditions et des niveaux irréguliers »,« niveau de rémunération des agents supérieur à la moyenne nationale pour un temps de travail inférieur » et « maintien en fonction illégal d’agents au-delà de l’âge de la retraite », notamment au sein du cabinet du maire, pour l’épais tome consacré à la gestion des dépenses de personnel. Les juges de la chambre régionale des comptes (CRC) dressent un tableau accablant des pratiques de l’équipe municipale sur la période 2012-2019, relevant des dizaines de cas de dysfonctionnements et d’irrégularités.

Un patrimoine immobilier mal géré

« L’ensemble de ces faiblesses contribue à aggraver les problèmes financiers de la ville », écrivent les juges, qui rappellent que Marseille est dans une « situation préoccupante » et s’étonnent que leurs recommandations, issues de rapports précédents, n’aient pas toujours été suivies d’effets. 

Avec 2 023 euros par habitant, la dette marseillaise est deux fois plus élevée que la moyenne des villes comparables (1 139 euros), note la CRC. « Les frais financiers remboursés annuellement par la ville de Marseille (48,7 millions d’euros en 2017) sont plus élevés que le cumul des frais financiers réglés chaque année par les six grandes villes suivantes : Lille, Lyon, Nice, Nantes, Montpellier et Toulouse (40,8 millions d’euros) », comparent les juges.

Ce double rapport, dont le maire de Marseille a pris connaissance le 20 août pour pouvoir y apporter ses réponses, a été transmis en fin de semaine aux conseillers municipaux. Ces derniers en débattront le 25 novembre en ouverture de l’avant-dernier conseil municipal de l’ère Gaudin.

Sa révélation intervient dans une semaine particulièrement lourde pour le maire. Entre la commémoration le 5 novembre des effondrements de la rue d’Aubagne, que Jean-Claude Gaudin a vécue calfeutré au sein des services municipaux, la manifestation contre le mal-logement du samedi 9, qui a réuni plusieurs milliers de Marseillais sur le Vieux-Port, et la sortie du livre brûlot du journaliste Philippe Pujol, La Chute du Monstre (Seuil, 288 pages, 19 euros), qui éreinte la majorité sortante.

Au fil des nouvelles 28 recommandations qu’adresse la chambre régionale des comptes au maire de Marseille, les sujets qui ont valu à Jean-Claude Gaudin d’intenses critiques ces dernières années apparaissent tour à tour.

La question des écoles publiques délabrées vaut ainsi son lot de remarques cinglantes. « Les solutions apportées par la ville n’ont pas été à la hauteur des situations les plus urgentes à traiter », estiment les juges qui soulignent que ces écoles se situent en majorité « dans les 3e, 13e, 14e, 15e arrondissements » et en zones d’éducation prioritaires. Des secteurs paupérisés dont les maires ne font pas partie de la majorité de M. Gaudin et dénoncent régulièrement un traitement politique discriminant de la part de ce dernier. Les juges invitent la municipalité à « définir une stratégie de remise à niveau urgente du patrimoine scolaire et y dédier les moyens nécessaires en vue de la mettre en œuvre régulièrement ».

En pleine semaine de la commémoration du drame de la rue d’Aubagne, les remarques consacrées à la gestion du patrimoine immobilier municipal résonnent aussi fortement. « Insuffisance de stratégie et de pilotage se retrouvent dans la gestion de [ce] patrimoine », expliquent les juges, qui décrivent une administration sans « connaissance exhaustive et suffisante » des biens qu’elle possède et « dépourvue des outils de mesure documentés de l’état de santé de ses bâtiments et des dépenses d’entretien qu’ils nécessiteraient ».

Très chers agents

Qu’elle soit bailleur ou locataire, la municipalité est accusée de ne jamais optimiser ses dépenses. « Quand elle loue un bâtiment, elle supporte toutes les charges d’un propriétaire (…) et acquitte parfois des loyers très élevés en regard du marché » et « quand elle donne à bail, elle néglige d’en percevoir les recettes dans des délais raisonnables ». La CRC incite ainsi la municipalité à se montrer plus exigeante avec l’Olympique de Marseille concernant la location du stade Vélodrome et lui recommande « d’augmenter la part fixe de la redevance annuelle pour la porter à un montant minimum de 8 millions d’euros » contre 5 millions actuellement.

Exemples à l’appui, la CRC souligne également que la ville de Marseille « vend des immeubles non dans une stratégie clairement arrêtée mais pour abonder les recettes du budget de l’année ». Et dénonce un « patrimoine vendu dans des conditions de régularité contestables et à un prix insuffisant ».

Le tome consacré à la gestion des plus de 12 000 agents municipaux, sur laquelle le Parquet national financier enquête par ailleurs, est tout aussi brutal pour le maire et son équipe. Il dresse le portrait d’une administration qui favorise ses agents, parfois même en opposition à la loi. Ainsi le chapitre consacré au « personnel employé au-delà de l’âge légal de la retraite » énumère les cas d’une quinzaine de proches collaborateurs de M. Gaudin, dont son historique directeur de cabinet Claude Bertrand, 79 ans, pour le maintien duquel la chambre ne trouve « aucun cadre légal de droit ».

Plus globalement, les juges notent qu’à Marseille, la masse salariale a augmenté de 11 % entre 2012 et 2017, « bien plus rapidement que dans les communes de la même strate » et que la ville « n’a pas su saisir toutes les opportunités s’offrant à elle pour maîtriser ses dépenses ». A 2 320 euros en 2016, le niveau de rémunération brut mensuel des employés municipaux est supérieur à la moyenne nationale. « Pour autant, s’étonnent les juges, le temps de travail des agents marseillais reste inférieur à la durée légale. » Une situation qui aurait coûté « près de 12 millions d’euros entre 2012 et 2017 ».

Si la CRC reconnaît que la municipalité a lancé « plusieurs actions » courant 2018 pour mieux contrôler ce temps de travail, elle l’invite à « achever dans les plus brefs délais » le système de contrôle par badges des employés municipaux. Elle demande également à « mettre fin sans délai au système de primes », dont la croissance, selon elle, ne tient pas compte « de la manière de servir » mais « s’explique principalement par les décisions annuelles concertées avec les organisations syndicales », au premier rang desquelles le syndicat majoritaire Force ouvrière.

Dans ses réponses annexées au rapport, le maire Jean-Claude Gaudin rejette en bloc les accusations portées. Comme il le fait régulièrement face aux remarques de la CRC, il pointe du doigt des « jugements négatifs assénés en quelques lignes, ni fondés ni encore moins démontrés » et rappelle que l’équipe municipale « a trouvé à son arrivée une situation très dégradée ». Un argument qui, alors que le maire de Marseille est en place depuis près de vingt-cinq ans, aura du mal à porter.


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