De la fumée s’élève d’une base de défense aérienne à la suite d’une frappe russe à Marioupol, en Ukraine, le 24 février 2022. (AP Photo/Evgeniy Maloletka)
Alexander Hill, University of CalgaryL’invasion de l’Ukraine par la Russie a choqué le monde entier, mais Vladimir Poutine s’y préparait depuis un certain temps déjà.
Pour Poutine et pour une partie des Russes, les méchants de la crise ne sont pas seulement les nationalistes ukrainiens, mais aussi les gouvernements occidentaux. On considère que l’Occident fonctionne selon certaines normes pour lui-même, et selon d’autres normes pour des pays comme la Russie.
Il est essentiel de saisir cet aspect de la vision du monde de Poutine pour comprendre pourquoi il est si peu disposé à reculer face à ce qu’il perçoit comme l’intransigeance et l’hypocrisie occidentales.
Crise des missiles cubains
Le concept russe de l’hypocrisie occidentale remonte à l’époque de l’Union soviétique et de la guerre froide. Un événement particulièrement important a été la crise des missiles cubains de 1962. Les États-Unis s’opposaient au fait que l’Union soviétique installe des armes nucléaires à Cuba, alors qu’eux-mêmes positionnaient à la même époque leurs armes près de l’Union soviétique, en Turquie.
À l’époque, les États-Unis invoquent la doctrine Monroe, énoncée pour la première fois en 1823 et qui proclame la domination américaine dans l’hémisphère occidental. Les politiciens américains affirmaient que cette doctrine leur donnait carte blanche pour stopper toute influence étrangère sur le continent américain.
Bien que le leader cubain Fidel Castro l’ait souhaité, Cuba n’a jamais été autorisé à rejoindre le Pacte de Varsovie – l’équivalent soviétique de l’OTAN. L’Union soviétique était consciente qu’il aurait été extrêmement provocateur de permettre à Cuba de le faire.
La doctrine Monroe a persisté bien après la crise des missiles cubains et s’est reflétée dans les invasions américaines de la Grenade et du Panama, respectivement en 1983 et 1989. Les États-Unis n’ont jamais officiellement renoncé à cette doctrine, qui fait toujours partie de leur boîte à outils politique lorsque le besoin s’en fait sentir.
L’Union soviétique a tenté d’introduire quelque chose de similaire avec ce qui est devenu la doctrine Brejnev, du nom de Léonid Brejnev, président qui a longtemps régné sur l’URSS. On y affirmait que l’Union soviétique devait intervenir dans les pays où le régime socialiste était menacé, et ce, même par la force.
En Occident, on considérait que cette doctrine n’avait pas la même légitimité que la doctrine Monroe, car la cause américaine était perçue comme juste et la cause soviétique comme injuste. Poutine est en train de mettre en œuvre sa propre doctrine Monroe – ou Brejnev.
Agression occidentale
Pour de nombreux habitants de la Russie postsoviétique, l’Occident a, jusqu’à présent, régulièrement bafoué le droit international en envahissant d’autres États – souvent sur un coup de tête. Le meilleur exemple en est l’invasion de l’Irak en 2003. Les « armes de destruction massive » de Saddam Hussein ne se sont jamais matérialisées et sont communément considérées comme un prétexte fabriqué pour justifier l’intervention occidentale.
L’intervention de l’OTAN en Yougoslavie dans les années 1990 est un autre exemple favori en Russie pour illustrer la propension de l’Occident à bafouer les frontières internationales lorsque cela s’avère opportun. L’Occident a supervisé le démantèlement de la Yougoslavie, où il a soutenu la séparation du Kosovo de la Serbie, laquelle était appuyée par la Russie.
Pour Poutine, la protection des russophones en Ukraine est un motif d’intervention aussi justifié que ceux avancés par l’Occident en Irak et en Yougoslavie.
Aux yeux des Russes, l’Occident a été jusqu’à présent l’agresseur, qui a profité de la faiblesse de la Russie depuis l’effondrement de l’Union soviétique pour soutenir des gouvernements nationalistes dans l’ancien espace soviétique. Ces pays comptaient souvent d’importantes minorités russes à l’intérieur de leurs frontières.
Du point de vue du gouvernement russe, l’expansion de l’OTAN dans l’ex-Union soviétique a constitué une trahison des engagements occidentaux pris à la fin de la Guerre froide de limiter l’expansion de l’OTAN à une Allemagne unie. Elle a également été perçue comme une menace croissante pour la sécurité de la Russie, directement dans son arrière-cour.
Armer l’Ukraine
L’armement de l’Ukraine par l’Occident a assurément été perçu par le gouvernement russe comme une façon de fournir aux Ukrainiens les moyens d’écraser les forces séparatistes prorusses dans l’est sans avoir à leur accorder le type d’autonomie proposée dans les défunts protocoles de Minsk de 2014-15. Ces accords étaient destinés à mettre fin à une guerre sécessionniste menée par des russophones dans l’est de l’Ukraine.
Selon Poutine, la seule solution devant la stagnation dans le cadre des protocoles de Minsk et le manque de volonté de l’Occident de prendre les demandes russes au sérieux a été de reconnaître les républiques sécessionnistes et de passer d’une action militaire secrète à une action militaire au grand jour.
L’approche occidentale de la diplomatie avec la Russie et d’autres puissances qui ne sont pas « des nôtres » a contribué à pousser la crise jusqu’à son point actuel et tragique.
Lorsqu’un parent impose une discipline à son enfant, il est généralement plus efficace d’éviter le « fais ce que je dis, pas ce que je fais ». La réaction impétueuse de Vladimir Poutine coûtera sans aucun doute des milliers de vies.
Alexander Hill, Professor of Military History, University of Calgary
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.