Le procès de Khadija, cette jeune femme qui dit avoir été violée, torturée et séquestrée, s'ouvre jeudi au Maroc. Et au-delà de cette affaire, les défenseur des droits de femmes espèrent que le jugement va marquer un tournant dans le pays.
Le procès de Khadija, une adolescente qui dit avoir été séquestrée et violée par un groupe d'hommes dans un village du centre du Maroc, doit s’ouvrir jeudi 6 septembre. Dans une vidéo diffusée le 21 août de façon virale sur Internet, la jeune femme de 17 ans raconte avoir été kidnappée, séquestrée, violée et martyrisée pendant deux mois par des jeunes de son village, suscitant une vague d’émoi sur les réseaux sociaux. Le récit de la jeune fille est toutefois remis en cause par certains et cette affaire divise dans le pays.
Militants et responsables associatifs marocains – qui ont beaucoup fait pour que soit définitivement adoptée, en février dernier, une loi contre les violences faites aux femmes –, attendent beaucoup de ce procès. Parmi eux, Aicha Sakmassi, directrice exécutive de l’association Voix des femmes marocaines, et Omar Saadoun, acteur social de l’Insaf, (Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse), interrogés par France 24.
France 24 : Qu'attendez-vous du procès de Khadija ?
Omar Saadoun : Avec l’association Insaf, nous comptons mener notre petite enquête sur l’affaire en collectant des informations, recueillant des témoignages car certains points ne nous paraissent pas clairs et sont sujets à polémique. Si les accusations nous semblent fondées, l’association soutiendra la jeune fille et se constituera partie civile. Aujourd’hui, il est question du procès de Khadija, demain, il y en aura beaucoup d’autres et on espère que le nombre de procès va augmenter, pour que les crimes commis sur les femmes ne restent plus impunis. On attend des condamnations sévères pour qu’elles servent d’exemple. De manière générale, l’affaire n’a pas été beaucoup médiatisée, mais elle a été largement relayée sur les réseaux sociaux. À l'avenir, on espère que les médias s'empareront davantage de ce genre de sujet.
Aicha Sakmassi : Ce procès va marquer un véritable tournant dans l’histoire des violences faites aux femmes au Maroc, parce que la loi 103.13 doit justement entrer en application le 13 septembre prochain. Nous espérons donc que les agresseurs sexuels seront punis à la hauteur de leur crime et que leur condamnation ait un réel impact sur toute la société. Les auteurs d’agression ne doivent plus se sentir en sécurité. Et nous espérons aussi que le cas de cette jeune femme déscolarisée, issue d’un milieu rural dépourvu de toute structure d’accueil, puisse faire la lumière sur l’isolement de ces femmes sans qualification.
La loi votée en février dernier a-t-elle fait changer les choses ?
Omar Saadoun : De manière générale, nous, responsables d’associations de terrain, sentons un mouvement de libéralisation des femmes marocaines qui osent davantage s’opposer, refuser. Elles ne veulent plus être victimes. Nous voyons de plus en plus de femmes chercher les coordonnées des structures qui vont pouvoir leur venir en aide, pousser la porte d’associations comme la nôtre. Nous constatons également de nombreux changements, notamment dans l’implication des associations de soutien aux femmes. Ces structures se professionnalisent de plus en plus, en se dotant notamment de conseils juridiques. Il semble par ailleurs y avoir de plus en plus d’avocats qui se spécialisent dans le domaine des violences faites aux femmes, ils jouent un important travail. On voit aussi de plus en plus de responsables politiques s’impliquer sur ces questions. Et certains médias enfin semblent également un peu plus enclins à suivre les affaires de violences sur les femmes.
Aicha Sakmassi : Les changements restent encore timides. Les progrès sont réguliers depuis les années 1990, décennie au cours de laquelle les associations de défense des femmes ont commencé à faire bouger les choses en proposant des structures d’accueil, des centres d’hébergements et d’écoute. La loi 103.13 n’est que la résultante d’un long travail de militantisme des associations féministes. Il reste tant à faire.
La loi votée est-elle suffisante ?
Aicha Sakmassi : La loi dans sa forme actuelle n'est pas suffisante. Elles ne prend pas en compte la réalité des choses. Il n'y est par exemple pas du tout question du viol conjugal, qui n’est pas juridiquement reconnu. Les associations de défense des droits des femmes regrettent également qu’il n’y ait pas de disposition en matière de prévention, de sensibilisation.
Omar Saadoun : C’est déjà bien d’avoir cette loi, mais l’aspect juridique à lui seul ne suffit pas. Il y a un énorme chantier d’information et de pédagogie à dispenser. D’ailleurs, beaucoup de Marocains ne connaissent pas cette loi. C’est que là que le travail des associations et des travailleurs sociaux que nous sommes prend tout son sens. Il faut aussi une plus grande implication des médias. Pourquoi ne pas créer des chroniques ou des émissions spécialement dédiées à ces questions, pour réussir à impliquer tout le monde, car c’est l’affaire de tous. Il faut aussi mener un travail de revalorisation de l’image de la femme.