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Différentes observations au microscope. Matthieu Debailleul, Nicolas Verrier et Olivier Haeberle, Fourni par l'auteur

Vers un microscope optique universel « tout-en-un » ?

Différentes observations au microscope. Matthieu Debailleul, Nicolas Verrier et Olivier Haeberle, Fourni par l'auteur
Olivier Haeberlé, Université de Haute-Alsace (UHA); Matthieu Debailleul, Université de Haute-Alsace (UHA) et Nicolas Verrier, Université de Haute-Alsace (UHA)

Le microscope optique est un outil clé de la recherche depuis le XVIe siècle, qui a permis d’innombrables découvertes en biologie (comme l’existence des cellules ou l’identification des premiers microbes). D’abord très rudimentaire, cet instrument a donné lieu à une intense émulation pour le perfectionner, et on cherche toujours encore à en améliorer les performances. Une technique suscite actuellement un intérêt croissant, la « microscopie tomographique diffractive », sur laquelle nous travaillons, et qui pourrait mener au développement d’un outil « tout-en-un », permettant même de visualiser directement en 3D des spécimens microscopiques.

En termes de résolution, c’est-à-dire la capacité à distinguer de très petits détails, le microscope atteint un plafond dès la fin du XIXe siècle. C’est une surprise pour les fabricants de microscopes, bloqués dans leurs développements. Ernst Abbe y apportera une explication éclatante, avec sa loi définissant la résolution :

La formule d’Abbe, gravée sur le monument lui rendant hommage à Jena et définition de l’angle de collection des rayons entrant dans un objectif de microscope. Avec ? la longueur d’onde d’observation, n l’indice optique du milieu d’observation, et ? l’angle de collection des rayons lumineux entrant dans l’objectif. Wikimedia, Fourni par l'auteur

En histoire des sciences, c’est un cas intéressant où la technologie a atteint les limites théoriques d’un système, avant même que celles-ci ne soient clairement établies par la physique.

Chaque technique de microscopie présente ses limites

Ceci explique que les recherches ont alors plutôt visé à corriger les défauts ou optimiser certains paramètres, par exemple supprimer les distorsions dans les images, agrandir le champ de vue, et surtout, augmenter le contraste. La technique la plus simple est l’utilisation de colorants, mais ceux-ci sont toxiques pour les spécimens biologiques, interdisant les études sur le vivant. La microscopie de fluorescence, au succès extraordinaire, est un cas à part, et ses spécificités ont même permis la réalisation de nanoscopes optiques à la résolution inégalée, qui permettent de visualiser l’architecture des cellules jusqu’à l’échelle moléculaire. Mais cette technique présente aussi des limites (obligation de marquage, phototoxicité induite).

Ainsi, de nombreuses techniques pour visualiser, sans marquage, des spécimens translucides ont aussi été inventées, une des plus efficaces et esthétiques visuellement étant la microscopie à contraste de phase différentiel, qui fait apparaître des pseudo-reliefs, c’est-à-dire que les niveaux de gris visibles sont interprétés par le cerveau comme un relief, alors que le spécimen ne présente en fait pas de relief topographique.

Ces différentes techniques se caractérisent par une certaine maîtrise des conditions d’illumination et/ou de détection de la lumière interagissant avec le spécimen. Elles sont parfaitement adaptées pour, par exemple, détecter la présence de bactéries dans l’eau, effectuer des mesures morphologiques, ou observer l’évolution temporelle de phénomènes comme la division cellulaire.

Mais les images obtenues souffrent de restrictions qui en limitent encore l’exploitation :

  • la résolution reste limitée à environ 200 nanomètres en pratique. Si la nanoscopie optique 3D est une réalité en fluorescence, sans marquage, elle représente toujours un rêve pour l’utilisateur, et un défi pour le physicien ;

  • les contrastes observés restent qualitatifs, et ne peuvent être reliés à des grandeurs physiques autres que dimensionnelles. C’est une des grosses limitations de ces techniques qui enregistrent des images en intensité uniquement : on peut par exemple facilement mesurer des tailles, ou observer des changements de formes, qui sont des données dimensionnelles, mais les niveaux d’intensité observés ne sont pas directement reliés aux propriétés physiques du spécimen observé.

La microscopie tomographique diffractive pour des images en 3D

Emil Wolf a proposé dès 1969 une approche pour dépasser ces limites : lorsqu’une onde plane monochromatique, comme produite par un laser, interagit avec un objet faiblement diffractant/absorbant, mesurer précisément et complètement l’onde résultante de l’interaction de l’illumination avec l’objet observé permet alors de calculer la distribution des indices optiques dans cet objet, c’est-à-dire calculer ses propriétés optiques (l’indice de réfraction et l’absorption), qui sont justement celles perdues dans les microscopes classiques.

Cet article fondamental en imagerie optique est longtemps resté inexploité. On le comprend aisément avec les limitations techniques de l’époque : les lasers pour créer l’onde plane monochromatique illuminant le spécimen sont à peine développés, mais surtout, les capteurs numériques pour enregistrer les images n’existent pas, et les ordinateurs sont incapables, en quantité de mémoire comme en vitesse d’exécution, de traiter les données nécessaires au calcul des images en 3D.

Après quelques premiers essais fructueux dans les années 1980-1990, le domaine a été relancé dans les années 2000, en grande partie via un article de Vincent Lauer, qui avait montré que des lasers abordables, des caméras performantes, et des ordinateurs courants enfin à même d’effectuer directement les reconstructions 3D, rendaient ce type d’imagerie abordable.

La microscopie tomographique diffractive (aussi connue comme tomographie de phase, microscopie à synthèse d’ouverture, tomographie optique en diffraction…) a alors connu un regain d’intérêt spectaculaire, et est même maintenant disponible commercialement. Son principe général est relativement simple, et proche de celui des scanners (computerised tomography ou CT scan) en imagerie médicale : pour une illumination du spécimen, on enregistre l’amplitude et la phase de l’onde diffractée. Ceci se fait maintenant facilement par des techniques d’holographie numérique. L’hologramme enregistré contient une partie, mais une petite partie seulement, de l’information nécessaire pour recalculer en 3D l’objet observé. Il faut alors multiplier les mesures, puis les fusionner numériquement afin d’augmenter l’information 3D acquise et améliorer l’image finale.

Microscope à tomographie diffractive. Olivier Haeberlé, Fourni par l'auteur

Pour varier l’information acquise par chaque hologramme, on change les conditions d’illumination, et on répète le processus. Avec un grand nombre d’illuminations, on accumule l’information pour obtenir un ensemble de mesures bien plus étendu et complet qu’en microscopie holographique avec une seule illumination. Cette étape est dite de synthèse d’ouverture, analogue à la synthèse d’ouverture utilisée en imagerie radar. Avec une caméra scientifique standard, l’acquisition des données dure d’une à quelques secondes selon la précision finale demandée (pour quelques dizaines à plusieurs centaines d’hologrammes).

Au final, on obtient même deux images de l’objet, en réfraction (la capacité de cet objet à courber les rayons lumineux) et en absorption (la capacité de cet objet à absorber la lumière). Dans les microscopes optiques classiques, l’image obtenue est en fait un mélange de ces deux quantités. Les spécificités de ces images de microscopie tomographique diffractive sont une meilleure résolution, environ 100 nm, typiquement deux fois meilleure que celle obtenue en pratique dans un microscope classique, et donc la capacité à clairement distinguer les parties réfractives et absorbantes du spécimen étudié.

Cette technique est maintenant de plus en plus utilisée par les biologistes désireux de s’affranchir de la fluorescence, pour étudier les réactions des cellules à des médicaments, faire des suivis de cultures cellulaires sur de longues périodes, et même étudier la production de potentiels bio-carburants par des algues microscopiques.

Une nouvelle technique ultrarapide

Les techniques de microscopie par fluorescence restent irremplaçables pour les études à très haute résolution, et de fonctionnalisation, mais pourraient se voir remplacées dans certains cas par la microscopie tomographique, qui a aussi pour avantage de pouvoir être ultrarapide. La vitesse d’acquisition n’est en effet pas limitée par le flux de photons disponible : il suffit d’augmenter l’intensité de l’illumination, la vitesse de balayage et la cadence d’acquisition caméra. Les ordinateurs actuels permettent même la reconstruction temps-réel des images 3D [11]. La vidéo ci-dessous, obtenue par Jonathan Bailleul durant sa thèse, illustre la reconstruction des fins détails d’un spécimen au fur et à mesure de l’acquisition des données.

Reconstruction progressive d’un spécimen (diatomée) par tomographie diffractive. Notez comment les fins détails apparaissent progressivement. Barres d’échelle en micromètres.

Enfin, cette approche enregistre l’ensemble de l’information physique portée par l’onde diffractée par le spécimen. Ceci ouvre des perspectives nouvelles : la modélisation des instruments permet en effet, à partir des mêmes données de tomographie, de reconstruire les images qui seraient obtenues dans n’importe quel type de microscope optique en transmission.

La Figure 3 montre des reconstructions d’un même pollen en indice et contraste de phase différentiel en 2D, mais aussi en maximum de projection d’intensité des images 3D en indice, champ sombre, contraste de phase et illumination de Rheinberg. Le film associé correspond à une « plongée » à travers le pollen, dans ces différentes modalités, ainsi qu’à travers une image composite Rheinberg-DIC.

Reconstruction de différentes modalités d’imagerie microscopique optique à partir des mêmes données de microscopie tomographique.

Ainsi, la microscopie tomographique diffractive pourrait constituer la base d’un microscope optique universel « tout-en-un », qui, couplé à un affichage holographique, permettrait même de rendre possible le rêve de visualiser directement en 3D des spécimens microscopiques. Enfin, une telle approche de microscopie computationnelle pourrait peut-être aussi contribuer à réattirer la génération dite « digital native » vers la science, en mettant en évidence le lien intime existant dans l’instrumentation moderne entre les sciences de l’ingénieur (électronique, informatique, capteurs, etc.) et les sciences fondamentales (optique, physique).

Olivier Haeberlé, Professeur à l'Université de Haute-Alsace (UHA-Mulhouse). Chercheur en imagerie microscopique à l'IRIMAS (Institut de Recherche en Informatique, Mathématiques, Automatique et Signal). Enseignant en informatique industrielle à l'IUT de Mulhouse, Université de Haute-Alsace (UHA); Matthieu Debailleul, Ingénieur de recherche en optique, Université de Haute-Alsace (UHA) et Nicolas Verrier, Docteur spécialisé en imagerie optique non conventionnelle et en microscopie, Université de Haute-Alsace (UHA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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