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Les véhicules en free-floating ont la particularité de ne pas nécessiter de points d’attache fixes pour fonctionner : les véhicules peuvent être géolocalisés et déverrouillés grâce à une application disponible sur smartphone. Shutterstock

Trottinettes en libre-service : stop ou encore ? Les enjeux de la consultation parisienne du 2 avril

Les véhicules en free-floating ont la particularité de ne pas nécessiter de points d’attache fixes pour fonctionner : les véhicules peuvent être géolocalisés et déverrouillés grâce à une application disponible sur smartphone. Shutterstock
Timothée Mangeart, École des Ponts ParisTech (ENPC)

Le 14 janvier 2023, la maire de Paris Anne Hidalgo annonçait dans un entretien au quotidien Le Parisien la tenue d’une votation le dimanche 2 avril 2023 à propos de la continuation sur le territoire de la ville des services de location de trottinettes sans bornes d’attaches.

Cette annonce intervient après plusieurs mois de tergiversations de la majorité municipale et d’échanges intenses avec les opérateurs concernés et alors que les autorisations d’opération dont disposent les opérateurs arrivent à échéance fin mars 2023. En effet, les autorisations d’occupation temporaire du domaine public (AOT) nécessaire pour réaliser une activité de libre-service avaient été délivrées par la Ville de Paris aux opérateurs Dott, Lime et Tier au printemps 2021 pour une durée de deux ans.

Les questions de mobilité étaient un enjeu important des débats qui ont précédé les élections municipales de 2020 et, dans une moindre mesure, de ceux des élections régionales de 2021. Avec la votation annoncée, la question de la mobilité à Paris va à nouveau faire l’objet d’un débat politique. Quels sont les enjeux du vote parisien sur les trottinettes en libre-service ?

Un nouveau service de mobilité porté par des acteurs privés

Les trottinettes en libre-service font partie de la grande famille des offres de « mobilité partagée » et, parmi celles-ci, des « véhicules en libre-service ». Par rapport aux vélos publics en libre-service qui se sont développés à partir de la fin des années 1990, les véhicules en libre-service ont la particularité de ne pas nécessiter de points d’attache fixes pour fonctionner : les véhicules peuvent être géolocalisés et déverrouillés grâce à une application disponible sur smartphone. Depuis l’ouverture du service Lime en juin 2018, les trottinettes constituent le quatrième type de véhicules à être proposés en libre-service à Paris après les scooters (2016), les vélos (2017) et les voitures (2018).

Les services de trottinettes, vélos et scooters en libre-service à Paris. Thimothée Mangeart, Author provided

Portés par des fonds d’investissement de capital-risque spécialisés dans le soutien aux start-up à croissance rapide, les opérateurs de trottinettes en libre-service suivent une stratégie de type « winner takes all » et cherchent à conquérir rapidement des parts de marché pour s’imposer, quitte à ne pas engendrer de profits durant la phase de développement. De nombreux services ont rapidement été lancés jusqu’à atteindre 12 opérateurs et près de 20 000 véhicules au début de l’été 2019.

L’importante couverture médiatique dont ont bénéficié ces services à leur démarrage a porté sur eux une appréciation largement négative, concentrée notamment sur les accidents, l’occupation de l’espace public et l’absence de régulation. La Ville de Paris, qui ne disposait pas en 2019 de politique pour ces services d’un genre nouveau, a progressivement mis en place un cadre réglementaire.

La promulgation de la loi d’orientation des mobilités (LOM) le 24 décembre 2019 a permis à la Ville de Paris de sélectionner et d’autoriser trois opérateurs de trottinettes en libre-service pour une durée de deux ans.

Les critères de sélection concernaient notamment la sécurité, l’occupation de l’espace public et l’impact environnemental des services proposés. Ce mécanisme de mise en concurrence constitue en pratique un levier de régulation important. Dès avant la loi, la régulation est aussi passée par l’interdiction de la circulation des trottinettes sur les trottoirs et l’aménagement d’emplacements de stationnement dédiés.

Face à la critique, les opérateurs s’efforcent de convaincre

Les opérateurs de trottinettes en libre-service, pour qui Paris représente un marché important non seulement par sa taille, mais surtout par la vitrine qu’elle représente, ont multiplié les initiatives et prises de position en faveur de l’intégration de leurs services dans la ville : améliorations des conditions d’emploi, bridage des vitesses de circulation, annonce de nouvelles technologies, campagnes publicitaires de sensibilisation des usagers, recyclage des batteries, distribution de casques.

En novembre 2022, les trois opérateurs ont proposé conjointement 11 mesures visant à faciliter la régulation de leurs activités.

Quel a été le résultat de ces différentes mesures ? La mise en œuvre par la Ville de Paris et les opérateurs des emplacements de stationnement dédiés pour les trottinettes en libre-service a permis de réduire progressivement les stationnements gênants.

En matière de sécurité routière, trois usagers d’engins de déplacements personnels motorisés (partagés ou non) sont décédés en 2022

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Enfin, l’impact carbone des trottinettes en libre-service est estimé entre 60 et 130 grammes de CO2eq/km en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie. La construction de l’engin et les opérations de maintenance/repositionnement représentent environ la moitié de l’empreinte totale. L’usage et l’infrastructure ont une empreinte carbone négligeable. Le bilan environnemental global des services de trottinettes en libre-service doit prendre en compte les déplacements que ce service génère ou remplace, qui sont extrêmement difficiles à mesurer. Toutefois, les estimations convergent vers un bilan environnemental globalement positif.

À titre de comparaison, l’impact carbone moyen par passager de l’usage d’une voiture à Paris est de 210 grammes de CO2eq/km, celui d’un bus de 130 grammes de CO2eq/km, celui du vélo à 15 grammes de CO2eq/km, et celui du métro ou du RER à 10 grammes de CO2eq/km.

Usages et usagers des trottinettes en libre-service

La trottinette en libre-service semble aussi correspondre aux préférences de mobilité d’un certain public. Les quelque 15 000 trottinettes en libre-service autorisées sur le territoire parisien pour la période 2021-2023 ont été utilisées pour plusieurs dizaines de milliers de trajets chaque jour.

Leurs usagers sont plutôt jeunes et diplômés, et le plus souvent des hommes. Ils utilisent les trottinettes partagées pour des trajets courts (15 minutes), pour l’aspect ludique ou pour gagner du temps ; parfois pour rejoindre une station de transport collectif.

Le fait que les services de trottinettes en libre-service soient portés par des acteurs privés ne constitue pas une rupture dans l’histoire du développement des [services de mobilité urbaine ](https://shs.hal.science/halshs-03472493/document](https://shs.hal.science/halshs-03472493/document) ; en revanche, les caractéristiques nouvelles de ces services et l’évolution du contexte poussent à inventer de nouvelles modalités de régulation et d’intégration avec les autres services de mobilité.

Toujours est-il que les trajets réalisés avec une trottinette en libre-service représentent en 2022 moins de 0,5 % des déplacements réalisés à Paris, ce qui est sans commune mesure avec leur occupation de l’espace urbain et la visibilité qu’elles y ont.

La question de la gouvernance des nouvelles mobilités

La Ville de Paris dispose de leviers importants pour inventer la régulation des trottinettes en libre-service et plus largement celle des nouvelles mobilités urbaines.

Comme les autres nouvelles mobilités, les trottinettes en libre-service utilisent la voirie. Or, avec la Loi d’orientation des mobilités (LOM), le législateur a confié la responsabilité de la régulation des trottinettes en libre-service à la Ville de Paris au titre de son pouvoir de police de stationnement plutôt qu'à l’établissement public Île-de-France Mobilités, autorité organisatrice de la mobilité sur le territoire parisien.

Malgré des évolutions effectives du service proposé, les trottinettes en libre-service ne semblent pas s’être départies de l’image qu’elles ont suscitée à leurs débuts. Contrairement à d’autres métropoles en France et en Europe, la Ville de Paris a initialement adopté une posture ouverte à l’égard de ces nouveaux services de mobilité et aux acteurs qui les portaient, ce qui lui a valu de devenir un des principaux marchés mondiaux en matière de micromobilité partagée.

Près de 5 ans après le premier service parisien, l’absence de constat partagé sur les bénéfices de la trottinette en libre-service pousse la majorité municipale parisienne à mettre au vote, le dimanche 2 avril 2023, leur continuation auprès de ses résidents.

Plus largement, la consultation interroge les évolutions de la mobilité urbaine métropolitaine. Qu’est-ce que les trottinettes en libre-service peuvent apporter à la mobilité urbaine métropolitaine ? Peuvent-elles utilement contribuer à la mise en place d’un système de mobilité qui réponde aux enjeux contemporains ? Dans quels territoires, à quelles conditions ? Quelles ressources leur accorder ? Et au-delà des trottinettes en libre-service, comment créer un espace favorable à l’émergence ou au développement de mobilités alternatives ? Ces questions dépassent à la fois l’objet trottinette et les limites de la Ville de Paris.

Le choix qui sera fait par les Parisiens sera scruté avec attention par celles et ceux qui souhaitent inventer de nouvelles manières de se déplacer en ville. Avec ou sans trottinettes en libre-service, il faudra inventer un modus vivendi entre les différents modes de déplacements, entre les différents usages de la chaussée, mais aussi entre les acteurs de la mobilité et ceux de l’espace urbain ; et entre les acteurs privés et les acteurs publics.

La consultation parisienne du 2 avril 2023 peut être l’occasion d’un débat utile sur les transformations souhaitables des systèmes de mobilité et de l’espace public.


Un grand merci à Virginie Boutueil pour sa relecture attentive. Merci également à Eve Landais, Anna Voskoboynikova et Isac Olave pour les éléments qu’iels ont apportés lors de la rédaction de ce texte.

Timothée Mangeart, Doctorant en aménagement et urbanisme, École des Ponts ParisTech (ENPC)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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