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Traque des moustiques invasifs : au cœur d’une enquête sanitaire inédite à Marseille

Vincent Robert, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Les espèces invasives, animales et végétales, sont devenues un problème majeur au niveau mondial – écologique, économique, mais aussi de santé publique.

Le moustique tigre (Aedes albopictus) en est un exemple malheureusement fameux : venu d’Asie du Sud-Est, il a gagné la majeure partie de la planète et se répand désormais dans le sud de la France. Il y propage des virus responsables de graves maladies comme la dengue, le Zika ou le chikungunya.

D’où l’importance d’un suivi rigoureux de ce risque, notamment aux points d’entrée que constituent les grands ports et aéroports internationaux, pour bloquer à la source tout risque de dissémination de nouveaux vecteurs ou pathogènes…

Le réseau de surveillance national est assez fin pour parfois réussir à réagir à un unique insecte – c’est ce qui s’est passé il y a quatre ans. Nous venons de publier l’enquête menée au sujet d’un moustique dans la revue Parasite.

Une enquête unique

Tout débute en juillet 2018 par une observation surprenante dans le Grand port maritime de Marseille lors d’une opération de routine de l’EID-Méditerranée (Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen), chargée de la surveillance entomologique dans la lutte contre les espèces invasives…

Différents types de pièges à moustiques sont dispersés dans les zones à surveiller. Attirés par exemple par de la chaleur, du gaz carbonique, etc., les moustiques sont ensuite aspirés et coincés dans une nasse. Charles Jeannin/EID-Méditerranée, Author provided

En pratique, sont installés dans ce secteur stratégique des pièges à moustiques de différents types – basés sur divers attractifs tels que la chaleur, le gaz carbonique, des odeurs mimant celles d’une proie à piquer, etc. Les moustiques attirés sont ensuite aspirés par un ventilateur et aboutissent dans un filet nasse où ils meurent rapidement.

Les pièges sont relevés toutes les deux ou quatre semaines et leurs contenus examinés.

Cette observation aurait pu passer inaperçue, puisqu’il s’agissait de celle d’un unique moustique mort, une femelle en l’occurrence, au milieu de nombreux autres moustiques pris au piège. Mais sa morphologie a d’emblée titillé les spécialistes : le spécimen, quoiqu’abîmé par son séjour dans le filet du piège, présentait en effet des taches argentées caractéristiques sur ses pattes et semblait être un Aedes aegypti.

Le problème est que cette espèce, largement distribuée dans les zones tropicales, ne devrait pas être présente à Marseille. La dernière fois qu’elle a été observée dans la capitale phocéenne, c’était le 22 novembre 1907 ; et là encore, un seul spécimen femelle avait été collecté à proximité du Vieux-Port, dans le Parc du Pharo.

Elle a été éliminée d’Europe et du pourtour méditerranéen dans les années 1950 en utilisant largement des insecticides chimiques tels que le DDT. La faible occurrence de ces observations suggère un faible flux invasif d’Aedes aegypti par bateau, de port à port – ce qui est rassurant, nous verrons pourquoi.

Or la confirmation de la préidentification de l’espèce est vite arrivée grâce à des analyses de biologie moléculaire de type « code-barres » (portant sur l’ADN extrait de l’abdomen du moustique) réalisées par les spécialistes de l’unité Mivegec (Université de Montpellier, CNRS, IRD, Montpellier).

L’identification du spécimen découvert dans le piège, en mauvais état, a été complexe : abîmé, il a nécessité une analyse génétique en plus de l’étude morphologique (Ae. aegypti se distingue normalement par les taches argentées sur ses pattes et par un dessin en lyre, ici absent, sur le dos du thorax). Vincent Robert/IRD, Author provided

Ae. aegypti, le vecteur de virus dangereux

Aedes aegypti était donc de retour, et il est bien connu pour être un redoutable vecteur pour de nombreux virus hautement pathogènes tels que les virus de la fièvre jaune, dengue, chikungunya, Zika, etc. L’installation de populations pérennes d’Aedes aegypti dans un grand port méditerranéen est donc redoutée pour les risques sanitaires associés – outre le grave problème de nuisance à cause des piqûres.

Restait à savoir s’il s’agissait ici d’un retour avorté, ou du début d’une nouvelle infestation.

Le cas ne serait pas inédit. Depuis quelques années, le sud de la France doit déjà faire face au moustique tigre Aedes albopictus qui, lui, a parfaitement réussi son introduction et son implantation sur la quasi-totalité du pourtour méditerranéen. Cette dernière espèce est désormais régulièrement à l’origine de cas de maladies considérées hier comme « exotiques » en France avec maintenant des cas autochtones – c’est-à-dire contractés localement. À ce jour, 21 cas autochtones de dengue ont déjà été comptabilisés en région PACA pour la seule année 2022.

À ce stade, des enquêtes entomologiques complémentaires sont diligentées par l’EID-Méditerranée dans le port de Marseille et alentour pour savoir si ce moustique provient d’une petite population qui se maintiendrait à Marseille, suffisamment discrètement pour passer sous le seuil de détection de la surveillance.

Cette question est importante car y répondre positivement déclencherait aussitôt d’importantes et coûteuses opérations de lutte anti-vectorielle afin de l’éliminer.

La réponse est négative. Le surcroît d’échantillonnage réalisé au cours de l’été 2018 (~5 600 moustiques collectés) n’a pas permis de collecter un seul autre spécimen de cette espèce : de quoi conclure que le moustique identifié dans le port a été introduit à Marseille, et qu’il n’est donc pas nécessaire de mettre en place des actions exceptionnelles de lutte anti-vectorielle.

L’enquête aurait pu s’arrêter là, sur cette issue heureuse pour nous, avec le piégeage de ce dangereux moustique vecteur et l’échec de son installation à Marseille…

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Une recherche pour en inspirer d’autres

Toutefois, pour aller plus avant dans la connaissance des routes suivies par les individus pionniers des espèces envahissantes, des investigations complémentaires ont été menées sur les restes du moustique, pour retrouver sa provenance puis son itinéraire.

Des collaborateurs sollicités à l’Université de Yale (New Haven, Connecticut, USA) ont extrait de l’ADN de ce qu’il restait du moustique et l’ont testé sur une puce (chip) analysant en une fois quelque 23 000 marqueurs génétiques (de type SNP Single Nucleotid Polymorphism, des variations au niveau d’une seule lettre de l’ADN) répartis dans tout le génome. En reportant ces caractéristiques dans une base mondiale de données génétiques, ils ont établi que ce moustique appartient à une population d’Afrique tropicale, Cameroun (probablement) ou Burkina Faso (moins probablement, d’autant que ce pays est enclavé, sans ouverture maritime).

L’EID-Méditerranée a poursuivi sa recherche pour tenter d’identifier le navire par lequel le moustique est arrivé.

La première étape fut la consultation du registre des bateaux en provenance d’Afrique Centrale ayant accosté à Marseille dans les semaines qui ont précédé la capture du moustique Aedes aegypti. Le croisement de ces informations avec la date de collecte du moustique dans le piège a suggéré que le spécimen avait voyagé dans un navire de commerce identifié, un transporteur de véhicules reliant Douala (Cameroun) à Marseille. Ce navire avait quitté Douala le 25 juin 2018 pour arriver à Marseille le 15 juillet, 20 jours plus tard, après avoir parcouru près de 6000 km.

Les grands ports internationaux reçoivent des marchandises du monde entier. Peuvent s’y trouver des vecteurs d’agents de maladies, tels les moustiques. Ce qui illustre le côté néfaste de la mondialisation des transports (Grand port maritime de Marseille, zone est, où a été menée l’enquête relative à cet article). Gildas Le Cunff de Kagnac/Mer et Marine, Author provided

La distance entre le dock et le piège à moustique était de 350 m, une distance que le moustique a aisément pu franchir en volant.

L’interception d’un individu introduit relevant d’une espèce invasive est un évènement exceptionnel, particulièrement bien documenté ici. À notre connaissance, c’est la première fois qu’un tel cheminement est retracé si précisément, au point d’identifier par quel navire, par quelle route, et à quelles dates un spécimen a été embarqué d’un continent et débarqué sur un autre.

Mais cet exemple illustre surtout un effet néfaste de la mondialisation des transports qui facilite la dissémination de vecteurs de pathogènes d’un environnement à un autre.

Il est sûr que des moustiques voyagent en permanence comme passagers clandestins dans tous les types de transport (maritime, aérien, routier), mais il est difficile d’avoir une estimation de la fréquence de tels évènements, au moins sur longue distance. D’où l’importance du développement des moyens de surveillance tels ceux déployés ici, et de leur permettre de fonctionner dans de bonnes conditions pour le bénéfice de tous.


Charles Jeannin, entomologiste médical et chargé de projets à l’Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (Montpellier) a participé à la conception et à la rédaction de cet article.

Référence de l’article scientifique : Ch. Jeannin, Y. Perrin, S. Cornelie, A. Gloria-Soria, J.-D. Gauchet, V. Robert – An alien in Marseille : investigations on a single Aedes aegypti mosquito likely introduced by a merchant ship from tropical Africa to Europe. Parasite, 2022, vol 29.

Vincent Robert, Directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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