Le Conseil d’État a levé la semaine dernière une hypothèque juridique sur le projet pharaonique des tours Hermitage, dans le quartier de La Défense, près de Paris. Mais il reste des obstacles à la livraison en 2024 de ce complexe hors normes.
Avec elles, la ligne d’horizon de Paris ne serait plus la même… mais sortiront-elles un jour de terre ? Voilà presque dix ans que les tours jumelles Hermitage font parler d’elles. Sur les modélisations en 3D, elles toisent la capitale du haut de leurs 320 mètres : un véritable "World Trade Center" au bord de la Seine, à l’entrée du quartier d’affaires parisien de La Défense.
Dessiné en 2009 par l'architecte britannique star Norman Foster, le projet architectural de 260 000 m2 est pharaonique : 35 000 m2 de bureaux, plus de 400 appartements de standing à 12 000 euros le mètre carré, un hôtel de luxe, des restaurants, une galerie d’art contemporain, une salle de spectacles, une résidence étudiante… Les tours seraient le premier complexe mixte en France, mêlant bureaux et résidences de luxe.
Mais depuis son lancement en 2007, l'opération immobilière portée par le promoteur russe Emin Iskenderov patine. En 2010,
La décision du Conseil d’État, un obstacle en moins… parmi d’autres
Jeudi 26 juillet, une sérieuse hypothèque judiciaire sur le projet a été levée : les recours des assureurs Axa et Allianz contre le permis de construire des tours délivré par le maire de Courbevoie ont été rejetés par le Conseil d’État. La construction des tours implique, en effet, la démolition de bâtiments dont Axa et Allianz sont copropriétaires.
Dans un communiqué, Emin Iskenderov s’est aussitôt félicité d’"une étape très importante" qui, assure-t-il, "confirme notre planning de livraison des Tours pour les Jeux olympiques d'été de 2024 à Paris". "La date de début des travaux devrait être définie à la rentrée, mais toujours avec l'objectif de livraison début 2024", a précisé l’homme d’affaires russe. Après des échéances de livraison annoncées en 2015, puis en 2020, l’horizon des JO de Paris sera-t-il tenu pour le "plus haut immeuble jamais construit en Europe occidentale" ? Rien n’est moins sûr.
"Nous avons plusieurs recours en attente de jugement. L’automne s’annonce chargé sur le plan judiciaire", explique ainsi à France 24 Armelle de Coulhac-Mazérieux, avocate de l'association Vivre à La Défense, qui regroupe la poignée de locataires refusant toujours de quitter leur logement de la résidence Les Damiers située sur le futur chantier. Un recours pour excès de pouvoir contre les trois arrêtés de permis de construire (les deux tours et les locaux techniques) est actuellement devant la Cour administrative d’appel de Versailles. "L’arrêt du Conseil d’État du 26 juillet est, à cet égard, indifférent, car nous avons développé nos propres arguments juridiques qui ne sont pas nécessairement identiques à ceux d’Axa et Allianz", explique l’avocate.
Au civil, huit de ses clients ont, par ailleurs, fait appel contre leur jugement d’expulsion. Ce recours sera plaidé le 17 octobre 2018 devant la Cour d’appel de Versailles. "Si les expulsions sont annulées, il ne peut être procédé à la construction des tours", assure l’avocate. Deux recours contre les actes de la procédure d’expulsion seront, par ailleurs, plaidés conjointement le 5 septembre 2018. Selon l’avocate, les préalables obligatoires à toute mesure d’expulsion sont en effet entachés de "graves irrégularités qui commandent leur nullité".
Sur le plan pénal, enfin, deux recours ont également été déposés par ses clients : une citation directe contre le bailleur social Logis-Transports devant le Tribunal correctionnel de Paris du chef d’escroquerie, en ce qui concerne les mesures d’expulsion et, devant la cour d’appel de Paris, une citation directe contre le groupe Hermitage du chef de tentative d’escroquerie à jugement. "Le groupe Hermitage voulait condamner l’Association Vivre à La Défense à lui verser 60 millions d’euros, au motif que nos diverses actions en justice seraient à l’origine de son retard dans l’opération immobilière et lui ferait perdre 30 millions d’euros par an", explique l’avocate.
Or, selon Armelle de Coulhac-Mazérieux, "il est établi que les alarmantes difficultés financières du groupe Hermitage empêchent dans tous les cas la réalisation de l’opération, au budget de 3 milliards d’euros". Et l’avocate de pointer le non-remboursement par le groupe d’un prêt de 8,5 millions d’euros à une société de droit panaméen ou encore l’indemnité d’éviction de 100 000 euros qui aurait dû être versée à une entreprise de viennoiserie avant le 30 juin 2017 et dont seuls 60 000 euros ont été acquittés à ce jour, d’après ses informations.
"Nous avons de sérieux doutes"
Dans le communiqué diffusé par le promoteur russe le 26 juillet, on peut lire : "Le groupe Hermitage a signé avec les partenaires financiers le 13 juillet". Si ces dernières années, des investisseurs russes, des acheteurs chinois, des banques françaises ou étrangères et encore un grand fonds européen ont été évoqués, aucun plan sérieux n’a encore été détaillé.
D’ailleurs, pour Armelle de Coulhac-Mazérieux, "Emin Iskenderov cherche à convaincre les financiers de le suivre alors que sa situation est alarmiste". Dans ce dossier à enjeux politiques et financiers, il faut s’attendre, selon elle, à "des rebondissements".
L’avocate représentant l’association Vivre La Défense n’est pas la seule à se poser la question du financement. Fin juin, les élus de l’établissement public Paris La Défense, qui gère le quartier d’affaires, se sont publiquement interrogés sur la solvabilité du promoteur russe. "À ce jour, Hermitage aurait dû avoir versé 20 millions, et 10 millions supplémentaires au 30 juin. Il n’a pas respecté l’échéancier sur lequel il s’était engagé ; il reporte en permanence les délais", avait alors déclaré la directrice générale de l’établissement public, Marie-Célie Guillaume, en qualifiant d’"exceptionnelle" la mansuétude dont avait bénéficié jusqu’à présent le promoteur russe.
Dans une interview aux Échos le 28 juin, le président du conseil d'administration de Paris La Défense, Patrick Devedjian (LR), par ailleurs patron du département des Hauts-de-Seine, ne cachait plus sa réserve : "Nous avons de sérieux doutes sur la capacité du groupe à financer et réaliser un projet aussi ambitieux mais nous sommes déterminés à sortir rapidement de l'impasse", avait-il déclaré. Le promoteur russe garde en revanche la confiance du maire (LR) de Courbevoie, Jacques Kossowski, qui reconnaissait toutefois dans une récente interview au Parisien avoir une crainte : "Que la situation s’enlise et que l’on perde encore 15 ans".
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