Malgré les objections de l'ONU et des organisations humanitaires, le Bangladesh doit lancer jeudi l'opération de rapatriement vers la Birmanie voisine de centaines de milliers de Rohingya, minorité musulmane discriminée dans son pays.
Le Bangladesh doit lancer, jeudi 15 novembre, l'opération de rapatriement vers la Birmanie voisine de centaines de milliers de Rohingya, minorité musulmane discriminée et considérée comme apatride par les autorités birmanes, ayant fui ce que l'ONU qualifie de "génocide".
Après de multiples retards, le Bangladesh a annoncé fin octobre qu'il lancerait jeudi, aux termes d'un accord avec la Birmanie, le rapatriement d'un premier groupe de 2 260 réfugiés au rythme de 150 personnes par jour. Et ce pour la plus grande inquiétude des organisations internationales. Le 13 novembre, l'ONU avait demandé de stopper l'opération, estimant que les conditions n'étaient pas réunies en raison de risques de persécutions.
DÉCRYPTAGE
"D'après l'évaluation du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), aucune des 50 familles interrogées n'a exprimé la volonté de rentrer maintenant. Aucune ne pense être en sécurité [en Birmanie]", a déclaré Mohammad Abul Kalam, le Commissaire aux réfugiés du Bangladesh. Ce dernier n'a cependant pas précisé si le plan de rapatriement prévu jeudi serait annulé, alors que l'ONG Human Rights Watch a ajouté sa voix aux appels à "annuler immédiatement" l'opération.
"Tout le monde est tendu, la situation est très mauvaise", a déclaré à l'AFP un responsable des camps de réfugiés rohingya à Cox's Bazar, Abdur Rahim, évoquant des contrôles d'identité dans les camps par la police et l'armée bangladaise. La police dément de son côté tout renforcement du dispositif policier.
Bon nombre de réfugiés redoutent de rentrer en Birmanie
Selon un autre responsable rohingya, Abdu Rahim, parmi les 2 260 réfugiés dont les noms figurent sur la liste, "90 % ont pris la fuite" de crainte d'un rapatriement de force.
Depuis août 2017, plus de 720 000 Rohingya ont fui les exactions de l'armée birmane ainsi que de milices bouddhistes et se sont réfugiés au Bangladesh. Ils ont rejoint quelque 300 000 autres membres de la minorité musulmane déjà installés dans des camps du sud-est du pays après de précédentes vagues de violences.
Même si le Bangladesh a assuré que les retours s'effectueraient sur la base du volontariat, bon nombre de réfugiés redoutent de rentrer en Birmanie.
En novembre 2017, la Birmanie et le Bangladesh avaient annoncé un plan de retour. Le processus était ensuite resté au point mort, les deux pays se rejetant mutuellement la faute et seule une poignée de Rohingya rentrant.
Violences "inexcusables"
Selon un document confidentiel que l'AFP a pu consulter, le HCR met comme condition à son implication que les candidats au retour soient autorisés à retourner dans leurs villages ou toute autre place de leur choix en Birmanie.
Le HCR n'apportera pas son aide "dans des camps, que ce soient les zones d'accueil ou les camps de transit, à moins qu'ils ne soient clairement temporaires", dit le document. Nombre d'observateurs craignent en effet que la Birmanie ne confine les candidats au retour dans des camps "de transit", comme c'est déjà le cas pour plus de 120 000 Rohingya rentrés dans le pays.
Le vice-président américain Mike Pence n'a pas épargné mercredi la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, en marge d'un sommet à Singapour, lui disant devant la presse que les violences qui ont poussé des centaines de milliers de Rohingya à fuir la Birmanie sont "inexcusables".
Aung San Suu Kyi, très peu loquace sur le sujet, a répondu que les Birmans "d'une certaine façon comprennent leur pays mieux que n'importe quel pays". Celle-ci s'est vu retirer un prix d'Amnesty international cette semaine en raison de sa dénégation de l'ampleur de la crise et de son soutien à l'armée, accusée de "génocide" par l'ONU.
Si la dirigeante civile a peu de pouvoirs face aux militaires, que l'ONU souhaite voir poursuivre par la justice internationale, elle a refusé obstinément de condamner les violences contre les Rohingya et dénonce "l'iceberg de désinformation" monté par les médias internationaux.