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Chronique. Jeudi 6 juin, la maire de Paris consacrait une conférence de presse à la régulation des trottinettes électriques. La chroniqueuse de « M » y était.

Abordés dans des dîners parisiens, deux sujets provoquent autour de la table des réactions totalement incontrôlables. « Anne Hidalgo » et « trottinettes ». Aussi était-il passionnant de les voir tous deux associés dans une conférence de presse à l’Hôtel de Ville de Paris.

« Ah, je suis heureuse de voir que ce sujet attire… », nous a dit la maire de Paris en découvrant la centaine de personnes, journalistes, conseillers, élus dans la salle. Dans son livre 21 leçons pour le XXIe siècle, Yuval Noah Harari écrit que les sociétés ne se définissent pas par ce qu’elles ont en commun, mais par ce sur quoi elles s’écharpent. La vision de trottinettes électriques mal garées peut transformer n’importe quel Parisien en furie.

« En finir avec l’anarchie »

Un matin de mai, boulevard Edgar-Quinet, un quartier du quatorzième arrondissement où les plus grands désordres sont habituellement des radis qui traînent après le marché, quatre d’entre elles étaient retrouvées pendues dans les arbres. On en a vu jetées dans des brasiers sur les photos des manifs de « gilets jaunes », on en a entendu se faire traiter « d’étrontinettes ». Sans compter les trois trottinettes que le robot Curiosity a percutées sur Mars la semaine dernière, comme l’a rapporté Le Gorafi. (On pouvait encore en rire, c’était quatre jours avant l’accident mortel du 10 juin).

Dans l’Hôtel de ville, une dizaine d’affichettes flèchent la conférence « Trottinettes : en finir avec l’anarchie ». Face à la fronde qui gronde et à un an des municipales, Anne Hidalgo, qui n’a pas autorité sur les trottinettes électriques, prononce un discours de maintien de l’ordre face à ces nouveaux cow-boys. Elle parle d’« ordre et de régulation », promet de « pacifier les rues, les trottoirs, les quartiers de notre ville… ». Elle a « alerté le gouvernement, assure-t-elle. Chaque semaine est marquée par un fait divers, une personne handicapée empêchée de circuler ; une femme percutée dans un jardin victime de plusieurs fractures ; ça n’est plus possible… ! »

« Les trottinettes sont des objets qui n’existent pas dans la loi. » Anne Hidalgo

Difficile de connaître précisément leur accidentologie, la police comme l’AP-HP ne disposent pas de case trottinette. « Les trottinettes sont des objets qui n’existent pas dans la loi », dit la maire. A côté de moi, Ariel Weil, économiste et nouveau maire du 4e arrondissement, murmure que, côté chiffres, c’est peut-être plus compliqué que ça… Si les trottinettes font ralentir les voitures, d’accord, c’est énervant pour les conducteurs pressés, mais cela fait peut-être aussi diminuer les accidents de voiture. « Personne ne réfléchit aux accidents qu’on n’a pas eus. » Mais politiquement, les trottinettes, comme le terrorisme, sont impossible à relativiser.

La maire rappelle les tarifs de verbalisation. Soit 135 euros d’amende pour ceux qui roulent sur les trottoirs, 39 euros pour stationnement anarchique, 49 euros pour mise en fourrière. « Tous les jours, il y a des opérations d’enlèvement, de verbalisation… » Elle a demandé aux opérateurs de brider leur vitesse, proposé de signer un arrêté interdisant le stationnement sur tous les trottoirs, de proscrire la circulation dans les parcs et les jardins.

Rue Saint-Honoré, à Paris, mai 2019. DPA / Photononstop

Anne Hidalgo s’attaque aussi au problème des employés à leur maintenance, justement pas si employés que ça. Elle s’affiche « contre cette uberisation de notre société qui fait que des gens travaillent sans qu’on sache vraiment si c’est un travail. Tout cela n’est pas possible ! »… C’est peut-être cela aussi le vrai problème des trottinettes. En plus d’être des obstacles dans lesquels on se prend les pieds, elles vous rappellent que la disruption, c’est vraiment disruptif. Elles incarnent le triomphe des agiles sur ceux qui se sentent obsolètes, elles sont l’époque dans ce qu’elle a de plus mal élevée comme des selfies sticks sur roulettes.

Sujet épidermique

Un journaliste l’interroge sur les moratoires prononcés dans d’autres villes de province. « C’est de la communication politique, répond Emmanuel Grégoire, le premier adjoint. Juppé avait tapé du poing sur la table à Bordeaux, il y a quand même neuf opérateurs qui s’y sont installés… » Levallois-Perret met systématiquement les trottinettes à la fourrière. « La base légale n’existe pas. Imaginez si on faisait la même chose ! » Levallois-Perret, cette zone de non-droit.

« Aujourd’hui on parle des trottinettes… Dans un an je ne sais pas quel sujet de mobilité ce sera, conclut Anne Hidalgo. J’ai entendu parler de bâtons sauteurs mais ça doit être une blague (oui, c’en est une…) Rappelez-vous quand on a eu les opérateurs de vélos en libre-service. Tout le monde était énervé par ces bicyclettes laissées n’importe où. Le modèle économique a fait que peu ont résisté… » C’est peut-être ce qui rend le sujet aussi épidermique, qu’il s’agisse des trottinettes ou des vélos en libre accès de toutes les couleurs : l’impression, malgré la conférence de presse, que ni la maire ni personne ne décide de l’arrivée ou du départ des prochains envahisseurs.


Source : Sur les trottinettes électriques, Anne Hidalgo en roue libre


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