Sous l’impact des dérèglements climatiques, les arbres vont manquer de sève !
Thierry Ameglio, Inrae et Guillaume Charrier, InraeLes changements climatiques en cours provoquent, de par le monde, des dépérissements forestiers spectaculaires. Les plus connus sont associés au manque d’eau et aux températures élevées des canicules estivales.
Cependant, ils ne sont pas les seuls : d’autres dépérissements, comme ceux du bouleau jaune au Canada, sont eux liés au réchauffement hivernal.
L’embolie gazeuse chez les arbres
Dans les deux cas, le responsable est un arrêt du flux d’eau liquide provenant du sol (la sève brute) à cause d’intrusion de bulles d’air dans le circuit hydraulique : on parle d’embolie gazeuse.
Cette embolie gazeuse est le principal facteur du dépérissement des arbres. En interrompant la continuité hydraulique entre les racines et les feuilles, par aspiration d’air dans la sève brute (embolie estivale) ou par prise en glace de cette même sève et formation de bulle de gaz (embolie hivernale), elle interrompt l’irrigation des tissus aériens et peut ainsi conduire à leurs morts par déshydratation.
Depuis 40 ans, notre capacité à quantifier l’embolie dans les arbres a fortement progressé, grâce à différentes méthodes directes (coloration, mesure de flux hydrauliques…) ou indirectes (visualisation par micro-tomographie X, détection des formations de bulles par méthode acoustique…).
Ces nouvelles méthodologies ont permis de suivre en conditions naturelles la progression de l’embolie en fonction des contraintes hydriques et climatiques. On a ainsi découvert que la vulnérabilité à l’embolie variait fortement entre espèces, permettant d’expliquer les grands profils de distributions des espèces d’arbres en fonction de l’aridité de leurs habitats.
Ainsi, le taux d’embolie létale (c’est-à-dire le pourcentage de réduction du flux d’eau dans les tissus conducteurs) est d’environ 50 % pour les conifères aux feuilles persistantes. Il est de 90 % pour les angiospermes, chez qui la chute des feuilles permet de limiter la déshydratation en situation extrême. Jusqu’à très récemment, ces taux létaux n’étaient atteints que pour des sécheresses centennales… mais sont maintenant malheureusement plus fréquents.
Le cas de l’embolie hivernale
Ces études ont également permis de découvrir qu’un autre type d’embolie, se produisant chaque année, est provoqué par des cycles gel/dégel : l’embolie hivernale.
La vulnérabilité à l’embolie hivernale dépend de l’anatomie du bois et notamment de la dimension des conduits du xylème.
Ainsi, un seul cycle gel/dégel est suffisant pour emboliser les arbres possédant de très gros vaisseaux. C’est par exemple le cas des chênes, dont tous les vaisseaux de gros diamètres sont pleins d’air au printemps.
Heureusement, la plupart des feuillus ont des moyens de lutter contre cette embolie hivernale. Ainsi, l’absence de feuilles durant cette période freine le dessèchement des tissus.
Ils développent également des stratégies de contournement et/ou de réparation au printemps pour reconstruire une continuité hydraulique entre les racines et les jeunes feuilles produites.
Le chêne, par exemple, fabrique de nouveaux vaisseaux en démarrant sa croissance secondaire (production de nouveaux vaisseaux fonctionnels au sein d’un nouveau cerne de croissance) avant le développement des nouvelles feuilles.
D’autres espèces (bouleau, érable, hêtre, noyer, vigne…) réparent leur système hydraulique en augmentant la pression dans la sève du bois. Concrètement, cette mise sous pression chasse les bulles d’air et reconnecte l’ensemble des colonnes d’eau entre le sol et l’extrémité des branches.
Cette pression s’observe empiriquement lorsque l’on sectionne une branche, par un écoulement de sève à l’extrémité coupée. On dit que ces ligneux « pleurent à la taille » et le jardinier parlera de montée de sève, alors que c’est seulement un changement d’état hydrique. Car si la sève monte et peut re-remplir des vaisseaux du bois embolisés, elle n’est jamais réellement descendue !
À l’opposé, les conifères s’avèrent très résistants à l’embolie hivernale grâce à la faible dimension de leurs conduits, ce qui limite la propagation de l’air dans le système conducteur. Cela leur permet d’alimenter en eau leurs aiguilles persistantes tout au long de l’année.
C’est pourquoi les conifères se retrouvent en montagne, là où les gels sont sévères et fréquents.
L’impact du changement climatique
Les modifications des conditions environnementales liées au dérèglement climatique (augmentation des sécheresses et canicules) risquent de conduire à une plus grande fréquence des situations rapprochant les plantes de leurs seuils létaux d’embolie estivale.
En effet, plus de 70 % des arbres de la planète ont une marge de sécurité vis-à-vis de l’embolie gazeuse trop faible pour leur permettre de résister à des sécheresses plus intenses.
L’embolie hivernale semblait jusqu’à présent moins problématique, notamment avec une diminution de la prédiction du nombre de jours de gels. Pourtant, là encore, les changements climatiques risquent d’amplifier les dommages liés à l’embolie hivernale.
C’est le cas en montagne, où l’augmentation des alternances de gel/dégel liées aux plus fortes amplitudes thermiques en hiver accentuera les taux d’embolie à la fin de l’hiver.
De plus, la couverture neigeuse a un rôle protecteur vis-à-vis de l’intégrité des racines. La diminution de son épaisseur et de sa durée de présence liées au réchauffement limitera donc les capacités de réparation de l’embolie par pression racinaire.
Enfin, les contraintes hydriques estivales et la diminution de la photosynthèse et des capacités de stockage des réserves carbonées font craindre également une diminution des capacités de réparer l’embolie hivernale avant le développement des nouvelles feuilles. En effet, ces réserves de carbone sont essentielles à la production de nouveaux vaisseaux ou pour produire une pression de la sève du bois réparatrice de l’embolie hivernale.
Qu’il s’agisse d’embolie estivale ou hivernale, les arbres mal acclimatés aux modifications induites par le changement climatique risquent ainsi de « manquer de sève » dans le futur, ce qui accélérera leur dépérissement…
Thierry Ameglio, Directeur de recherche en écophysiologie de l'arbre, Inrae et Guillaume Charrier, Chercheur en écophysiologie, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.