Le resserrement des politiques migratoires a réduit le nombre d'entrées annuelles sur le marché du travail ces 15 dernières années. Zoetnet/Flickr, CC BY-SA
Retraites : et si le gouvernement cherchait à augmenter la population active ?
Bernard Laurent, EM Lyon Business School et Kévin Parmas, EM Lyon Business SchoolLe président de la République Emmanuel Macron défend actuellement le projet de réforme des retraites au nom de la fidélité à ses engagements formulés lors de campagne présidentielle de 2022. Le chef de l’État sortant avait alors proposé un allongement progressif de l’âge de départ à la retraite à 65 ans. Environ 9 mois après sa réélection, la première ministre Élisabeth Borne a présenté, le mardi 10 janvier, les grandes lignes du texte qui prévoit effectivement un report de l’âge légal, mais finalement à 64 ans. Selon la cheffe du gouvernement, « notre système par répartition sera alors à l’équilibre ».
Pourtant, en avril 2019, Emmanuel Macron affirmait exactement le contraire, comme ne manquent pas aujourd’hui de le rappeler les opposants à la réforme, qui ont défilé massivement sur tout le territoire le jeudi 19 janvier. En effet, le système actuel ne nécessite aucune réforme pour rester à l’équilibre, comme nous le rappelions dans un précédent article.
Projections erronées
En effet, selon les dernières estimations du Conseil d’orientation des retraites (COR) publiées en septembre 2022, le système dégageait un excédent de 900 millions d’euros en 2021 et de 3,2 milliards en 2022. Il devrait enregistrer ensuite un déficit d’environ 10 milliards d’euros par an jusqu’en 2032.
Or, les prévisions récentes du COR ont été invalidées par la réalité : les déficits annoncés pour les années 2021 et 2022 n’ont ainsi pas été observés. De plus, les projections du COR tablent notamment sur une augmentation de la population active qui suivrait la même tendance que celle observée entre 2006 et 2019, 123 000 en moyenne par an.
Cependant, ce chiffre pourrait être relevé pour renouer avec les rythmes observés entre 1990 et 2005, soit environ 173 000 personnes par an en plus dans la population active, ce qui éviterait de demander aux actifs de travailler plus longtemps. Trois leviers pourraient être actionnés : l’immigration, le taux d’emploi des jeunes et le taux d’emploi des seniors.
Des tendances qui peuvent être infléchies
En ce qui concerne l’immigration, le COR retient une estimation située entre 62 000 et 87 000 entrées nettes par an dans la population active. Ce solde s’est tari ces dernières années, notamment en raison d’un resserrement de la politique migratoire, puisqu’il se situait au-delà de 100 000 entre 2001 et 2006. Un assouplissement permettrait donc d’augmenter le nombre de cotisants et les montants qui entreraient chaque année dans les caisses de retraite.
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Le gouvernement pourrait également adopter des politiques visant à améliorer la participation des jeunes au marché du travail. Rappelons qu’aujourd’hui, la France enregistre l’un des taux de chômage des moins de 25 ans les plus élevés en Europe : 18,3 % en novembre 2022, contre 15,1 % en moyenne dans la zone euro (15,1 %).
Le taux d’emploi des plus de 55 ans pourrait enfin être renforcé : fin 2021, seuls 56,1 % des 55-64 ans étaient en emploi. Il existe donc une véritable marge de manœuvre pour le relever en valorisant davantage les compétences des seniors en entreprise. Sans compter que, sous l’effet des précédentes réformes qui allongeaient la durée de cotisations, ce taux augmente déjà mécaniquement depuis 20 ans.
Le COR s’en tient donc à des tendances qui pourraient parfaitement être infléchies à plus long terme par certaines mesures de politique économique.
L’espérance de vie stagne
Pendant la campagne de 2022, le président-candidat avançait en outre qu’il fallait « travailler plus » et « plus longtemps parce que nous vivons plus vieux ». Cet argument de l’allongement de la durée est pourtant contredit par les données récentes qui livrent un enseignement différent. Si effectivement avant 2014, nous gagnions 1 année de vie tous les 4 ans il n’en est plus rien depuis, avec un petit mois gagné en 8 ans.
Si demain nous connaissions une augmentation forte de l’espérance de vie, pourquoi n’accepterions-nous pas de convenir, sans toucher aux autres paramètres du régime, l’automaticité d’une augmentation de la durée des cotisations, en phase avec la réalité de la situation ?
Actuellement, bien que l’espérance de vie n’augmente que très peu, l’augmentation de la durée de cotisation pour pouvoir toucher une retraite à taux plein reste pourtant bel et bien envisagée dans le cadre de la réforme. La première ministre Élisabeth Borne avait ainsi introduit sa conférence de presse de présentation du projet, le mardi 10 janvier, par ce point. Or, la réforme antérieure de 2013 avait déjà porté à 43 ans les annuités de cotisation nécessaires pour les générations postérieures à 1973.
Plutôt que de faire porter l’effort sur un nouvel allongement de la durée de cotisation, le gouvernement pourrait donc mettre en place une politique pour augmenter la population active comme décrite ci-dessus. Ou alors, choisir de faire contribuer les retraités (dont le niveau de vie est aujourd’hui supérieur à celui des actifs) en taxant les pensions les plus importantes. Le président Macron pourrait alors donner un contenu concret à son intention, formulée au cours de son premier mandat, en 2018, de « réinventer » l’État-providence.
Bernard Laurent, Professeur, EM Lyon Business School et Kévin Parmas, Instructeur d'économie, EM Lyon Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.