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Résistances aux antibiotiques : comment nous pouvons tous agir
Céline Pulcini, Université de LorraineVirus de la Covid-19, de la variole du singe, hausse des infections fongiques, multiplication des cas d’infections bactériennes sexuellement transmissibles… Les maladies infectieuses font leur grand retour dans l’actualité, alors qu’on les pensait vaincues grâce à la vaccination, aux progrès de l’hygiène, et à notre puissant arsenal thérapeutique, au premier rang duquel figurent les antibiotiques, les antiviraux et les antifongiques.
Malheureusement, après avoir un temps marqué le pas, ces microscopiques envahisseurs semblent contre-attaquer, et certaines nouvelles en provenance du front ne sont pas très bonnes pour nous. L’antibiorésistance, autrement dit la résistance des bactéries aux antibiotiques, inquiète tout particulièrement les spécialistes. Voici ce qu’il faut en savoir.
L’antibiorésistance, un phénomène naturel
Pour comprendre d’où vient l’antibiorésistance, il faut revenir sur l’origine de nos antibiotiques. Nombre d’entre eux proviennent, à l’origine, de molécules produites par des champignons ou des bactéries. En effet, dans l’environnement, les êtres vivants sont en compétition les uns avec les autres pour occuper une place (on parle aussi de « niche ») dans les écosystèmes, et en exploiter les ressources.
Dans ce contexte, certaines espèces produisent des molécules qui s’avèrent toxiques pour d’autres espèces, leur procurant un avantage sur leurs concurrentes.
C’est justement après avoir constaté fortuitement les effets dévastateurs du champignon Penicillium notatum sur les cultures de bactéries qu’il entretenait dans son laboratoire que Sir Alexander Fleming, biologiste écossais, isola la pénicilline en 1928, puissant antibiotique s’il en est.
Mais au sein d’une même culture, toutes les bactéries ne sont pas vulnérables : certaines d’entre elles peuvent s’avérer insensibles à l’antibiotique qui décime leurs congénères. Une fois que les bactéries sensibles ont été éliminées, les survivantes qui résistent à l’antibiotique peuvent alors se développer. Ce dernier est alors devenu inefficace.
Dès 1945, autrement dit quatre ans seulement après la première utilisation médicale de la pénicilline, Sir Alexander Fleming avertissait quant au risque de voir émerger des souches de bactéries résistantes :
« Cela aboutirait à ce que, au lieu d’éliminer l’infection, on apprenne aux microbes à résister à la pénicilline et à ce que ces microbes soient transmis d’un individu à l’autre, jusqu’à ce qu’ils en atteignent un chez qui ils provoqueraient une pneumonie ou une septicémie que la pénicilline ne pourrait guérir. »
L’avenir allait lui donner raison. On l’a vu, les bactéries se défendent contre les antibiotiques, en devenant résistantes, depuis des milliards d’années. Dès que les humains ont commencé à utiliser largement les antibiotiques, dans les années 1940, des bactéries résistantes ont été identifiées, comme prédit par Fleming.
Plus on a utilisé d’antibiotiques, plus les résistances se sont développées et propagées. L’antibiorésistance a commencé à atteindre un niveau préoccupant dans les années 1990, ce qui a entraîné la mobilisation d’un grand nombre de pays.
Ce phénomène est aujourd’hui identifié par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme l’une des menaces majeures pesant sur la santé de l’humanité.
Rien qu’en France, chaque année, environ 4500 personnes décèdent en raison d’une infection à bactérie multirésistante, c’est-à-dire résistante à de nombreux antibiotiques. Pour mettre ce chiffre en perspective : dans notre pays, ces bactéries tuent beaucoup plus que les accidents de la route, qui avaient fait 3550 victimes en 2022
Dans le monde, [ce sont près de 1,3 million de personnes qui sont mortes en 2019 de telles infections](https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(21)02724-0/fulltext, soit plus que les décès dus au paludisme ou au VIH. Si rien n’est fait, le problème de l’antibiorésistance va continuer à s’aggraver : certaines projections suggèrent même que dès 2050, elle pourrait causer plus de morts dans le monde que le cancer.
Quelles conséquences peut avoir l’antibiorésistance sur notre santé ?
Le phénomène d’antibiorésistance compromet l’efficacité des traitements antibiotiques, nuisant à la santé humaine ainsi qu’à celle des animaux. Cela veut dire concrètement qu’on a de fortes chances de mourir d’une infection due à une bactérie qui ne peut pas être traitée par les antibiotiques disponibles, lorsque cette infection est grave.
De manière générale, la durée des soins est souvent plus longue lorsqu’une infection bactérienne est résistante aux antibiotiques, et il faut parfois être pris en charge à l’hôpital.
Par ailleurs, l’antibiorésistance augmente le risque de séquelles liées à l’infection, car l’infection devient plus difficile, voire impossible, à traiter.
Un exemple caractéristique est celui des infections à gonocoque, l’une des bactéries les plus fréquemment impliquées dans les infections sexuellement transmissibles. Jusque dans les années 1990, on pouvait traiter de telles infections par des comprimés d’antibiotiques (de la famille des fluoroquinolones). Depuis, les gonocoques sont devenus de plus en plus résistants à ces antibiotiques, et il faut désormais systématiquement administrer un traitement antibiotique par piqûre (de ceftriaxone).
On a même décrit dans le monde des souches de gonocoque résistantes à presque tous les antibiotiques disponibles. Les patients atteints présentaient une infection ne guérissant pas sous traitement habituel et ont dû recevoir des antibiotiques dits « de dernier recours » ; des cas de transmission de ces souches ont aussi été rapportés. Ces infections gonococciques très résistantes aux antibiotiques restent heureusement extrêmement rares à ce jour.
Les infections urinaires à des bactéries résistantes à de multiples antibiotiques sont aussi très problématiques. Quand on a est victime d’une infection urinaire due à une telle bactérie, on s’en aperçoit souvent plusieurs jours après le début des symptômes, le temps d’avoir les résultats de l’examen d’urine.
Cela retarde d’autant l’initiation d’un traitement antibiotique efficace, ce qui veut dire que l’on souffre plus longtemps. Cela peut aussi augmenter le risque de complications, comme l’atteinte des reins.
Et là aussi, on doit parfois être traité par piqûres d’antibiotiques, à la place du traitement antibiotique par la bouche qu’on prend habituellement quand la bactérie est sensible aux antibiotiques.
Tout le monde est concerné
Il est important de comprendre que l’antibiorésistance nous concerne tous : chacun d’entre nous peut être atteint d’une infection à bactérie résistante aux antibiotiques, même s’il ne prend lui-même que peu ou pas d’antibiotiques.
En effet, les bactéries, qu’elles soient résistantes ou sensibles aux antibiotiques, circulent et se transmettent en permanence entre humains, animaux (de compagnie ou d’élevage), et au sein de l’environnement (sol, eau, surfaces diverses…).
Les résidus d’antibiotiques que les humains et animaux éliminent peuvent aussi contaminer l’environnement, avec un risque variable selon les familles d’antibiotiques. Certains, comme les pénicillines, se dégradent rapidement. D’autres, comme les fluoroquinolones, peuvent au contraire persister dans l’environnement, et donc y favoriser l’émergence de bactéries résistantes.
Encore pire, les bactéries sont aussi capables de transmettre très facilement les gènes qui leur confèrent les résistances aux antibiotiques, et ce non seulement au sein d’une même espèce, mais aussi d’une espèce à l’autre !
Des niveaux variables d’antibiorésistance sur le territoire
Comme de nombreux d’indicateurs de santé (obésité, taux de vaccination, etc.), l’antibiorésistance varie beaucoup d’un territoire à l’autre. On observe des différences importantes entre les régions, voire les départements.
Un exemple parlant est celui d’Escherichia coli, la bactérie la plus fréquemment responsable d’infections urinaires, dont certaines souches sont très résistantes aux antibiotiques en France.
De telles variations existent aussi pour les autres bactéries, ou pour les consommations d’antibiotiques. Elles peuvent s’expliquer par de multiples facteurs, tels que les habitudes des professionnels de santé ou des patients, les actions régionales et locales menées pour améliorer les pratiques, ou encore l’incidence des infections, qui peut varier en fonction de l’état de santé de la population.
Une déclinaison régionale et territoriale des actions est donc essentielle, pour tenir compte des spécificités locales et accompagner la politique nationale au plus proche du terrain. Ce sont les Agences Régionales de Santé (ARS) qui sont aux commandes, et elles bénéficient pour cela de l’appui de centres régionaux experts du sujet, comme les centres régionaux en antibiothérapie.
Concrètement, comment lutter contre l’antibiorésistance ?
En France, depuis plus de 20 ans, les gouvernements successifs ont mis en place des plans de lutte contre l’antibiorésistance. Ceux-ci ont permis de faire diminuer la consommation des antibiotiques. Néanmoins, beaucoup reste encore à faire, car la France reste l’un des pays qui consomme le plus d’antibiotiques en Europe : près de trois fois plus que les pays les plus vertueux, comme les Pays-Bas, l’Autriche ou la Suède.
Coordonné par le ministère en charge de la santé, le dernier plan en date pour la santé humaine court sur 2022-2025. Nous sommes tous concernés, car nous avons tous besoin de recourir à des antibiotiques au cours de notre existence. Pour lutter contre l’antibiorésistance, il faut à la fois :
Prévenir les infections et réduire leur transmission, grâce aux mesures d’hygiène, comme le lavage ou la friction des mains, et à la vaccination ;
N’utiliser les antibiotiques que quand il faut et comme il faut, car même une seule prise d’antibiotique sélectionne des bactéries résistantes dans nos microbiotes, dans la flore intestinale par exemple.
Nous pouvons tous agir pour y parvenir, pas besoin d’être soignant pour jouer un rôle dans la lutte contre l’antibiorésistance. Voici quelques recommandations importantes et simples à mettre en œuvre au quotidien :
Utiliser les bons gestes afin de prévenir les infections courantes, comme le lavage ou la friction des mains ;
Se vacciner et promouvoir la vaccination autour de soi ;
Rapporter les antibiotiques restants à la pharmacie, pour éviter de contaminer l’environnement ;
Ne pas s’automédiquer ni partager ses antibiotiques, car un traitement antibiotique est adapté à un cas précis ;
Poser des questions à son professionnel de santé ;
Quand on a une infection ou qu’on prend un antibiotique, se renseigner en consultant notamment Antibio’Malin, l’espace dédié aux antibiotiques du site santé.fr, qui contient des informations pratiques, des fiches sur les antibiotiques, les infections courantes ainsi qu’une foire aux questions.
Pour renforcer l’implication de tous, des pistes à explorer
La stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l’antibiorésistance citée précédemment mentionne de nombreuses actions, notamment la campagne nationale sur les antibiotiques menée par Santé publique France et la promotion des ressources e-Bug auprès des enfants et des adolescents.
Il faut cependant aller plus loin pour que l’antibiorésistance fasse partie du quotidien des Français. Il pourrait être intéressant de s’inspirer d’expériences menées à l’étranger, ainsi que de pistes qui avaient été suggérées dès 2015 dans un rapport rédigé par un large groupe d’experts.
Le monde de la fiction et de la culture a ainsi, par exemple, un rôle essentiel à jouer. Intégrer des messages de prévention dans des séries audiovisuelles, des romans, ou une comédie musicale (comme au Royaume-Uni), mettre l’accent sur le monde des microbes dans certains musées (aux Pays-Bas, un musée leur est même consacré), promouvoir les nombreux jeux sérieux qui ont été créés sur la thématique… Les pistes sont multiples, n’hésitez pas à contribuer !
Au même titre que la lutte contre le changement climatique, autre grand défi de notre époque, la lutte contre l’antibiorésistance nécessite la mobilisation de tous. C’est la condition sine qua non si l’on veut parvenir à changer les comportements sur le long terme et préserver l’efficacité de nos antibiotiques, pour nous et pour les autres, en France et à l’international, maintenant et pour les générations futures.
- Pour en savoir plus : la série d’animations courtes Antibiostories, pour comprendre les bases du bon usage des antibiotiques et les enjeux de la lutte contre l’antibiorésistance.
Céline Pulcini est l’autrice du roman « Dans le tourbillon de la médecine », qui aborde notamment le sujet des études de médecine, de la prévention, des infections et de l’antibiorésistance.
Céline Pulcini, Professeur de médecine, infectiologue, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.