Régime « paléo » : lubie du mangeur moderne désorienté ou vraie bonne idée ?

Santé
Compteur de pages vues Image Script iframe The Conversation Christophe Lavelle, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Le régime « paléo » est aujourd’hui l’objet d’un regain de popularité, alimenté par ses nombreuses vertus (supposées ?) sur la santé. Mais rien n’est jamais simple en matière d’alimentation… La science nous invite d’un côté à nous émerveiller sur la remarquable diversité et sophistication du régime de nos ancêtres, et de l’autre à garder un esprit critique face à la complexité des effets des aliments sur notre santé.

Depuis l’apparition des premiers hominidés du genre Homo, notre alimentation n’a cessé d’évoluer… et nous avec ! Adaptation à notre environnement, maîtrise de nouvelles pratiques et techniques, évolution morphologique, changements de mode de vie : au fil des millions d’années, l’Homme se transforme, adapte son comportement, acquiert de nouvelles capacités… et varie le contenu de ses menus.

Évolution(s) et alimentation

Plutôt végétariens à nos origines, de plus en plus carnivores quand les conditions climatiques (refroidissement) l’imposaient et que nos techniques de chasse progressaient, nous avons évolué comme des omnivores opportunistes, essayant tout ce qui pouvait tenir lieu de nourriture autour de nous, végétaux comme animaux. La cueillette permet de récolter racines, tubercules, feuilles, fleurs, baies, ainsi que champignons, algues, œufs, coquillages ou encore insectes. Le charognage, puis la chasse, de plus gros animaux (mammifères, oiseaux, poissons) entiers… ou ce qu’il en reste !

Nous ne nous étendrons pas sur la consommation de nos propres congénères, car si le cannibalisme était sans doute répandu chez nos ancêtres, la pratique n’est plus admise dans nos sociétés modernes. Elle ne peut donc raisonnablement pas rentrer dans les préconisations d’un « régime paléo » au goût du jour.

L’apparition (progressive) de l’agriculture et de l’élevage au Néolithique, il y a environ 12 000 à 7000 ans (selon les endroits), a changé la donne. L’introduction notamment de produits laitiers et céréaliers, ainsi que l’accès à une viande plus grasse (les animaux d’élevage étant 5 à 20 fois plus gras que leurs « équivalents » sauvages), a transformé durablement et radicalement notre alimentation.

Plats et ustensiles de cuisine du Néolithique, avec graines
Le Néolithique, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage, a contribué à énormément changer le contenu de notre assiette depuis le Paléolithique. Sandstein/Historisches Museum Bern, CC BY

Dans un contexte d’industrialisation et donc de transition encore plus brutale à l’échelle de l’histoire de l’Homme, l’alimentation d’aujourd’hui, majoritairement constituée de produits transformés par l’agro-industrie (riches en sel, sucres rapides, graisses saturées…), est de plus en plus tenue responsable des pathologies métaboliques, parfois également appelées « maladies de civilisation », qui minent notre santé. Obésité, diabète, cancers, maladies coronariennes : tel est le tableau clinique qui donne un sérieux coup de frein à l’augmentation de notre espérance de vie, malgré les fantastiques progrès de la médecine.

Dès lors, revenir à une alimentation « paléo », idée popularisée par Boyd Eaton dans les années 1985, apparaît chez certains adeptes du « c’était mieux avant » comme une solution pour assainir nos modes de vie moderne.

Vraie ou fausse bonne idée ?

D’abord, de quels ancêtres parle-t-on ? Des lointains australopithèques qui peuplaient l’Afrique il y a plus de 2 millions d’années ? Des premiers individus du genre Homo apparus ensuite ? Ou de leurs descendants plus récents qui ont peuplé l’Europe à partir de 300 000 ans, l’homme de Néanderthal aujourd’hui disparu, puis Homo sapiens (celui-là même que l’on nomme parfois « Cro Magnon » et qui est notre ancêtre direct) ?

Et parmi ces derniers, parle-t-on de ceux qui vivaient sur les côtes ou de ceux de la toundra ou de la taïga (respectivement au Sud et au Nord de l’Europe) ? Ou de ceux qui, encore plus proches de nous, ont subi le grand froid du Solutréen (-22000 à -17000) ou de ceux qui ont ensuite bénéficié du redoux au Magdalénien (-17000 à -14000) ?

Clairement, le Paléolithique présente une multitude de périodes, de climats, d’environnements et de cultures, qui ont toutes leurs spécificités… C’est donc plutôt de régimes paléolithiques qu’il faudrait parler.

Pour connaître le régime des humains il y a 1 000, 10 000, 100 000 ans voire plus, les scientifiques croisent les informations directes (obtenues grâce aux chantiers de fouille) et indirectes (par extrapolation et rapprochement avec d’autres types de données).

Dans les premières, on trouve les restes fossilisés d’animaux et de végétaux consommés, les traces d’activités humaines (habitats, outils…), les ossements humains (dont les dents, très riches en information). Dans les deuxièmes, on sollicite la connaissance de l’environnement biologique et géologique de l’époque, la comparaison avec les comportements des quelques sociétés de chasseurs-cueilleurs subsistant encore aujourd’hui (Pygmées, Inuit, Aborigènes…), ou encore l’étude des régimes alimentaires de nos cousins primates (gorilles, chimpanzés, bonobos).

Festins préhistoriques

Forme du crâne, taille des dents (des grosses molaires témoignent d’une alimentation riche en végétaux coriaces, des dents plus petites avec les incisives marquées un régime plus omnivore) et usure de celles-ci (stries verticales chez les carnivores, horizontales chez les herbivores et… diagonales chez les omnivores !), composition chimique du tartre dentaire et des os (notamment le rapport strontium/calcium, qui diminue en même temps que l’augmentation de la part animale dans l’alimentation, à l’inverse des isotopes du carbone et de l’azote), ossements animaux portant des traces de découpe, pierres taillées, résidus de préparations alimentaires (graines, os, coquilles, pollens…), éléments de vaisselle, outils de chasse ou pêche (lances, pointes taillées, nasses, bâtons…) mais aussi représentations artistiques de scènes de chasse et bestiaires divers : les archéozoologues passent au peigne fin – ou plutôt au scanner, microscope électronique, séquenceur ADN et autre outil d’analyse physico-chimique moderne – tous les éléments retrouvés sur les sites qu’ils sont amenés à fouiller.

Crâne fossilisé d’un _A. africanus_
L’analyse des ossements des anciens hominidés (ici, crâne de « Mrs. Ples », grotte de Sterkfontein, Australopithecus africanus de 2,1 millions d’années) donne des éléments sur leur régime alimentaire. José Braga, Didier Descouens, CC BY-SA

Nombreux, les reliefs de festins anciens attestent de l’existence de régimes très variés, selon le lieu et l’époque. Ont figurés au menu, pêle-mêle :

  • Des mammifères, bien sûr. Nos ancêtres chassaient bien le mammouth ainsi que l’antilope, l’aurochs, le bison, le cerf, le cheval, le chevreuil, le renne, le sanglier, le lièvre…)

  • Mais aussi des oiseaux et leurs œufs : autruche, caille, canard, faisan, oie, perdrix, pigeon, pintade, poule…

  • Des invertébrés, dont les escargots…) ainsi que divers mollusques marins,

  • De la mer venaient aussi bivalves et crustacés (couteaux, moules, praires, écrevisses…), thons et autres poissons (oui, la pêche en mer était déjà pratiquée il y a 40 000 ans).

  • Même si les restes font défaut, on peut aussi imaginer insectes et de larves (scarabées, termites, fourmis…) faire partie de la liste.

L’animal ne fait pas tout. Côté végétal, nos prédécesseurs pouvaient puiser pour leur alimentation (ou leur santé) dans l’incroyable biodiversité de leur environnement – avec précaution, car les poisons sont légion :

  • Baies (arbouse, genièvre, fraise des bois, mûre, myrtille, olive, prunelle, raisin…),

  • Graines et fruits secs (châtaigne, figue, noisette, noix, pignon…),

  • Herbes et plantes sauvages (ail, asperges, céleri, ciboule, fenouil, laurier, menthe, pourpier, romarin, roquette, thym…),

  • Algues et plantes aquatiques (wakame, posidonie…),

  • Champignons – qui ne sont pas des végétaux, mais la taxonomie ne nous l’avait pas encore dit.

Et, contrairement aux idées reçues, n’allons pas imaginer que les céréales et tubercules étaient absents : ils ont été récoltés à l’état sauvage avant leur domestication au Néolithique, et cuits pour en consommer les glucides il y a 170 000 ans. Les premières farines connues ont même été faites il y a 30 000 ans ! Cette consommation de féculents est confortée par une récente étude sur le microbiome buccal de 124 Néandertaliens indiquant une propension à consommer de l’amidon.

Par contre, pas de sel pour assaisonner, sauf sur le littoral, ni d’huile pour cuisiner : il faut attendre pour ça la culture de céréales au néolithique. Pas de carence en minéraux pour autant (les végétaux en contiennent beaucoup) ni en matière grasse. Les fruits secs, telles les noix et noisettes, et, encore plus, la chaire et la graisse animale, de poissons ou de mammifères (notamment les abats et la moelle) procuraient les lipides essentiels à leur métabolisme.

La cuisine comme moteur de l’évolution

Forgé pour l’omnivorisme, le système digestif de notre espèce n’est… optimisé pour rien : nous digérons moins bien les végétaux que les herbivores et moins bien la viande que les carnivores. Il est par contre adapté pour tout, ce qui nous a donné le rare privilège de pouvoir coloniser à peu près toute la planète.

Partant d’une alimentation principalement végétale qui est encore celle de nos cousins primates, nous avons, en développant nos techniques de chasse et de pêche, augmenté progressivement la part animale de notre alimentation. Puis, transition majeure dans notre histoire, nous avons découvert la cuisson, rendue possible par la maîtrise du feu – acquise progressivement depuis plus de 1 million d’années en Afrique et au Proche-Orient, indépendamment à plusieurs endroits, et plus régulièrement depuis 400 000 ans en Europe.

Cette découverte a permis d’améliorer grandement notre alimentation : augmentation de la valeur énergétique des aliments (en facilitant mastication et digestion), détoxification de certains végétaux, élimination de parasitoses animales, etc. Cuire nos aliments permet d’accéder à près de 100 % de leurs nutriments, contre 30 à 40 % pour les aliments crus !

S’il est probable que les premières dégustations d’animaux cuits furent celles, fortuites, de cadavres retrouvés après un incendie de forêt, on assiste ensuite à une course à l’ingéniosité pour élaborer des moyens de cuisson toujours plus variés et sophistiqués : les aliments étaient cuits sur braises, dans des fours creusés dans la terre, sur pierre, voire bouillis dans des récipients mis eux-mêmes sur le feu (ou chauffés en immergeant des pierres chaudes).

Dans les régions septentrionales, le feu permettait aussi de dégeler des morceaux de carcasse congelés, donnant ainsi accès à une alimentation naturellement préservée par le froid. Enfin, le feu apporte aussi la fumée, donnant accès aux premiers moyens de conservation de la viande, avec la maîtrise de la fermentation puis l’apparition des viandes salées/séchées que nous connaissons aujourd’hui.

Manger paléo aujourd’hui

Est-il possible, et si oui, y a-t-il un intérêt à copier le menu de nos ancêtres ? Une remarque tout d’abord : sachant qu’en France, les 2/3 des nouveau-nés sont allaités à la naissance, la plupart d’entre nous ont bel et bien commencé leur vie avec le même régime que nos aînés ! C’est après que les choses se compliquent.

Notre alimentation est aujourd’hui principalement composée de produits transformés, basés sur une production abondante de viande, de céréales, de produits laitiers et d’huile : ce qui n’a rien à voir avec celle qui a prévalu pendant 99, 9 % de l’existence de notre espèce. Tenter de revenir à une alimentation « préhistorique » est-elle alors une bonne idée ?

Aller chercher dans le passé les solutions à nos problèmes actuels est sans doute un peu naïf… D’abord, comme nous l’avons mentionné, nos prédécesseurs ont connu une multitude de régimes différents. Ensuite, l’Homme a évolué, aussi bien morphologiquement que génétiquement : nos intestins se sont raccourcis, et nous sommes aujourd’hui capables de digérer le lait (même si cette capacité n’est pas partagée par tous). Enfin, nous n’avons pas le même mode de vie. Notre dépense calorique, notamment, est moindre du fait du confort et, souvent, du peu d’activité physique dans nos vies modernes.

Alors, aurions-nous de bonnes raisons de faire « marche arrière » ? Comme souvent en matière de nutrition, les études ont beau s’accumuler, la science a du mal à trancher – que ce soit sur la santé cardiovasculaire ou sur les performances physiques. En fait, tout ce que nous rappellent ces méta-analyses, les unes après les autres, c’est qu’une alimentation moins riche en sel, en aliments à indice glycémique élevé et en oméga 6 est meilleure pour la santé. On s’en doutait un peu…

Bref, pas la peine de « remonter » si loin et se plier à des préconisations et contraintes plus ou moins fondées, avec ce que cela comporte de risques de carences (en vitamine D notamment) ou excès (consommation excessive de viande, certains auteurs avançant même l’idée que le régime paléo accélère le vieillissement… sans parler de l’impact écologique de l’élevage). D’autant qu’on ne peut que rester perplexe devant l’esprit très fantaisiste de certaines recettes « paléo » d’aujourd’hui : un curry de poisson avec ananas, crème de coco, huile d’olive, oignon, coriandre est sûrement très bon, mais on a un peu de mal à voir lequel de nos ancêtres pouvait trouver ces ingrédients réunis à sa portée !

Ironie de la situation : adieu les recettes « veggie healthy », également très tendances, à base de riz et tofu… Céréales et légumineuses étant proscrites dans la démarche paléo !

Plus problématique, la tentation de remonter encore plus loin, avec par exemple le régime crudivoriste qui prône les soi-disant bienfaits d’une alimentation « vivante », inspirée de nos très, très lointains ancêtres (ou de nos cousins primates actuels). Cette tendance est d’autant plus incohérente voire dangereuse que c’est justement la transformation (cuisson surtout, mais aussi fermentation) des aliments, et donc la cuisine, qui nous a fait évoluer et qui fait que nous sommes maintenant parfaitement adaptés biologiquement aux aliments cuits.

Mais ne boudons pas pour autant l’opportunité offerte par ces « régimes » qui, à défaut de menus miracles pour notre santé, nous proposent des contraintes qui sont autant de pistes divertissantes pour varier nos pratiques et inspirer de nouvelles recettes !The Conversation

Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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