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Quand l’intelligence artificielle nous aide à chercher une intelligence extraterrestre
Danny C Price, Curtin UniversityIl y a environ 540 millions d’années, diverses formes de vie ont soudainement commencé à émerger des fonds boueux des océans de la planète : c’était l’« explosion cambrienne », et ces créatures aquatiques sont nos ancêtres. Toute la vie complexe sur Terre a évolué à partir de ces créatures sous-marines. Il aurait suffi d’une très légère augmentation du niveau d’oxygène dans l’océan au-dessus d’un certain seuil pour que la vie se développe rapidement.
Nous sommes peut-être en train de vivre une « explosion cambrienne de l’intelligence artificielle » (IA). Une vague de systèmes d’IA incroyablement performants apparus ces dernières années révèle les progrès rapides en apprentissage automatique, de Midjourney à ChatGPT en passant par DALL·E 2.
L’IA est désormais utilisée dans pratiquement tous les domaines scientifiques pour aider les chercheurs dans leurs tâches de classification de routine. En tant que radioastronomes, nous l’utilisons pour rechercher une forme de vie extraterrestre. Les résultats obtenus jusqu’à présent sont prometteurs.
Découvrir des signaux extraterrestres avec des systèmes d’intelligence artificielle
Nous recherchons scientifiquement des signaux provenant de formes de vie intelligente au-delà de la Terre. Dernièrement, nous avons développé un système d’IA et nous l’avons entraînée à rechercher dans les données des radiotélescopes des signaux qui n’ont pas pu être générés par des processus astrophysiques naturels. Elle est maintenant plus efficace que les algorithmes classiques pour détecter ce type de signaux.
Lorsque nous avons fourni à notre IA un ensemble de données déjà étudié, elle a décelé huit signaux intéressants que l’algorithme classique n’avait pas vus. Mais soyons clairs : ces signaux ne proviennent probablement pas d’une intelligence extraterrestre, mais plutôt de rares cas d’interférences radio.
Néanmoins, nos résultats – publiés le 30 janvier dans Nature Astronomy – soulignent comment les techniques d’IA vont désormais jouer un rôle dans la recherche d’une intelligence extraterrestre.
Pas si intelligents
Les algorithmes d’IA ne « comprennent » pas. Ils ne « pensent » pas non plus. Ils excellent dans ce que l’on appelle la « reconnaissance de motifs » (des formes répétitives, comme un motif à pois ou à rayures) et se sont révélés extrêmement utiles pour des tâches telles que la classification, mais ils ne peuvent pas résoudre de problèmes. Ils ne font que les tâches spécifiques pour lesquelles ils ont été entraînés.
Ainsi, bien que l’idée d’une IA détectant une intelligence extraterrestre ressemble à l’intrigue d’un roman de science-fiction passionnant, ces deux termes sont erronés : les systèmes d’IA ne sont pas intelligents, et les recherches d’intelligences extraterrestres ne peuvent pas trouver de preuves directes d’intelligence.
Les radioastronomes recherchent plutôt des « technosignatures » radio. Ces signaux hypothétiques indiqueraient la présence de technologie et, par procuration, l’existence d’une civilisation capable d’exploiter une technologie pour communiquer.
Pour nos recherches, nous avons créé un algorithme qui utilise des méthodes d’IA pour classer les signaux comme étant soit des interférences radio, soit de véritables technosignatures, et notre algorithme est plus performant que nous l’avions espéré.
Ce que fait notre algorithme d’IA
La recherche de technosignatures a longtemps été comparée à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin cosmique. Les radiotélescopes produisent d’énormes volumes de données, dans lesquels se trouvent d’énormes quantités d’interférences provenant de nombreuses sources : téléphones, wifi, satellites.
Les algorithmes de recherche doivent être capables de distinguer rapidement les véritables technosignatures des « faux positifs » – c’est ce que fait notre classificateur (notre système d’IA).
Il a été conçu par Peter Ma, un étudiant de l’Université de Toronto et le premier auteur de notre article. Pour créer un ensemble de données d’entraînement, Peter a inséré des signaux simulés dans des données réelles, puis a utilisé cet ensemble de données pour entraîner un algorithme d’IA appelé « autoencodeur ». En traitant les données, l’autoencodeur a « appris » à identifier les caractéristiques saillantes des données.
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Dans un deuxième temps, ces caractéristiques ont été transmises à un algorithme appelé « classificateur de forêts aléatoires ». Ce classificateur crée des arbres de décision pour décider si un signal est digne d’intérêt ou s’il s’agit d’une simple interférence radio, ce qui permet de séparer les « aiguilles » des véritables technosignatures dans la botte de foin cosmique.
Après avoir formé notre algorithme d’IA, nous lui avons fourni plus de 150 téraoctets de données provenant du télescope de Green Bank en Virginie de l’Ouest aux États-Unis, soit 480 heures d’observation. Il a identifié 20515 signaux intéressants, que nous avons ensuite dû inspecter manuellement. Parmi ceux-ci, huit signaux présentaient des caractéristiques de technosignatures, et ne pouvaient être attribués à des interférences radio.
Huit signaux, que l’on n’a pas encore pu redétecter
Pour tenter de vérifier ces signaux, nous sommes retournés au télescope afin de les retrouver et les enregistrer à nouveau – sans succès.
Nous avons déjà été dans des situations similaires auparavant. En 2020, nous avions détecté un signal qui s’était avéré être une interférence radio. Nous allons surveiller ces huit nouveaux candidats, mais l’explication la plus probable est qu’il s’agissait de manifestations inhabituelles d’interférences radio, et non d’extraterrestres.
Malheureusement, le problème des interférences radio n’est pas près de disparaître. Mais nous serons mieux équipés pour y faire face à mesure que de nouvelles technologies émergeront.
Limiter les faux positifs
Notre équipe a récemment déployé un processeur puissant sur le télescope MeerKAT en Afrique du Sud. MeerKAT utilise une technique d’« interférométrie » pour combiner ses 64 antennes paraboliques et en faire un seul télescope. Cette technique permet de mieux localiser l’endroit du ciel d’où provient un signal, ce qui réduit considérablement les faux positifs dus aux interférences radio.
Si les astronomes parviennent à détecter une technosignature qui ne peut être expliquée par des interférences, cela suggérerait fortement que les humains ne sont pas les seuls créateurs de technologies dans la Galaxie. Ce serait l’une des découvertes les plus profondes que l’on puisse imaginer.
Dans le même temps, si nous ne détectons rien, cela ne signifie pas nécessairement que nous sommes la seule espèce « intelligente » capable d’utiliser des technologies. Une non-détection pourrait également signifier que nous n’avons pas cherché le bon type de signaux, ou que nos télescopes ne sont pas encore assez sensibles pour détecter les faibles transmissions des exoplanètes lointaines.
Il se peut que nous devions franchir un seuil de sensibilité avant de pouvoir faire une explosion cambrienne de découvertes. Mais la possibilité que nous soyons vraiment seuls devrait nous faire réfléchir à la beauté unique et à la fragilité de la vie, ici, sur Terre.
Danny C Price, Senior research fellow, Curtin University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.