Trois ans après les attentats de Charlie Hebdo, près d’un Français sur cinq n’adhère toujours pas totalement à sa «version officielle», à savoir qu’il est certain que les attaques ont été planifiées et réalisées par des terroristes islamistes. 19 % d’entre eux considèrent encore qu’il subsiste a minima des «zones d’ombre» et que tout ce que les médias ont relaté depuis sur le sujet n’«est pas vraiment certain», révèle une enquête de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, à paraître lundi. L’Ifop, qui a orienté sa recherche dans une perspective plus large d’évaluation de l’implantation et de l’évolution des thèses complotistes en France depuis «Charlie», a réalisé son étude auprès d’un échantillon de 1 252 personnes, par le biais d’un questionnaire en ligne les 19 et 20 décembre 2017. Il ressort de son enquête, en outre, que 3 % des Français croient que les attentats du 7 janvier 2015 ont été «une manipulation dans laquelle les services secrets ont joué un rôle déterminant». Autrement dit, que l’attaque des frères Kouachi dans la rédaction de l’hebdomadaire était un false flag (ou «fausse bannière»). En gros, une ruse pour semer la confusion, faire diversion et cacher les vraies raisons et les commanditaires de leur action terroriste. Un peu comme quand certains ont affirmé, au moment du 11 septembre 2001, que l’attentat avait été planifié par le gouvernement américain pour justifier des mois plus tard sa décision d’envahir l’Irak.
Rationalité rassurante
Un Français sur cinq qui doute encore de la véracité des faits entourant l’attentat de Charlie Hebdo, trois ans après les faits, c’est beaucoup. Il faut ici cependant différencier les «dubitationnistes» (les 19 %) des «complotistes» au sens fort (les 3%), et observer ces chiffres à la lumière de ceux d’un autre sondage, effectué, lui, en 2015. Ils donnaient des chiffres quasiment identiques. La preuve, selon Rudy Reichstadt, membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès et fondateur du site Conspiracy Watch (il s’agit d’un observatoire du conspirationnisme et des théories du complot), que la théorie complotiste entourant Charlie Hebdo, «a échoué». Et ce, y compris chez les «complotistes endurcis», c’est-à-dire ceux qui adhèrent à un certain nombre d’autres théories complotistes répandues (l’Ifop en a listé onze, liées au 11-Septembre, à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy ou au réchauffement climatique, par exemple), qui sont «majoritairement attachés, à 53 %, à la version officielle des faits entourant Charlie Hebdo», dit Rudy Reichstadt.
On s’en souvient, le 7 janvier 2015 avait vu émerger un nombre incalculable de «théories» mettant en doute les informations relayées par la police et les médias pour relater l’attaque de la rédaction de l’hebdomadaire satirique. Le phénomène du complotisme n’avait alors rien de nouveau en France, on l’avait déjà vu à plusieurs reprises, au moins à chaque fois qu’est survenu un événement assez traumatisant et incertain au cours de l’ère moderne. Dans une certaine mesure, ces thèses émergent pour permettre à certains de retrouver un cadre structurant et apaisant devant un fait pour lequel ils n’ont pas toutes les clefs de compréhension, analysent les spécialistes. Une sorte de rationalité rassurante, en somme, davantage qu’un folklore permettant de se sentir plus intelligent que d’autres, englués dans l’ignorance.