Percer les secrets du sirop d’érable, une molécule à la fois

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Percer les secrets du sirop d’érable, une molécule à la fois

De part sa source naturelle particulière et son procédé de fabrication singulier, le sirop d’érable comprend des molécules bioactives dont les bénéfices dépassent largement le simple agrément de la gâterie sucrée. (Shutterstock)
Sébastien Cardinal, Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Amy McMackin, Université du Québec à Rimouski (UQAR)

La nature qui nous entoure recèle une quantité phénoménale de molécules aussi variées qu’imperceptibles. Le règne végétal est particulièrement complexe sur le plan chimique. En effet, l’évolution des plantes s’est déroulée sur des centaines de millions d’années et a nécessité que les différentes espèces s’adaptent afin de réagir à divers stress environnementaux et menaces auxquels elles faisaient face.

Au fil de l’évolution, plusieurs espèces ont développé un arsenal de molécules qui leur permettent de s’adapter à l’environnement et à se protéger contre les compétiteurs et prédateurs. Au-delà de leur fonction d’origine, certaines de ces molécules présentent des bénéfices pour la santé des animaux qui les consomment.

Les progrès accélérés réalisés ces dernières décennies en sciences alimentaires montrent que de nombreuses plantes prodiguent une quantité de bienfaits qui, jusqu’à tout récemment, étaient plutôt méconnus. Mises ensemble, ces découvertes viennent appuyer plus que jamais le fait qu’une alimentation variée et équilibrée offre des bénéfices qui dépassent le simple apport énergétique. Par conséquent, la demande des consommateurs pour des aliments d’origine végétale à plus haute valeur nutritionnelle atteint actuellement des sommets. Cet engouement ne semble non plus pas prêt de s’essouffler.

En revanche, les aliments sucrés tendent à être de plus en plus marginalisés et catégorisés comme exclusivement malsains. Mais, au royaume des sucreries, le sirop d’érable revendique enfin la place qui lui revient ! Ce n’est plus seulement le joyau du patrimoine culinaire canadien ; sa réputation du point de vue nutritionnel s’améliore.

Étant donné sa source naturelle particulière et son procédé de fabrication singulier, le sirop d’érable comprend des molécules bioactives dont les bénéfices dépassent largement le simple agrément de la gâterie sucrée.

Des bienfaits qui dépassent l’apport énergétique

Dans l’est du Canada, les mois de mars et avril annoncent le temps des sucres. Des températures plus élevées amènent les érables à convertir leurs réserves énergétiques (stockées sous forme de glucides complexes) en sucres solubles qui se mélangent à l’eau contenue dans l’arbre. En perçant un trou dans le tronc des érables, il devient possible de recueillir la sève aromatisée qui coule de l’intérieur.

Sirop d’érable dans une bouteille en verre sur une table en bois
Le sirop d’érable, or liquide canadien, comprend des molécules bioactives dont les bénéfices dépassent largement le simple agrément de la gâterie sucrée. (Shutterstock)

La sève obtenue directement des érables est composée approximativement de 98 % d’eau. Environ 40 litres de cette eau d’érable permettent de générer 1 litre de sirop. Lors de ce processus de concentration, les teneurs en sucres et en nutriments augmentent substantiellement. Au fur et à mesure que l’excès d’eau s’évapore par ébullition, la température élevée provoque également une série de réactions chimiques.

Les composants principaux du sirop d’érable sont le saccharose et l’eau. Le glucose et le fructose contribuent également au goût sucré du sirop, mais dans une plus faible mesure. Alors que ces trois glucides simples constituent des sources d’énergie, le sirop d’érable est aussi une excellente source de manganèse et de riboflavine (vitamine B2), ainsi qu’une source non négligeable d’autres vitamines et minéraux (zinc, potassium, calcium et magnésium).

La composition en composés phénoliques (molécules portant un groupement phénol, reconnu pour sa fonction antioxydante) du sirop d’érable est encore plus impressionnante. Depuis le début du XXe siècle, les chercheurs y ont découvert plus d’une centaine de ces molécules d’origine végétale. Ces composés, dont plusieurs ont des propriétés antioxydantes, contribuent aux caractéristiques organoleptiques (goût, arôme, couleur) du sirop d’érable et sont principalement responsables de l’émergence de son récent statut de superaliment.

Qui plus est, l’un des constituants phénoliques les plus prometteurs (du point de vue de ses activités biologiques) est une molécule retrouvée nulle part ailleurs que dans le plus célèbre produit d’exportation du Canada.

Une molécule digne de fierté nationale

Le québécol – nommé d’après la province d’où provient la majorité de la production acéricole mondiale – est un composé polyphénolique (portant plusieurs groupements phénols) qui a été isolé du sirop d’érable pour la première fois en 2011 par l’équipe du professeur Navindra Seeram de l’Université du Rhode Island. Ce composé est si exclusif au sirop d’érable qu’il n’est même pas présent dans la sève d’érable brute ! Les connaissances actuelles suggèrent plutôt qu’il serait le produit de réactions chimiques se produisant lors de la transformation de la sève en sirop.

molécule chimique
Structure du québécol [2,2,3-tris(4-hydroxy-2-méthoxyphényl)propan-1-ol], molécule exclusivement retrouvée dans le sirop d’érable dont on commence à peine à percer les secrets. (Sébastien Cardinal), Fourni par l'auteur

Lors de l’isolation initiale du québécol, il fut démontré que cette molécule avait la capacité d’inhiber la prolifération de cellules spécifiquement associées aux cancers du sein et du côlon dans des tests in vitro (en laboratoire). Cependant, la quantité isolée du polyphénol étant faible, ces tests ne purent dépasser le stade préliminaire. Ce qu’il faut savoir, c’est que plus de 20 L de sirop d’érable sont nécessaires afin d’isoler moins d’un milligramme de québécol.

Jugeant que ce sirop serait mieux utilisé dans les cuisines que dans les laboratoires, Normand Voyer, professeur au Département de chimie de l’Université Laval, et moi-même avons décidé de nous attaquer à ce problème d’approvisionnement. À cet effet, nous avons publié en 2013, alors que j’étais candidat au doctorat, une voie de synthèse chimique permettant de construire beaucoup plus efficacement, en laboratoire, cette molécule naturelle à partir de précurseurs simples. Ces travaux ayant rendu le québécol beaucoup plus accessible, l’investigation de ses propriétés a pu être poursuivie et approfondi.

Notamment, les groupes des professeurs Normand Voyer et Daniel Grenier de la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval ont publié deux études démontrant les propriétés anti-inflammatoires de cette molécule. Ces recherches, qui constituaient également une partie de ma thèse, ont également permis de déterminer la portion active dans la structure de la molécule.

Un composé encore d’actualité

Plus récemment, en 2021, une étude issue d’une collaboration entre le groupe du professeur Daniel Grenier et le mien (aujourd’hui établi à l’UQAR) a démontré que les propriétés anti-inflammatoires du québécol pouvaient être mises à profit dans le contexte particulier de la parodontite, une infection sévère des gencives. D’autres études devraient également être publiées cette année, dont l’une présentant le québécol comme un éventuel allié dans le traitement d’une pathologie de la peau.

Bien que les activités biologiques obtenues jusqu’à maintenant pour le québécol soient limitées à des tests in vitro, ces résultats encouragent certainement l’approfondissement de ces études à des systèmes plus complexes. Il est également important de souligner que les résultats obtenus pour le moment l’ont été à partir de la molécule pure isolée. Ces études ne proposent donc pas l’utilisation du sirop d’érable pur comme agent médicamenteux contre différentes pathologies. D’une part, étant donnée la quantité qui devrait être ingérée pour avoir la dose de québécol nécessaire, les méfaits d’une ingestion massive de sucre viendraient occulter tout bienfait. D’autre part, il est pour le moment difficile d’établir quelle sera la distribution de la molécule dans le corps humain lorsqu’elle est administrée sous forme orale.

Quoi qu’il en soit, ces découvertes permettent, une fois de plus, de mettre en lumière le caractère unique du sirop d’érable et contribuent à renforcer son statut d’aliment tout à fait singulier. Peut-être contient-il encore d’autres molécules tout aussi prometteuses qui ne demandent qu’à être découvertes ?

Gageons que ce trésor bien de chez nous n’a pas encore révélé tous ses secrets !

Sébastien Cardinal, Professeur en chimie organique, Université du Québec à Rimouski (UQAR) et Amy McMackin, Candidate MSc Chimie, Université du Québec à Rimouski (UQAR)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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